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Le sucre et le colibri

Un abonné qui ne veut plus s’abonner nous écrit : « C’est peut-être ma perception qui est dans le faux mais je trouve que vous publiez surtout (pour ne pas dire uniquement) des mauvaises nouvelles. » Ce lecteur salue notre travail d’enquête sur les « magouilles » et les « travers politiques » mais exprime son besoin de « positivisme ». Argl, encore un.

Cette demande inonde un pan de la création et n’épargne pas les médias. Au sein de Médor, le débat refait régulièrement surface. Car nous aussi, nous avons besoin de notre dose de sucre. Nous aussi, nous aimons avoir l’impression que le monde avance. D’autres médias mettent plus en avant l’innovation sociale, les initiatives qui réenchantent le monde, les coopératives au pinard bio et les start-up de petits génies. Ces médias existent – et nous y sommes abonnés.

Médor, pour sa part, a choisi d’inscrire l’enquête dans ses gènes. Et l’investigation, par définition, creuse, questionne, dénonce et met en perspective. Est-elle positive ou négative ? Quand des journalistes du monde entier s’associent pour dévoiler les Panama Papers ou que la petite équipe du Boston Globe met au jour un scandale pédophile dans les Églises locales, c’est positif ou négatif ? Que des médias se penchent sur la mort des paras belges au Rwanda, les dessous de l’affaire De Decker (le « Kazakhgate » du Soir) ou la composition de la pâte à tartiner au chocolat, c’est bon pour le moral ? Ou pas ?

Ce qui est certain, c’est que l’enquête est une démarche ambitieuse. Comme l’avance le journaliste américain Mark Lee Hunter, « nous ne rassemblons pas simplement des faits, nous rapportons des histoires avec l’espoir qu’elles pourront changer le monde ». Utopique ? Le journalisme d’investigation serait, selon l’ONG Transparency International, le meilleur moyen de lutter contre la corruption. Il rappelle aux puissants que les biens publics ne sont pas à usage privé, que ce qui est légal n’est pas forcément juste et que l’injustice sociale ne peut être acceptée par lassitude.

Dans ce numéro, nous avons enquêté sur la manière dont le socialiste Stéphane Moreau gère son empire techno-énergético-médiatique, sur le projet de centre commercial Neo au Heysel ou sur le malaise que provoque toujours le nom de Lumumba au pays de Tintin. Nous ne le faisons pas pour détruire des réputations ou pour aggraver votre dépression saisonnière, mais, avec l’espoir qu’à long terme, cela contribue humblement à la démocratie. L’enquête appelle au débat et au changement. Les journalismes « positif » et d’investigation, mélange de saveurs aigres-douces, poursuivent finalement un même but : celui d’améliorer (modestement) le monde. Et ça, c’est quand même positif. Non ?

Avant de rédiger cet édito, nous avons répondu personnellement à ce lecteur qui voulait se désabonner. Sa réaction fut immédiate : il a promis de repartir pour un an avec nous. Pour le remercier, nous lui offrons cette petite fable amérindienne racontée par l’agriculteur-essayiste Pierre Rabhi, pleine d’espoir et qui dit, mieux que nous, l’importance de trouver chacun sa place dans la forêt.

« Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !” Et le colibri lui répondit : “Je le sais, mais je fais ma part”. »

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