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La tête ailleurs

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Prignot & Alvarez. Tous droits réservés.

En attente d’un laissez-passer sur notre territoire, au centre Fedasil de Jodoigne, les enfants de l’exil jouent, errent et dessinent. Au pastel. Griffant ou coloriant leurs propres portraits, tirés par un tandem de photographes. Des brouillons d’identités.

La journée « portes ouvertes » du centre Fedasil, installé dans l’ancienne base militaire Soldat Dubois de Jodoigne, touche à sa fin. Les dernières notes de la fanfare viennent à peine de s’arrêter que de la pop afghane résonne dans la cour. Sous la tente, face au monument à la patrie, six hommes pachtounes dansent, entourés de quelques résidents et de timides visiteurs. Le DJ enchaîne avec une musique tchétchène suivie d’une rumba. Une danseuse congolaise prend place au milieu du cercle et exécute un ndombolo très suggestif. Les enfants syriens et tchétchènes observent, médusés.

Dans ce centre ouvert, composé de quelques préfabriqués précaires posés au milieu du Brabant wallon, des personnes issues des quatre coins du globe cohabitent bon gré mal gré. Avec ou sans famille, des enfants du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique sont logés le temps de leur demande d’asile. Ils sont libres d’entrer et de sortir du centre pendant la journée.

L’examen de leur demande par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) peut prendre entre six mois et un an et demi. Des années en cas de recours. Pendant ce laps de temps, ces enfants font leurs vies à Jodoigne ou dans un des 61 autres centres Fedasil que compte le pays. Certains sont nés sur la route, parfois en Belgique. Tous ont connu l’exil et grandissent dans un sas culturel et administratif, en périphérie de nos habitudes, de nos cultures, de nos vies.

Qu’est-ce qui définit leur identité, leur appartenance culturelle ? Cette question traverse le travail photographique mené par Maroussia Prignot et Valerio Alvarez. Guidés par une réflexion sur le portrait et la représentation de soi, ils ont animé des ateliers avec les enfants du centre pendant neuf mois.

À l’aide de différentes techniques – photocopies, portraits en studio, calques et pastels –, les deux photographes ont interrogé l’identité de ces trois cents personnes en attente de papiers. Les portraits reproduits dans ce portfolio ont été imprimés sur place et soumis à l’intervention des jeunes participants. En surimpression, ils y ont inscrit leur quotidien et leurs rêves.

Mon pays rêvé

Au premier abord, on retrouve les projections de tout enfant : on se grime en super-héros ou en princesse. En filigrane se dessinent la question de l’identité mais aussi la couleur des souffrances, des questionnements, des aspirations. Le visage hachuré, les mains badigeonnées. Le cœur griffé. « L’idée était de les faire participer à la création de leurs portraits. Mais aussi d’interroger le rapport à l’image, à la photo, racontent les photographes. On ne voulait pas simplement prendre des images. On voulait qu’ils se les approprient. » À partir de quelques consignes simples, les enfants se sont rapidement pris au jeu.

Nargis a 10 ans. Originaire d’Afghanistan, elle est arrivée au centre de Jodoigne en Avril avec sa famille, après un passage à Florennes. Avec son amie congolaise Maria et Aïcha, qui vient des Balkans, elles vont à l’Ardoisière, l’école du coin. Nargis parle parfaitement le français, contraire­ment à ses parents. Elle partage une chambre de 12 mètres2 avec ses deux frères, ses deux sœurs, son père et sa mère. Sur son premier portrait, elle a écrit au pastel : « Je n’aime pas l’Afghanistan. Je n’aime pas l’Iran. » Après s’être réfugiée un temps dans ce pays, la famille se serait fait persécuter et a dû repartir sur la route de l’exil. Sur son second portrait, Nargis a ensuite dessiné un drapeau imaginaire, celui de son pays rêvé.

Ces parcours d’exil se comptent par milliers, en Belgique. « La population belge semble ignorer la réalité des centres, explique Mehdi Tilquin, assistant social au centre de Jodoigne. Tu perds tout. Tu n’es plus personne. Tu recommences à zéro. » Difficile de se reconstruire une vie sans argent, sans emploi. Interdits de travail, les adultes reçoivent 7,50 € par semaine, majorés de 3,50 € par enfant.

Dans la grisaille du Brabant wallon, les animations de la journée touchent à leur fin. Sur l’artère bitumée qui traverse le camp, les locataires regagnent leurs chambres – en passant devant les photographies de Maroussia et Valerio –, qui ont été tapissées par les enfants pour la journée « portes ouvertes ». « Nous savons pertinemment que ce travail ne va rien changer à la politique d’accueil ou à leurs conditions de vie », insiste Valerio. Des visages, habitués à se cacher, qui enfin s’affichent…

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