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Les images médicales brisent leurs chaînes

Numérique à brac

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Contrôlée par des géants capitalistes, l’imagerie médicale, essentielle aux soins de santé, s’ouvre au logiciel et au matériel libres. La preuve avec Orthanc, logiciel belge primé, et echOpen, un échographe portatif qui pourrait profiter aux pays du Sud.

Dans Le Seigneur des Anneaux, Orthanc est la tour du maléfique mage Saroumane, qui y abrite le Palantir, une puissante pierre de vision. En Belgique, Orthanc c’est aussi un logiciel qui a valu à son créateur Sébastien Jodogne une sorte de prix Nobel. En 2015, la Free Software Foundation a accordé son prestigieux prix pour l’avancement du logiciel libre à ce jeune ingénieur visétois qui bidouille activement du code au CHU de Liège.

Contrairement à Saroumane et sa tour, Orthanc a une portée bénéfique pour la société. Il permet de fluidifier les échanges d’images médicales au sein d’un hôpital. Par exemple entre une machine qui traite le cancer avec des rayons et un scanneur qui va la nourrir d’images pour calibrer le traitement. Ou entre un hôpital A et un hôpital B. Mais le trajet des images est semé d’embûches. Les problèmes de compatibilité entre machines sont légion et les échanges se font souvent sur CD-Rom, parfois envoyés par la poste. Orthanc permet donc aux équipes médicales de gagner en temps et en efficacité.

Si Sébastien Jodogne a obtenu son prix, c’est parce qu’il diffuse Orthanc (près de 10 000 téléchargements, des États-Unis à la Malaisie) avec une licence libre. En gros, à l’inverse d’un copyright, cette licence permet de télécharger Orthanc gratuitement mais surtout de copier, d’étudier et de modifier le code source du logiciel selon ses besoins et de partager ces modifications. Si vous utilisez LibreOffice au lieu de Microsoft Office, le navigateur Mozilla Firefox ou le site Wikipédia, vous manipulez tous les jours des outils utilisant des licences libres. Mais celles-ci ne se limitent pas aux logiciels et peuvent s’appliquer aussi au matériel (le hardware).

Transformer le diagnostic

En 2014, le marché de l’imagerie médicale pesait 29 milliards d’euros. Il est dominé à 80 % par General Electric, Siemens et Philips. Trois géants friands de logiciels dits propriétaires et de matériel « fermé », qui empêchent l’accès à leur code source et vous privent de garantie si ce n’est pas un technicien maison qui répare. Face à cette logique de repli, le monde du libre entame des incursions pour amener une autre façon de regarder l’intérieur de nos corps.

Né en France, le projet echOpen veut développer une « sonde d’échographe open source, low-cost, branchée sur un smartphone à destination des professionnels de santé des pays du Nord et du Sud, visant à la transformation radicale de l’orientation diagnostique ». Avec sa petite sonde portative, echOpen cherche en fait à « démocratiser » l’échographie, qui nous permet, grâce à des ultrasons, d’étudier non seulement un fœtus qui grandit, mais aussi nos organes abdominaux, notre cœur, nos ligaments, vaisseaux et bien d’autres.

« Les échographes sont actuellement un outil réservé aux radiologues, ils sont volumineux et chers : parfois plus de 40 000 euros », rappellent des contributeurs au projet, soutenu notamment par la Fondation Pierre Fabre, aile caritative du groupe pharmaceutique français.

Pourquoi l’échographie serait-elle la chasse gardée des départements d’imagerie médicale ? La question posée par echOpen est révolutionnaire dans un secteur où les services sont trop souvent cloisonnés. Un généraliste pourrait s’en servir pour « valider ou invalider une orientation diagnostique en même temps qu’elle est formulée : est-ce grave ou pas ? quels sont les organes lésés ? » Et, du coup, éviter d’envoyer les patients systématiquement aux urgences, ce qui engendre souvent des coûts inu­tiles pour la Sécu.

Médecine à distance

L’aspect portable de la sonde engendre une légère baisse de la qualité d’image mais pourra aider des ambulanciers ou des pompiers sur des lieux d’intervention où il est difficile de déplacer un blessé. Bien sûr, des échographes portatifs sont déjà commercialisés, mais à des prix prohibitifs : 8 000 à 12 000 euros. Celui d’echOpen sera « cinquante fois moins cher ». Le matériel, ses plans et les manuels d’utilisation seront en licence libre, diffusés sur Internet. N’importe quel technicien compétent pourra réparer l’échographe.

Les étudiants en ingénierie biomédicale de l’Université libre de Bruxelles devraient bientôt devenir contributeurs d’echOpen. Olivier Debeir, un de leurs professeurs, proposera dès l’automne de travailler côté logiciel à l’amélioration de la qualité de l’image : « L’imagerie à ultrasons permet de travailler sur les domaines physique, mathématique et informatique, le tout en relation avec un vrai enjeu de société, explique-t-il. L’ouverture du code permet d’exposer son travail à la critique constructive et de garantir que le jour où un format de fichier sera abandonné par le fabricant, un autre acteur pourra maintenir un lecteur d’image compatible. »

Plus au sud, les contributeurs d’echOpen imaginent un rôle pour leur sonde en médecine de brousse et dans les « déserts médicaux », où le matériel manque. Grâce à l’envoi des images par les réseaux 3G, en pleine croissance en Afrique, les « infrastructures sanitaires peu développées » peuvent recevoir des diagnostics à distance de spécialistes.

En attendant, les contributeurs d’echOpen codent, « hackent » et fabriquent à plein tube : un prototype doit aboutir ce printemps et la version « intégralement open source » sortira cet été.

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