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Informer, une militance ?

Cécile se rend dans la maison de repos dans laquelle est placée sa mère, depuis deux mois. Elle veut l’emmener au restaurant. On lui interdit. « Le personnel m’a dit que maman ne pouvait plus sortir sans la permission de l’administrateur de biens. » Voilà une administration « de la personne ». Une camisole légale. La privation de sa propre vie. À peine amorcée, notre enquête sur les administrateurs de biens a généré de nombreux témoignages de ce type. Au fil des récits, on découvre pêle-mêle des avocats qui se font rembourser dix déplacements pour une visite auprès de dix résidents de la même maison de repos (malin !), des juges qui copinent, des familles déboussolées, des seniors emprisonnés.

Autre sujet, autres excès. Sur Facebook apparaissent des groupes de « floxies », regroupant des victimes des antibiotiques. Dans leur ligne de mire : les fluoroquinolones. Derrière ce terme aux allures de dentifrice pour enfants, se cache un antibiotique ultra-puissant, capable de dézinguer l’anthrax, mais aux effets secondaires redoutables. Articulations douloureuses, problèmes tendineux, hypoglycémies, au mieux. Mort par anévrisme, au pire. Ce médicament qui continue à être largement prescrit (Ciproxine, Avelox, Tavanic) a fait l’objet d’une procédure exceptionnelle à l’Agence européenne des médicaments (EMA) en juin 2018 : une audience publique. C’était la deuxième de son histoire, après celle sur la Dépakine, cet antiépileptique au centre d’un vaste scandale sanitaire. Rassurant. Mais ceux qui se disent victimes de ces médicaments ont bien du mal à faire valoir leurs droits, face à des médecins et une industrie pharma pas très chauds pour assumer leurs responsabilités.

Jusqu’aux fondues-débats ?

Depuis presque cinq ans, Médor informe, révèle et porte la voix de ceux qui ne se sentent pas entendus – au risque parfois d’être inondés d’appels à l’aide.

Faut-il aller plus loin ? Les médias doivent-ils devenir acteurs de la réalité qu’ils décrivent ? D’autres s’y sont essayés. Six semaines avant les élections fédérales de 2019, la Radio-Télévision suisse (RTS) décide de prendre une position éditoriale nouvelle face au problème de l’abstention. Depuis des décennies, le taux de participation des Suisses à leur scrutin fédéral ne dépasse pas les 48 %, ce qui pose un problème de légitimité démocratique. Chez les Helvètes, le vote n’est pas obligatoire. RTS dépêche un duo de journalistes à Moudon, dans le canton de Vaud. Là-bas, à peine 36 % des habitants votent. Le média ne veut pas simplement faire le constat de cette réalité, mais se fixe un objectif : convaincre 50 % des Moudonnais de voter. Cette opération citoyenne et éditoriale, baptisée « Objectif 50 », s’est déroulée comme une vraie campagne politique : porte-à-porte, appels téléphoniques, rencontres au QG et fondue-débat. Avec un succès, relatif, puisque 45 % des électeurs de Moudon sont finalement sortis de leurs pantoufles pour aller voter.

Et nous ? Quelles différences faisons-nous entre l’engagement, la mobilisation, la militance ? Médor a adopté, jusqu’ici, la plus grande prudence : on ne signe pas de pétitions au nom du magazine, on ne le représente pas dans les manifs, on ne donne pas de consignes de vote. Si nous réaffirmons aujourd’hui avec force notre volonté de traiter avec la même distance tous les partis politiques, nous nous interrogeons sur cette apparente impartialité. N’y a-t-il pas de l’hypocrisie à enfouir nos convictions derrière un cache-texte déontologique ? Le New York Times n’a-t-il pas eu raison de prendre parti pour Hillary Clinton dans sa bataille contre Trump à la conquête de la Maison-Blanche ?

Un média se positionne par ailleurs via ses choix de langage, de ton, de publicité, son modèle économique. Le Guardian parle désormais de « crise climatique », et non plus de « réchauffement », et refuse les publicités venant de l’industrie de l’énergie fossile. Aux Pays-Bas, De Correspondent a clairement inscrit qu’il assumait la subjectivité dans ses « conditions d’utilisation ».

Médor aussi est inscrit dans la société. Jusque dans sa méthode de recherche d’informations. En mars, nous convierons notre première réunion de rédaction collaborative autour de la cinquième série traitée sur notre site web (après « La douleur des Belges » sur les opioïdes, « Boule à facettes » sur la diversité dans les médias, « Mon travail, mon enfer » sur l’exploitation au boulot et « Ces élèves cassés par l’école » sur l’exclusion scolaire). En ouvrant le cercle à des non-journalistes, nous cherchons à rendre nos approches, nos méthodes d’investigation et nos modes de narration plus utiles pour les citoyens et les personnes touchées par le sujet. Est-ce de l’engagement, de la militance, de la mobilisation ou, simplement, la voie qui s’impose : mieux écouter pour mieux comprendre ? Et avoir un impact positif et concret sur les questions que nous traitons.

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