16min

Bruxelles. Au nord, c’étaient les shoppings

shopping-projet
Nicolas Belawez. CC BY-NC-SA.

L’immobilier commercial a horreur du vide. Et des espaces vides, il y en a au nord de Bruxelles. Tout comme sur le plateau du Heysel, cet héritage hétéroclite de l’urbanisation bruxelloise. Pour le réhabiliter, les autorités de la capitale pactisent avec un géant français de la promotion immobilière. Une bonne idée ? Pas sûr.

Un jour, José Manuel Barroso appelle Charles Picqué, fou de rage. » Début 2007, le président de la Commission européenne veut attirer à Bruxelles une conférence mondiale sur le Darfour. Mais, faute de capacité d’accueil suffisante dans la capitale de l’Europe, c’est finalement à New York que l’événement sera organisé. « Barroso chiait des clous. Quelques jours plus tard, à Cannes, pour le Mipim, Charles a une fulgurance matinale. Il est comme ça, Charles, il est du matin. Il se rend compte qu’il nous manque un centre de convention de dimension supérieure. »

Le Mipim, c’est le Marché international des professionnels de l’immobilier, la grand-messe du city marketing, où les villes s’exposent et courtisent les investisseurs. Et celui qui tutoie ainsi Charles Picqué, l’ancien ministre-président de la Région bruxelloise, s’appelle Henri Dineur.

L’homme est son ancien chef de cabinet, et ancien échevin de l’urbanisme, à Saint-Gilles. Il a fait aboutir plusieurs chantiers difficiles, comme la rénovation du quartier de la gare du Midi, non sans susciter quel­que controverse. Recasé dans les instances de gestion du plateau du Heysel, il supervise le réaménagement de cette vaste zone au nord de Bruxelles, où cohabitent des palais d’exposition décrépits, des parcs de loisirs et un stade de foot à l’avenir incertain. Il pousse le projet avec la détermination de ceux qui connaissent le temps lent de la transformation urbaine, « par dix ans ou des multiples de dix années ».

Effet Bilbao

Charles Picqué, explique Henri Dineur, est subitement acquis à l’idée que Bruxelles doit se doter d’un grand centre de conférences pour asseoir sa place internationale. Cette prise de conscience résonne comme la fin d’une époque amorcée avec la création de la Région bruxelloise en 1989. Avec l’institution régionale, les Bruxellois se réappropriaient leur ville ravagée par des décennies de promotion immobilière sauvage et de politiques tout-à-la-voiture. Les années 1990 furent celles des contrats de quartier, qui devaient remailler délicatement le tissu urbain déchiré. Leur bilan est contrasté aujourd’hui, mais Picqué assume. « On ne doit pas venir m’ennuyer en me disant que c’est du cosmétique », lâche-t-il quand on le titille sur le sujet.

Mais le début des années 2000 relègue à l’arrière-plan cette politique joliment qualifiée d’« acupuncture urbaine ». La crise financière n’a pas encore frappé, le crédit abonde et gonfle des bulles immobilières autant que les appétits de construction des élus locaux. La compétition entre les métropoles européennes s’exacerbe. À Bruxelles comme ailleurs, on recherche l’« effet Bilbao », du nom de cette ville industrielle revitalisée grâce à la construction de l’iconique musée Guggenheim.

Les villes, désormais mises en concurrence, s’efforcent de rayonner grâce à des constructions emblématiques. Bruxelles se lance dans la compétition en 2007 et charge PricewaterhouseCoopers de préparer un plan de développement international (PDI). Le cabinet d’audit y épingle les infrastructures manquantes. « Quand on cite Paris, Londres ou Barcelone, immédiatement on pense à un monument principal, un ou plusieurs grands écrivains ou personnages historiques, un grand peintre ou musicien, des événements historiques, une grande avenue, un grand parc […]. Toutes les analyses réalisées sur Bruxelles convergent pour dire que la ville manque d’incarnation et a des lacunes en termes d’image. La priorité est de construire une stratégie d’image pour Bru­xelles », écrit PwC. Et parmi les « sept clés » proposées pour le rayonnement de Bru­xelles, le cabinet d’audit envisage un mégacentre de congrès, capable d’accueillir des barnums internationaux chers à Barroso.

