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François Houtart : fin de siècle

entretien- belge-sociologue
Axel Korban. CC BY-SA.

Qualifié de « véritable prophète », de « pape de l’altermondialisme », « l’un des hommes les plus influents de notre époque », François Houtart est décédé en Équateur, à Quito, le 6 juin dernier. Il avait 92 ans. Ce prêtre belge, sociologue ancré à gauche, altermondialiste avant l’heure, fut un témoin et acteur privilégié des soubresauts du millénaire finissant. Lui qui a rencontré et conseillé de nombreux chefs d’État (Lula, Chávez, Castro…) fut aussi résistant, expert auprès du concile Vatican II, protagoniste du Forum social mondial. Croyant dont la foi a été sauvée par… le marxisme, il donna même des cours de sociologie des religions aux idéologues du Parti communiste cubain !

En 2008, il recevait le prix de l’Unesco pour la tolérance et la non-violence. Un an plus tard, un comité se mobilise pour que lui soit attribué le prix Nobel de la paix. L’honneur de trop. Un membre de sa famille révèle alors un abus sexuel subi dans les années 1970. Le coupable s’appelait François Houtart.

De nobélisable à pédophile présumé, peu ont connu pareille chute. Houtart incarne l’incohérence de nos vies multiples, quand grandeur et médiocrité sont coincées dans une même peau. Nos om­bres et lumières internes. La complexité humaine.

Médor a rencontré le « chanoine rouge ». C’était en septembre 2015. Deux longs entretiens, liés à cet accord : François Houtart pourrait relire la partie liée à l’affaire de pédophilie. Au final, il demandera que le texte ne soit pas publié de son vivant. « Si le texte devait sortir aujourd’hui, je serais obligé de renoncer à mes engagements, pour ne pas mettre en difficulté les mouvements, institutions et causes dans lesquels je suis impliqué. » Et le sociologue a ajouté : « Ce n’est pas non plus un désir de protagonisme personnel : à mon âge, il ne me reste plus tellement de temps pour vivre et agir, et l’ambition n’est plus de mise. Par contre, l’entrevue peut être publiée après ma mort. »

Voici donc le témoignage d’un siècle qui a préparé le nôtre.

Médor On part de 1925…

François Houtart Et d’une famille très nombreuse. Je suis l’aîné de 14 enfants, mon père était administrateur de société et maman s’est évidemment consacrée entièrement à la famille (rires) ! Nous avons été élevés de façon quasi militaire, avec un père extrêmement strict.

M.Vous étiez plus proche de votre grand-père, Henry Carton de Wiart, Premier ministre belge dans l’entre-deux-guerres ?

F.H.Oui. Il était mon parrain. Pendant la guerre, je suis allé vivre chez lui. C’est d’ailleurs après les quelques mois passés chez mes grands-parents que je me suis engagé dans l’Armée secrète – la résistance aux Allemands – pour faire des opérations de guérilla dans les environs de Bruxelles.

Mon grand-père a été un fondateur de la démocratie chrétienne, il a eu une carrière politique assez importante. Et littéraire aussi puisqu’il a écrit un certain nombre de romans historiques, comme La Cité ardente, qui a donné à Liège son surnom. Il était membre du gouvernement belge en exil pendant la Première Guerre mondiale et ma grand-mère, elle, était restée pour faire le lien entre la Résistance et le gouvernement. Les Allemands l’ont envoyée à la prison des femmes, à Berlin. Là, elle a rencontré Rosa Luxemburg et, comme elles étaient toutes deux des intellectuelles, elles ont sympathisé. La seule chose que j’ai apprise, c’est que pour se retrouver dans la cour, elles sifflaient l’Internationale (rires) ! Elle était la petite-fille du fondateur de l’ULB.

M.Pourquoi devenir prêtre plutôt que de …

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