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Camping paradis

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Katherine Longly. Tous droits réservés.

C’est l’histoire d’un chalet de camping de la périphérie bruxelloise, de trajectoires de vie qui se percutent et aboutissent entre deux caravanes résidentielles. Une histoire d’amour et de fricadelles tièdes sur nappe cirée. Celle de Blieke et Nicole, couple écorché que la photographe Katherine Longly a rencontré un soir de décembre.

Hiver 2013, Katherine Longly arpente les campings belges et documente ces habitats temporaires devenus permanents. Un soir de décembre, elle déboule à Londerzeel, au nord de Bruxelles : « Alors que je photographiais les guirlandes et les luminaires à la tombée de la nuit, un homme est sorti de son chalet, suivi de sa compagne. Ils m’ont invitée à boire une bière avec eux. » C’est ainsi qu’est née l’amitié entre une photographe et ce couple de sexagénaires apparemment sans histoires. Pendant six ans, Katherine Longly multiplie les visites au camping Diepvennen, les soirées costumées, les soupers insolites, les fêtes d’anniversaire à la Fort Boyard. Elle apprend à connaître Blieke et Nicole. Leur petit chien Plume. Et leur perroquet, Hernie : Blieke l’a reçu de sa femme alors qu’il sortait de l’hôpital après une opération du dos.

Sur une photo qui orne le lambris de leur chalet, on y voit Nicole jeune, pommettes saillantes, prenant la pose devant le tram 25. Elle est une des premières conductrices de la STIB. Plus loin, Blieke, Brusseleer moustachu, sourit devant la caméra. Comment ces deux-là ont-ils dérivé jusqu’à ce coin de pelouse le long de la nationale 1 Bruxelles-Anvers ? « J’étais curieuse de découvrir les trajectoires individuelles qui poussent à faire le choix de s’installer définitivement dans un endroit comme celui-là, explique la photographe. Petit à petit, ils ont commencé à me dévoiler des pans de leur parcours de vie. Je trouvais leur histoire fascinante. »

Des vies de puzzle

« On s’est rencontrés chez les fous, lui confie Nicole. C’était il y a 25 ans. À cette époque, je venais de perdre ma mère… ou mon père. » Blieke lui loue un appartement au-dessus de chez lui. « On est partis un jour en Espagne, et il m’a dit “je crois que je tombe amoureux”. » Deux décennies plus tard, Katherine a consigné les traces de cette relation. Les gestes d’affection, les souvenirs qu’elle projette par fragments, comme une énigme. Une manière de pousser le lecteur à interroger ses propres stéréotypes.

Dans cet intérieur de chalet bordélique, les images et articles annotés d’hommes en uniformes nourrissent les interrogations. On y lit « Les Clint Eastwood de Bruxelles » ou « Arrêtés une heure après leur hold-up ». On y voit des flics, on voit une ressemblance entre Blieke et ce policier moustachu en blouson de cuir. La photographe ne livre pas trop de détails afin de donner à leur histoire une portée plus universelle. Confronté à ce couple, chacun projette sa version du récit. Petit à petit, des indices sont posés et poussent le lecteur à revoir ses projections.

On sait de Blieke qu’il a eu une vie de petits boulots, menuisier, gérant de centre paroissial, laitier indépendant, outilleur matricien. Qu’il entre ensuite à la police judiciaire et qu’il y fait carrière. « J’étais dans la brigade anti-agression. La recherche de personnes signalées, d’armes, de drogue », raconte-t-il lors d’une de leurs nombreuses discussions. Pourquoi et comment ils atterrissent ensuite dans ce chalet des vieux jours ? L’histoire ne le dit pas. Chez Blieke, une grande balafre au milieu du thorax laisse deviner des ennuis de santé. Une vie presque ordinaire qui trébuche soudain.

Cette question de la mobilité sociale est centrale dans le travail de Katherine Longly. Comment des personnes sont-elles amenées à évoluer d’un milieu social à un autre ? Catapultées dans une existence nouvelle ou transbahutées à petits pas vers un nouvel environnement, de nouvelles habitudes. Des lieux, des gens que l’on fréquente moins puis qu’on ne voit plus. Des vies chambardées et du temporaire qui devient permanent.

Blieke est décédé à l’été 2019. Il avait 70 ans. Katherine cesse alors de prendre des images. Elle rend toujours visite à Nicole, régulièrement. Ensemble, elles travaillent sur un livre à paraître à l’automne, Hernie & Plume.

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