Le Heysel, déjà tourné vers les grandes expositions, est le lieu tout trouvé de cette vocation internationale. Les socialistes, au pouvoir à la Région-capitale comme à la Ville de Bruxelles, s’attellent à mettre en œuvre les recommandations du PDI.

Périphéries commerciales

Le problème avec ce genre d’infrastructure, c’est que c’est affreusement coûteux, et pas rentable pour un sou. Pour financer le centre de congrès, les autorités bruxelloises envisagent dès lors d’y adjoindre un centre commercial. Le projet NEO naît de ce montage : son premier volet (NEO1) verra la naissance d’un shopping dernier cri, dont le loyer (ou canon) financera la construction du centre de congrès (NEO2). Et pour une fois, Bruxelles semble retenir les leçons de son passé : plutôt que d’ajouter une nouvelle couche d’urbanisation à toutes les strates empilées au Heysel depuis l’Expo 58, on charge le bureau d’architectes néerlandais KCAP de concevoir un master plan garantissant la cohérence de l’ensemble.

Le chantier NEO1 est finalement confié, après une longue procédure de dialogue compétitif, à un consortium emmené par le géant français Unibail-Rodamco. Numéro un de l’immobilier commercial en Europe, ce dernier obtient une concession de 99 ans pour développer des commerces sur 72 000 m2 (le « Mall of Europe »). En contrepartie, le consortium paiera un « canon » d’environ 160 millions d’euros à la Ville de Bruxelles.

Les édiles bruxellois se frottent les mains : le centre commercial, espèrent-ils, permettra de capter une clientèle flamande toute proche, ainsi que la nouvelle population bruxelloise, appelée à grandir de plus de 150 000 personnes durant la décennie en cours. Quant aux futurs congressistes, « ils dépensent chaque jour 400 euros », avance Henri Dineur. Un chiffre sérieusement remis en cause (le chiffre de 250 euros est plus souvent cité), mais peu importe. Dans une ville où le taux de chômage des jeunes flirte avec les 30 %, on ne pinaille pas avec ce genre de détail.

La cause est d’autant plus entendue qu’un « schéma de développement commercial » commandé par la Région semble faire état d’un manque de surfaces commerciales au nord de la capitale. Les promoteurs privés n’ont d’ailleurs pas attendu : le groupe Mestdagh vient d’achever la construction de 44 000 m2 de magasins dans un nouveau shopping appelé Docks, ouvert en octobre dernier, tandis qu’un peu plus loin, de l’autre côté de la frontière linguistique, Uplace se propose de révolutionner le concept de centre commercial sur 55 000 m2. Au total, ce sont donc plus de 170 000 m2 de magasins, l’équivalent de douze étages de City 2, qui vont être bâtis dans un rayon d’une dizaine de kilomètres.

Croissance finie

Les surfaces commerciales peuvent-elles ainsi croître indéfiniment ? « C’est une vraie question aujourd’hui, on est à un tournant : est-ce que c’est légitime de continuer à augmenter les mètres carrés commerciaux ? », interroge Benjamin Wayens. Ce géographe spécialisé dans les implantations commerciales ne croit pas aux prévisions catastrophistes pour le centre de Bruxelles : ce ne sont pas quelque 300 ou 400 commerces qui vont sérieusement concurrencer les 20 000 points de vente bruxellois, à la différence de ce qui se produit dans des villes plus petites. Mais il s’inquiète du risque de « cannibalisme » entre les enseignes, d’autant plus qu’« on est dans une époque où la vente dans le commerce de détail a tendance à stagner ».

