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Les kayaks touchent le fond

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Baptiste Virot.

Y a-t-il trop de touristes sur les rivières wallonnes ? Les coups de pagaie, le raclage du fond et les cannettes abandonnées perturbent les truites, les végétaux et les riverains. Une étude vient d’être menée sur l’Ourthe, démontrant l’impact négatif des kayaks. Mais c’est toujours sur la Lesse que les remous sont les plus forts.

Dans cette série à rebondissements, Olivier Pitance tient le premier rôle. Depuis qu’il a repris l’entreprise familiale Dinant Évasion, au début des années 2000, le plus gros des deux exploitants de kayaks sur la Lesse a multiplié son chiffre d’affaires par six : 5 millions d’euros (toutes activités comprises), 250 000 visiteurs annuels. Le nombre de récriminations à son encontre a suivi la même courbe ascendante : d’abord soupçonné de concurrence déloyale, l’entrepreneur a ensuite été accusé de surexploitation de la rivière par des pêcheurs, naturalistes ou riverains, regroupés au sein de l’association « Respect Lesse ». Ceux-ci dénoncent l’érosion des berges, la perturbation de la faune aquatique, les dépôts d’immondices et même d’excréments laissés par les marins d’eau douce.

Depuis 2011, le patron de Dinant Évasion n’a cessé de se battre contre l’administration de la Région wallonne, allant jusqu’à introduire une action au Conseil d’État : il refuse de réduire de 25 % le nombre de ses embarcations et de mettre en place un système d’identification des kayaks qui permettrait de verbaliser les auteurs d’incivilités, comme on le lui deman­dait.

Paquebot à convoquer

Pour l’homme aux kayaks jaunes et rouges, c’est la Région wallonne qui « pèche » en ne gérant pas cette problématique de manière globale. « C‘est bien de faire attention à l’environnement, mais on ne peut faire pour autant abstraction du point de vue économique. Rien que sur la Lesse, la location de kayaks génère 100 emplois directs et 200 emplois indirects. Mon entreprise à elle seule crée 30 emplois en hiver, 120 en été. » Olivier Pitance rappelle que la descente de la Lesse en kayak est un pilier du tourisme en Wallonie, qui se pratique depuis un siècle. « Contrairement à l’image que certains veulent donner de nous, nous sommes conscients que la rivière est notre outil de travail. » Selon lui, le nombre de kayaks ne poserait en soi aucun problème, même s’il peut monter jusqu’à 4 000 par jour, sur la Lesse, lors des pics de fréquentation. « Il ne faut pas compter les kayaks, mais mener des campagnes pour sanctionner les incivilités. »

Emmanuel Gennart, responsa­ble kayaks au sein de la direction des Cours d’eau non naviga­bles de la Région wallonne, estime quant à lui qu’« il est un peu facile de la part des gros loueurs de rejeter la responsabilité du respect de l’environnement sur leurs clients, alors qu’ils utilisent un bien public naturel pour faire leur beurre ». Ils ne payent aucune taxe au gestionnaire du cours d’eau (la Région). « Il est donc normal qu’ils assument leur responsabilité en acceptant de maintenir cet environnement en bon état. » Et de souligner que les communes devraient elles aussi endosser leurs responsabilités : « Elles taxent les kayaks, mais n’of­frent la plupart du temps aucun service en retour. Elles pourraient organiser la présence de poubelles et de sanitaires sur des terrains qui leur appartiennent. » Les contrôles sont rares. Et quand des procès-verbaux sont dressés, « les parquets ne les traitent pas », déplore Emmanuel Gennart. C’est un paquebot et non un kayak qu’il faudrait mettre à l’eau si l’on devait convoquer toutes les parties prenantes dans cette problématique ! Les pêcheurs veulent également leur place sur le pont. Le Fonds européen pour la pêche et le Service public wallon viennent de financer une étude de l’impact des kayaks sur les communautés de poissons et de macro-invertébrés. Celle-ci porte sur un secteur de l’Ourthe entre Nisramont et Maboge. Les résultats de cette étude sont accablants1 : lorsque les débits sont faibles, les embarcations raclent le lit de la rivière et mettent en péril des espèces sensibles comme la moule perlière. Elles détruisent également des œufs de poissons, tels que l’ombre et la truite, ainsi que des macro-invertébrés (larves d’insectes, mollusques, vers, crustacés)…

Les auteurs de l’étude en appellent à des solutions fortes : soit l’interdiction totale des embarcations de loisir (canoë-kayak, raft…) sur ce tronçon de l’Ourthe, soit une « limitation du nombre de descentes journalières par tronçon ». L’identification des kayaks et l’augmentation des contrôles permettraient également de « responsabiliser les individus quant à leurs nuisances ». Autre solution envisagée : « Le relèvement de la valeur seuil du débit autorisant la descente d’embarcations de loisir ».

Passer, comme ils le recommandent, à une valeur minimale de 6 m3/seconde pour la pratique du kayak pourrait priver les loueurs de kayaks d’environ 40 % de jours d’exploitation dans ce secteur, entre le 1er mars et le 31 octobre. Si cette mesure devait se concrétiser, ne fût-ce que pour la zone concernée par cette étude, il ne fait aucun doute qu’elle raviverait encore les débats. « Le problème est que pour favoriser cette activité touristique, on a accordé un débit seuil très bas, nous souffle Guy Dachelet, de la Fédération francophone de canoë. Ce n’est ni une bonne chose pour le matériel ni pour l’environnement, car les utilisateurs sont alors obligés de tirer leurs kayaks derrière eux à certains endroits… » Ce sportif expérimenté ne se risque jamais à mettre son kayak à l’eau lorsque le niveau est trop bas. La moule perlière lui dit merci.

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