Au royaume des morts et du sandwich mou
Enquête (CC BY-NC-ND) : Colin Delfosse
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Chez nous, le sandwich mou est à l’enterrement ce que le persil est aux garnaalkroketten : un must. Mais pourquoi ce petit pain au lait est-il servi aux obsèques ?
L’origine du sandwich mou d’enterrement pourrait prosaïquement s’expliquer par deux faits simples : le petit pain au lait se pratique à main nue et, surtout, convient à tous types de dentition. Wikipédia nous conforte dans notre première hypothèse, rappelant que l’inventeur, John Montagu, quatrième comte de Sandwich (l’île), amiral britannique et joueur invétéré, est l’instigateur par antonomase du sandwich au XVIIIe siècle. Sandwich qu’il consomme sur le pouce entre deux parties de cartes.
Pour autant, il faut distinguer sandwich et sandwich. Outre-Quiévrain (comme outre-Manche), il est défini comme des « tranches de pain entre lesquelles on met une tranche de jambon, de fromage » (Larousse), autrement appelées tartines. Chez nous, il se décline en deux modèles : la version « dure » composée de pain baguette (dit « pain français ») avec garniture ; et la version « molle », le fameux « sandwich mou » (dit « pain au lait ») servi nature.
Fait saillant, on dit « sandwich » des deux côtés de la frontière linguistique. De chez Verdonck (Coxyde) à la Tradition du Bon Pain (Arlon), il est ce petit pain allongé légèrement sucré à la peau dorée, composé d’une pâte fine à la levure, de lait et d’œufs (50 grammes et 163 calories, selon Delhaize). À quelques bouchées près de la brioche française, quoi…
Ça conserve
Côté conso, les sandwichs mous sont d’ordinaire servis avec fromage, américain, salade de crabe ou charcuterie. « Un sucré/salé qui nous vient de Grande-Bretagne », assure Albert Demoncin, de la Fédération des boulangeries francophones. Pierre Leclercq, historien de la gastronomie et spécialiste du pain, nous rappelle que « le sandwich remonte à la Belle Époque, où l’anglomanie touchait (déjà) les élites ».
Mais pourquoi aux funérailles ? Selon Demoncin, « c’est un produit qui se conserve très bien et qui peut être préparé en amont, au contraire des pistolets qui perdent leur croquant. Le sandwich, garni la veille au soir, est même parfois meilleur le lendemain quand il libère ses arômes ».
Laurence Chabot, responsable du crématorium « Le Champ de Court » à Court-Saint-Étienne, y trouve un autre aspect pratique : « On ne peut jamais prévoir le nombre exact de convives. Le sandwich permet de gérer les imprévus. » Mais pour Pierre Leclerq, si le sandwich est devenu le king de l’enterrement, c’est pour sa discrétion : « La notion de sobriété est ici centrale. Il est malvenu de proposer un repas qui éveille les sens dans un moment de deuil. » Élémentaire. Et tout bénef’ pour le troisième âge.