D’autres experts sont plus alarmistes. C’est le cas de Jean-Luc Calonger. L’auteur du schéma de développement commercial, cité abondamment par les promoteurs de NEO, estime que son étude a été instrumentalisée. « Si vous lisez le document, vous verrez qu’on n’a jamais dit qu’il fallait développer l’offre commerciale au nord de Bruxel­les », nous explique-t-il. Ah bon ? On aurait été induits en erreur ? « C’est une interprétation du rapport faite par différents réseaux. »

D’autres analyses ont été quelque peu distordues pour faire penser que le besoin de surfaces commerciales était avéré. Le communiqué de presse de lancement de NEO souligne que « Bruxelles pourrait accueillir 233 000 m² supplémentaires pour atteindre simplement la moyenne des grandes surfaces, selon le professeur Grimmeau (géographie-sociologie urbaine, ULB) ». Cette interprétation des travaux de Jean-Pierre Grim­meau s’avère en réalité très partielle, pour ne pas dire partiale. « N’a été retenu que ce qui était favorable au développement commercial », affirme l’intéressé. À ses yeux, si la croissance de la population bru­xelloise « semble compatible avec la création de la surface cumulée des trois centres commerciaux », il n’y a pas pour autant « de légitimité à ce que ces projets s’approprient toute l’extension possible. Il faut laisser de la place pour l’extension dans les noyaux commerçants ».

Mais la logique financière est peu perméable à ce genre de considérations. C’est que l’argent doit bien être investi quelque part, d’autant plus que les taux d’intérêt sont au plus bas. Il y a dix ans, les investisseurs se ruaient sur les immeubles de bureaux. Aujourd’hui, Bruxelles se retrouve avec un océan de bureaux vides, hérités de cette spéculation. L’argent s’est donc tourné vers le logement et le commerce. Il n’y a pas que les grosses pointures, type NEO ou Uplace : des « boîtes à chaussures » se multiplient en bordure des petites villes. Un grand parking, une petite dizaine d’enseignes, un MacDo, une plaine de jeux si on a de la chance… Ces retail parks offrent aux investisseurs (et aux bourgmestres) des perspectives de recettes faciles, avec un rendement plus élevé que d’autres classes d’actifs.

« Il y a une bulle spéculative, c’est évident, analyse Jean-Luc Calonger. Et tout doucement, les investisseurs commencent à se méfier des actifs toxiques » dans l’immobilier commercial : les titres financiers adossés aux centres commerciaux se refileraient comme au jeu du valet puant. À charge pour celui qui conserve le titre au moment de la faillite de payer l’addition.

À Paris, les nouveaux centres commerciaux périphériques, tels qu’Aéroville ou Le Millénaire, « ont tous du mal à trouver leur vitesse de croisière », note Jean-Luc Calonger. Et « sur le marché américain, il y a des déconvenues majeures ».

Serge Fautré, patron d’AG Real Estate, très gros investisseur dans l’immobilier commercial en Belgique (Westland Shopping Center, City 2, galeries Anspach, etc.) ne dit pas autre chose. « Sur un centre mal développé, vous pouvez perdre 25 à 30 % de l’investissement. Si vous ne vous trompez pas, vous avez un retour de 4 à 6 %. » Or, vu la croissance limitée du pouvoir d’achat, le pays ne pourra plus digérer beaucoup de nouveaux shoppings, estime-t-il. Au nord de Bruxelles, « il y a probablement de la place pour un centre », certainement pas pour trois.

La concurrence féroce que se livrent les promoteurs de Uplace, de Docks et de NEO s’explique. Ce sont des millions d’investissements qui pourraient partir en fumée. Pour les collectivités locales, le risque est de gaspiller un foncier précieux, dans des zones densément peuplées où l’équilibre entre les différentes fonctions (logement, commerce, loisir, etc.) est fragile.

