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Les aides du désir

Cul, intimité et galipettes

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lucie castel. CC BY-SA.

Sophie est « assistante sexuelle ». Trois fois par mois, sans aucun statut reconnu, elle passe une heure auprès d’un handicapé, physique ou mental, le temps de jeux érotiques, de massages, parfois de pénétration. Un moment qu’elle qualifie d’« intime, fort et libre ».

C’était avec un jeune homme « retardé mentalement ». Il n’avait jamais eu de relation sexuelle et « voulait “essayer le sexe”, sans que cela ne recouvre une réalité claire pour lui ». Elle a été accueillie par sa mère et un assistant social, au domicile familial. C’était sa toute première intervention.

« Nous nous sommes éloignés tous les deux, dans sa chambre. Il ne parlait presque pas. J’ai commencé à lui dire qu’on était ici à deux, qu’il devait se sentir à l’aise, qu’il devait me dire si je faisais quelque chose qui ne lui plaisait pas. Je l’ai aidé à se déshabiller, lui ai proposé de le masser. Il était raide comme une planche, mais peu à peu, il s’est détendu. Je lui ai expliqué des choses sur la femme, sur le corps. Quand on est redescendus, sa maman m’a dit : je sens que ça s’est bien passé. Elle a fondu en larmes, ne cessant de me remercier d’avoir pris soin de son garçon. Ce sont des moments qui ne s’oublient pas. »

Petit foulard discret noué autour du cou, regard doux et cheveux courts, la femme qui me raconte cet instant infiniment intime ne ressemble à aucun fantasme. Elle ne me donnera ni son nom ni son prénom. Nous l’appellerons Sophie. C’est une quadra bruxelloise classique et élégante. De grands yeux clairs lui dévorent le visage.

Besoin de profondeur

Sophie est assistante sexuelle – elle préfère dire « accompagnante » – depuis trois ans. Trois fois par mois, environ, elle passe une heure avec une personne handicapée, qui la paie cent euros pour un « accompagnement sexuel ». Sophie ne fait pas cela pour l’argent. Elle a un boulot, qui la fait vivre depuis bien longtemps. Alors qu’elle cherchait un nouvel engagement personnel, elle a découvert à la télé flamande le témoignage d’un assistant sexuel, encadré par l’asbl Aditi. « C’était fort et juste. Surtout, je voyais qu’il était encadré par des professionnels, avec un feed-back permanent, une formation. Ça m’a rassurée. »

Elle n’avait jusque-là jamais côtoyé de personnes handicapées. Ni fréquenté le milieu de la prostitution. « J’ai fait toute ma carrière dans l’événementiel, pour des clients très riches, sans limites financières. C’est un milieu où l’échange, la reconnaissance sont très rares. J’avais besoin de plus de profondeur dans les rapports humains. Je voulais aussi rendre quelque chose à la vie, qui m’avait gâtée. »

Sophie ne peut pas résumer en quelques phrases sa mission d’assistante sexuelle. « Je propose un moment d’intimité, de liberté, de redécouverte, de réinvestissement de l’estime de soi, ou d’apprentissage. » Parfois, c’est un jeune qui n’a jamais été « touché » de sa vie autrement que pour être lavé, soigné ou déplacé. Ou un autiste, à qui il faut apprendre à se masturber sans se blesser. Ou encore un couple de personnes handicapées, qui a besoin d’un tiers pour les aider à se mouvoir et faire l’amour.

Redevenir un homme

Quand Sophie intervient, c’est bien de sexe qu’il s’agit, « mais pas uniquement au sens où les gens se l’imaginent : entre les médicaments, la condition physique réduite, avoir une érection est parfois difficile, donc la pénétration aussi ».

Elle me raconte ces sursauts de rire partagés avec un homme, handicapé à la suite d’un accident, incapable d’avoir une érection. « On se déshabille tous les deux et on s’amuse. Je lui fais souvent un strip-tease. Ce moment, c’est un espace de liberté, où il se sent enfin redevenir un homme, viril, et non plus un infirme dont on doit s’occuper. »

« Pour faire cela, il faut aimer le sexe ! Mais quand je dis que j’aime le sexe, ça ne veut pas dire que j’aime les pipes et la pénétration, je parle plutôt du langage du corps. » Sophie me touche le bras. Sa main est chaude, je comprends un chouïa ce qu’elle veut dire. Elle me parle de la société qui fuit les corps, qui a « oublié le toucher, l’émotion ». Elle m’explique sentir qu’elle peut « apporter ça ». « Je ne prends aucun plaisir physique ou sexuel. Mais quand je laisse une personne handicapée me prendre dans ses bras, me regarder, c’est un échange intense, plus profond qu’un simple échange intellectuel. »

Sa toute dernière intervention, elle l’a passée avec un professeur d’université, économiste, la cinquantaine passée, victime d’un Parkinson fulgurant. En une semaine, il avait perdu la quasi-totalité de ses facultés motrices, il était dévasté. Il avait passé des jours à s’enfiler des pornos, envisagé mille et une solutions, avant de faire appel à elle. « Il s’était préparé pendant quatre jours, avait suivi un régime strict, rien que pour me voir une heure. On s’est déshabillés, je l’ai caressé, nous avons discuté. Il m’a parlé de sa femme, qu’il aimait éperdument et qui avait délaissé complètement son corps. Il me demandait des conseils. C’était un vrai moment de partage intime. »

Le secret de Sophie

Sophie pointe les prérequis pour être assistant sexuel : « Être bien ancré, ne pas chercher une thérapie ni attendre quelque chose en retour. » Et être vigilant sur l’hygiène. « Il arrive que la personne ne soit pas propre, ni son logement. Il faut oser repartir illico si les règles ne sont pas respectées. »

Aujourd’hui, Sophie n’a aucun statut reconnu, et sait que son activité est perçue comme de la prostitution. Ne pas reconnaître cette activité est un leurre, selon elle. Jusqu’à présent, seul son mari est au courant. « Personne d’autre ne le sait. Ça ne sert à rien, je ne pourrais pas leur faire comprendre. Quand il s’agit de sexe, les gens projettent leurs propres problèmes ou tabous sur le sujet. Pour la sexualité en général, il y a déjà tellement de non-dits, de morale. Alors imaginez pour l’accompagnement sexuel… Je n’ai pas besoin de reconnaissance, de compréhension ou de regard moralisateur. Je sais ce que je fais. »

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