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Le monde selon JCDecaux

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Jinhee Han. CC BY-NC-ND.

Pendant le confinement, la multinationale JCDecaux a tapissé la Belgique avec sa campagne « Tous ensemble contre le Covid ». Retour sur ces affiches dont le graphisme nous a transmis, pendant quelques mois, la joie de vivre d’un bloc opératoire.

Quand j’étais petite, et avec des pensées quelque peu alarmistes, j’ai demandé à mon père : « S’il y a la guerre, comment sera-t-on mis au courant ? » Il m’a répondu : « Les sirènes de la ville sonneront très fort. » Vingt ans plus tard, en pleine crise sanitaire, je me permets de préciser : « Et parmi le flot d’infos, JCDecaux fera le boulot. »

Le 18 mars 2020, ce n’est pas une guerre qui éclate, mais le début du confinement dû à la pandémie de Covid-19. Chez JCDecaux, n°1 mondial de la communication extérieure, on n’hésite pas : action, réaction ! Six jours plus tard, la multinationale déclare, dans un communiqué de presse, que « le secteur out-of-home (expression qui désigne, dans le langage poétique de la publicité, les campagnes d’affichage en rue), comme beaucoup d’autres secteurs, est extrêmement touché par la crise Corona ». Decaux constate : « Les annonceurs déplacent en masse leurs campagnes, maintenant que le nombre de personnes en rue a diminué drastiquement, que les métros et les aéroports sont presque vides et que les centres commerciaux sont même fermés. »

Plutôt que de laisser les espaces publicitaires vides, JCDecaux décide de les remplir.

Ils sont partout

En interne, Decaux réalise en vitesse six visuels prêts à être diffusés à travers le pays. Le fond bleu dévoile, en filigrane, une image de maison, un bloc opératoire ou du désinfectant pour les mains, surplombés d’un bloc de texte écrit en blanc : « #flattenthecurve », « #jesuischezmoi », « #staysafe » et « #blijfinuwkot ».

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Anne Jea. CC BY-SA

En quelques nuits, les afficheurs remplissent presque tous leurs panneaux de 2 m², ainsi que les écrans digitaux en rue et dans le métro. Une vraie force de frappe. « En mobilier urbain, nous sommes présents dans les principales villes en Belgique, ce qui nous permet de toucher très rapidement plus de 70 % de la population active », indique Veerle Colin, directrice du marketing chez JCDecaux.

D’une pierre deux coups, la firme remplit le vide et s’offre une campagne « de sensibilisation » à mê­me de rafraîchir son image de marque, récemment entachée par la consommation excessive en électricité de ses panneaux de pub. Une sorte de « Covid-washing » bienvenu. « On trouvait que ça faisait partie de notre responsabilité sociétale pendant cette crise sanitaire », assure Veerle Colin.

Un peu vite fait

Selon Didier Ackermans, directeur de la section publicité de l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS), à Bruxelles, « JCDecaux a juste surfé sur la vague avec un message d’intérêt général, sans se poser les bonnes questions. Ils ont réalisé cette campagne dans l’urgence au sein de leur équipe. » Selon lui, les visuels trahissent la rapidité d’exécution : « Graphiquement, c’est d’une tristesse sans nom. Ils ont voulu faire dans la sobriété, mais c’est devenu très froid et purement médical. »

Outre le duo bleu et blanc aseptisé, Didier Ackermans ajoute que « l’erreur fondamentale est de diffuser un message en anglais. Si c’est une campagne d’intérêt général, il faut être compréhensible. Or, #flattenthecurve, ça ne veut rien dire. Ils oublient que presque 15 % de la population bruxelloise n’est pas ou est peu alphabétisée. »

Graphiste auprès de la Cellule Communication à la Ville de Bruxelles, Pauline Léonet s’étonne de la maladresse graphique de cette campagne : « Tous les éléments flottent et rien ne tient ensemble. Leurs visuels ne renvoient même pas systématiquement au lien internet info-coronavirus.be. Ce n’est pas rassurant pour une population qui traverse une crise sanitaire. »

Par contre, comme tout martèlement publicitaire intensif, la campagne finit par marquer les esprits. Didier Ackermans constate que « le message entre dans la tête des gens » et que « le taux de mémorisation est relativement élevé pour ce type de campagne en extérieur ». Bref, « l’efficacité est indéniable ». Tant pis pour la richesse de notre paysage visuel.

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