Bouchons en perspective

Autre risque pour le nord de Bruxelles : celui de voir le trafic déjà dense s’embouteil­ler davantage, en particulier sur le ring. Chaque promoteur insiste sur l’accessibilité de son site : dans chaque cas, l’augmentation du nombre de déplacements en voiture serait gérable. Mais la combinaison de trois gros centres commerciaux, dans une zone déjà réputée pour sa circulation infernale, risque bien de mettre le trafic à l’arrêt. Un rapport flamand d’incidences environnementales (MER) tend à montrer que la croissance du nombre de déplacements en voiture ne pourra pas être absorbée par les infrastructures existantes, même en tenant compte des investissements prévus, comme l’élargissement du ring. Pour Inter-Environnement Bruxelles, la cause est entendue : « Créer trois centres commerciaux rend nul et non avenu tout investissement dans la politique de mobilité. » Même des partisans des projets avouent à demi-mot que les problèmes de mobilité risquent d’être dantesques et aggravés encore par le futur stade national de football. Mais tous défendent leur propre légitimité à bâtir un centre commercial, sans trop se préoccuper de l’impact global.

Avec, en outre, les travaux d’élargissement du ring, prévus en 2019, les automobilistes peuvent donc s’attendre à passer encore de nombreuses heures coincés dans les bouchons… à moins de préférer les transports en commun. Et force est de constater, à cet égard au moins, que le projet NEO sera bien mieux desservi que ses concurrents, qui misent tout ou presque sur la voiture.

Au nom de l’emploi

Embouteillages, risques financiers, concurrence avec le centre-ville… Ces risques, les autorités de Bruxelles sont prêtes à les assumer au nom de la lutte contre le chômage qui fait rage dans la population peu qualifiée. « On est dans une société de services où le fait d’avoir un diplôme, particulièrement dans une capitale européenne comme Bru­xelles, est fondamental », argumente l’échevin Philippe Close, en charge du projet NEO à la Ville de Bruxelles. « Moi, dans le quartier Anneessens où j’habite, et dans les poches de pauvreté, beaucoup de gens n’ont pas leur CESS (certificat d’enseignement secondaire supérieur, NDLR), malgré l’enseignement obligatoire. On veut essayer de permettre à cette population moins qualifiée d’accéder à l’emploi. »

De combien de jobs parle-t-on ? Quelque 3 000 emplois sont évoqués pour le centre commercial. Mais ici aussi, les experts se montrent nettement plus prudents que les politiques. « Il ne faut pas imaginer que tout accroissement des surfaces engendrerait de facto un accroissement proportionnel de l’emploi », tempère une étude récente de Benjamin Wayens. Comme les autres secteurs, le commerce améliore sa productivité. La multiplication des centres commerciaux ne permet donc pas nécessairement d’augmenter l’emploi au mètre carré. D’autres facteurs, comme le développement du commerce électronique, tempèrent aussi les optimismes. « On est en quelque sorte à “enveloppe fermée” et les croissances à un endroit seront probablement compensées par des pertes ailleurs », nous précise l’auteur.

Côté syndical également, la prudence est de mise. « On a de gros doutes sur lacréation nette d’emplois, avance Benoît Dassy (CSC). On pense qu’il y aura plutôt une migration d’emplois. À moyen terme, s’il y a quelque chose, ça ne va pas être faramineux. » Le cas d’une grosse enseigne de sport illustre cette crainte : Sports Direct vient de décider d’ouvrir un magasin à Docks, mais fermera son enseigne du haut de la ville.

Maquettes et toboggans

Avant qu’un emploi ne soit créé sur le plateau Heysel, plusieurs dizaines de jobs passeront à la trappe avec la fermeture annoncée d’Océade, le parc aquatique bien connu des Bruxellois. « Numéro un en toboggans en Belgique », proclame fièrement la publicité. Son patron, Thierry Meeùs, a bataillé ferme pour ne pas devoir détruire sa piscine, rentable sans subventions. « Océ­a­de pourrait rester, mais ça gâcherait la vue de 30 appartements de luxe », maugréait-il quand nous l’avons rencontré en mai dernier. L’attraction, insiste-t-il, est plébiscitée par la population locale, notamment dans les quartiers défavorisés. Un exercice mené à Molenbeek par Inter-Environnement Bru­­­xelles (IEB) confirme cette valeur sociale : quand on demande aux jeunes d’établir une « carte mentale » de Bruxelles, Océade est l’un des rares lieux qu’ils sont capables de nommer en dehors de leur propre quartier. Les promoteurs engagés dans le marché public de NEO n’ont pas voulu intégrer un parc à toboggans un peu kitsch dans leurs projets. Thierry Meeùs a fini par s’y résoudre : il a remis aux autorités un plan de démolition d’Océade et a déclenché début novembre une procédure Renault pour licencier son personnel (une trentaine d’équivalents temps pleins). Sauf rebondissement, le parc fermera définitivement ses portes en janvier.

