Le temps des Espagnols

Marche contre le nucléaire à Liège en 1964 (archives Garcia Lorca)
Au milieu des années 70, près de 70 000 migrants espagnols vivaient en Belgique. Fuyant la dictature franquiste et attirés par le travail dans les mines, ils ont continué la lutte contre le fascisme à distance dans les clubs García Lorca. Ce réseau communiste a façonné une culture hispano-belge, aujourd’hui menacée de disparition.
Un samedi après-midi de février. À la Brasserie du Pont à Herstal, la clientèle commande des bières San Miguel et le plat vedette, lomo con patatas fritas. Des retraités occupent toutes les tables du petit restaurant, prêts pour un jeu de Parchís. Ils rigolent à pleins poumons, dans leur langue maternelle. Sur un mur, un grand drapeau espagnol rojigualda (deux bandes rouges et une large bande jaune avec les armoiries de l’Espagne) dévoile la vraie nationalité de ce bar au nom français. « La vraie nationalité, mais pas le bon drapeau », avertit Antonio Filardi, un retraité au torse tatoué du Che Guevara, arrivé enfant en Belgique.
Son drapeau à lui, c’est le rouge, jaune et violet de la seconde République espagnole, vaincue après trois années de guerre civile (1936-1939) et le coup d’État du dictateur Franco – ce drapeau restera comme un symbole de la démocratie déchue. Et c’est pareil pour ses copains Nico Cué ou Cayetano Carbonero, assis à ses côtés dans la Brasserie du Pont.

Ces hommes ont grandi en Belgique. Leurs pères étaient mineurs, plombiers ou maçons, immigrés d’une Espagne sous dictature franquiste. Et ils sont devenus adultes à l’ombre des clubs Federico García Lorca de la région liégeoise, véritable institution culturelle et politique pour la communauté espagnole de la Cité ardente. Pour la gauche marxiste espagnole, ce réseau de centres culturels pour ouvriers ibériques souffrant du mal du pays fut, pendant des décennies, …