L’homme est par contre sur le point de sauver son second projet, Mini-Europe. Cette attraction emblématique du tou­ris­­­me bru­xellois a elle aussi failli passer à la trappe. Henri Dineur, grand maître de NEO, ne cachait pas son mépris pour ce parc, jugé carrément « moche ». Dans le futur temple du tourisme d’affaires haut de gamme, Mini-Europe faisait tache, et la Ville de Bruxelles a tenté d’expulser son encombrant locataire.

C’était compter sans l’entêtement de ce patron viscéralement attaché à ses petites maquettes, qu’il a refusé obstinément de revendre, et plus encore de mettre à la casse. La saga, rocambolesque, s’est étalée pendant des années dans les pages locales des journaux : les maquettes allaient déménager dans le Brabant wallon, à la côte belge ou jusqu’au Monténégro. Un mini-tour d’Europe pour finalement revenir à la case Heysel : le parc sera bien intégré au projet NEO. Des négociations sont en cours avec le promoteur Unibail-Rodamco, sous la houlette de la Ville. Celle-ci s’est assurée de garder la main : elle a contraint Meeùs de remettre également un plan de démolition pour Mini-Europe, histoire de parer à toute nouvelle foucade de l’imprévisible patron.

Créativité juridique

La neutralisation de Thierry Meeùs ne signifie pas la fin des soucis pour les promoteurs de NEO. La base légale fragile du projet menace de faire s’effondrer comme un château de cartes les jolies constructions des catalogues promotionnels. Car les autorités bruxelloises n’ont pas exactement travaillé dans les règles. Le Heysel n’étant pas au départ destiné à accueillir autant de surfaces commerciales, le Plan régional d’affectation du sol (PRAS) a été modifié rétrospectivement. « Ce n’est pas la manière la plus élégante de travailler, mais j’assume totalement », témoigne l’une des chevilles ouvrières de l’artifice. Dans les rangs socialistes bruxellois, on estime bénéficier de la légitimité politique pour faire avancer le projet, indépendamment des chipotages juridiques.

Le Conseil d’État n’est – évidemment – pas du même avis. Dans un arrêt rendu fin 2015, la haute juridiction administrative a renvoyé les politiques à leurs bricolages. Principal manquement épinglé : les autorités n’ont pas produit d’étude d’incidence environnementale permettant de prouver la vocation commerciale du plateau du Heysel. Et pour cause : comme on l’a vu, cette vocation n’a rien d’évident. Bien déterminée à poursuivre le projet, la Région bruxelloise a mandaté le bureau d’études Aries pour produire – rétrospectivement à nouveau – une analyse comparant différents emplacements alternatifs, tout en sachant qu’il n’était nullement question de changer de cap. Cet exercice périlleux a donné lieu à un rapport de près de 600 pages pondu en quatrième vitesse. La manœuvre sera-t-elle recalée à nouveau par le Conseil d’État ? Qu’est-ce que cela signifierait pour la poursuite du projet ? L’annulation du PRAS est une condition suspensive du contrat avec Unibail-Rodamco. Pour parer à cette éventualité, loin d’être invraisemblable, un avenant a été négocié récemment entre la Ville et le promoteur. « Les parties se sont mises d’accord pour continuer à travailler quand même, sur la base des indications de la Région et la confiance des parties sur le fait que le projet puisse redémarrer sur la base d’un nouveau PRAS », indique-t-on à la Ville de Bruxelles.

Confiance ou méthode Coué ? En cas de nouveau désaveu au Conseil d’État, les dirigeants bruxellois auraient une dernière carte dans leur manche : faire approuver un PPAS, plan particulier d’affectation du sol, au niveau communal cette fois, afin de donner au projet un semblant de base juridique. Pour l’heure, pas grand monde ne croit que le projet pourra être réellement bloqué, tant est forte la volonté politique de le voir aboutir.

NEO2, le retour

Alors que NEO1 reste empêtré dans ce micmac juridique, Henri Dineur et la Ville de Bruxelles travaillent d’arrache-pied à lancer NEO2. Rappelez-vous : le centre de convention, auquel on adjoindra un hôtel de standing, était l’objectif initial de toute cette histoire. Il doit placer Bruxelles au sommet mondial des villes de congrès, tout en la dotant d’un bâtiment emblématique. En juin dernier, trois architectes de réputation mondiale étaient encore en lice, chacun adossé à des géants de la promotion immobilière : le Français Jean Nouvel, le bu­reau Henning Larsen et l’Office for Metro­politan Architecture (OMA) du Néerlandais Rem Koolhaas. Mais ce dernier, qui était associé à BAM, Galère et Ghelamco, a été écarté en juin dernier par la Ville de Bru­xelles. Pourquoi ? Difficile de le dire. Les acteurs de ce dossier se taisent dans toutes les langues. À la lecture d’un arrêt du Conseil d’État rendu le 18 juillet 2016, on comprend que le consortium a tenté d’imposer une construction juridique boiteuse, basée sur un financement incertain. Le sulfureux patron de Ghelamco, Paul Gheysens, déjà engagé dans le projet controversé de stade national, a-t-il une nouvelle fois tenté de refiler au contribuable une facture indigeste (voir Médor no 3) ? Nous n’en saurons pas davantage.

Pour Bruxelles, cette exclusion est en tout cas « extrêmement dommage, car on perd un candidat de très grande réputation et la compétition devient trop restreinte et duale », estime le maître architecte (bouwmeester) Kristiaan Borret. Le bureau de Rem Koolhaas « a déjà produit beaucoup de bâtiments remarquables, aussi bien par leur qualité architecturale en tant qu’objet que pour leur rapport au contexte urbain (Euralille, Bibliothèque centrale de Seat­­tle, CCTV Headquarters à Pékin, etc., NDLR) ». Or, « il est crucial de contribuer à la constitution d’un quartier de ville et de s’insérer dans le contexte historique et la qualité paysagère du plateau du Heysel », ajoute Kristiaan Borret.

Bruxelles, passant ainsi à côté de « son » Rem Koolhaas, loupe une chance d’avoir son petit effet Bilbao à elle. Deux noms prestigieux restent en lice. Le jeu en valait-il la chandelle ?

Centre commercial contre centre de congrès, emplois contre embouteillages, logements haut de gamme contre toboggans : ce grand troc affectera durablement la physionomie de Bruxelles et de son hinterland. Une chose est certaine : la concurrence entre Régions, qui se lit en filigrane de la compétition que se livrent NEO et Uplace, n’offre pas le meilleur cadre pour penser le développement territorial.

Quoi qu’on en pense, le dossier est voué à défrayer la chronique pendant de longues années encore. NEO, en bonne saga, sera une trilogie. D’ici quelques années, NEO3 devra en effet réhabiliter l’espace laissé vacant après le démantèlement du stade Roi-Baudouin… De quoi donner du travail à Henri Dineur pour dix ans. Voire pour un multiple de dix années.

Tags

Dernière mise à jour

Un journalisme exigeant peut améliorer notre société. Voulez‑vous rejoindre notre projet ?

La communauté Médor, c’est déjà 3441 abonnés et 2037 coopérateurs

Vous avez une question sur cet article ? Une idée pour aller plus loin ?

ou écrivez à pilotes@medor.coop

Médor ne vous traque pas à travers ses cookies. Il n’en utilise que 3 maximum pour la sécurité et la navigation.
En savoir plus