« Ce pays est foutu ! »

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lucie castel. CC BY-NC.

La N-VA a donc relancé la chaudière communautaire annonçant l’indépendance de la Flandre dans une grosse décennie. Larguez les amarres ? Pas sûr du tout, pour autant que l’on porte aux politiques le coup qu’ils redoutent le plus au monde : faire… sans eux.

Parfois, la mélancolie engendrée par des élites politiques frileuses et claniques l’emporte sur la jouissance de vivre dans le pays le plus rock’n’roll du continent. Je me plais alors à penser en guise de remontant qu’il suffirait pourtant de trois fois rien pour que (feu ?) la Belgique figure, un jour, dans les manuels au chapitre « Les printemps politiques européens du XXIe siècle ». Quoi ! Nous aurions sous la main des Bolivar des Polders, des Lénine de la Baraque Fraiture, des Mandela du tunnel Stéphanie ? Oui et ces décrocheurs de lune, ces entrepreneurs de nouveau monde, ces casseurs de standards, vous les con­naissez : c’est vous. C’est nous.

« Respect de la démocratie »

Pour l’heure évidemment, ça branle dans le manche. Nous subissons les ukases d’un parti qui prétend dicter le tempo. Mais êtes-vous sûr de savoir comment les nationaux-populistes espèrent larguer les amarres ? Relisons leur catéchisme, cette pépite d’angélisme : « La N-VA ne veut mener aucune révolution et ne cherche pas de sécession. (…) Nous croyons en une évolution graduelle dans le cadre de laquelle un nombre croissant de compétences sont transférées à la Flandre et à l’Europe (…). Notre but final est une Flandre indépendante en tant qu’État mem­bre européen, mais le chemin pour y parvenir est jalonné d’étapes et doit être parcouru dans le respect de la démocratie. »

Chante fifi ? Oh non : depuis trois mois, tout s’accélère. Nous apprenons que, croix de bois, croix de fer, cette « Flandre indépendante » est attendue au cours de la troisième décennie du siècle. C’est dire si, en prévision du grand soir, la N-VA chauffe la colle et annonce qu’après les législatives de 2019, elle exigera du haut de son probable paquet de voix une nouvelle réforme constitutionnelle, un transfert massif de compétences et tout le toutim… Sale coup pour les innocents/les cyniques qui prétendaient qu’un tour du côté de la rue de la Loi « belgiciserait » la N-VA par osmose. Ainsi taclés, les partis traditionnels font subitement mine de souligner les lézardes d’un parti qui serait grossièrement divisé entre « Fundis » (les indépendantistes) et « Realos » (les ultraconservateurs). Mais en coulisse, entre caïds de droit quasi divin, on ébauche déjà une nouvelle mouture de gouvernement d’union nationale. On s’en cache à peine. Bref, la routine : petits meurtres, contre-alliances et vendettas.

Un référendum ? Évidemment !

Et nous là-dedans ? On fait quoi : un pèlerinage à Banneux ? On ira voter comme on se rend ? Comme on s’engouffre dans une nasse tressée tout exprès par de prétendus stratèges qui savent mieux que quiconque ce qui est « bon » et ce qui est « mauvais » pour nous ? Basta ! Il faut impérativement se réapproprier cette question de la partition. Non pas parce qu’elle est choquante ou innommable. Je ne verserai pas de larmes à l’enterrement éventuel de la Belgique mais à une seule condition : que rien ne nous soit imposé par un diktat. Par des gens qui, au sempiternel prétexte d’être des « élus du peuple », seraient investis d’un quelconque mandat de vie ou de mort.

Quoi dès lors : un référendum ? Évidemment. Oh il paraît que c’est « constitutionnellement hasardeux » alors que, « au prix de cinq minutes de courage politique » selon l’expression désormais consacrée dans les assemblées, il sem­ble que le vote d’une simple loi suffise. Ce serait surtout « dangereux » pour la santé. La N-VA, championne de l’autodétermination des peuples, évoque, c’est le pompon, les cadavres (wallons) de la Question royale.

Occupy Wetstraat

Il paraît – il paraît… – que « 15 % à peine » des Belges se prononceraient en faveur de la partition. On n’en sait fichtrement rien ! Le débat de fond, singulier, charpenté, n’a jamais eu lieu. Il serait sain et nécessaire, au nom du « respect de la démocratie », justement, que l’on ose nous demander notre avis plutôt que de continuer à parier aveuglément sur la décomposition psychologique de l’adversaire. À bricoler à longueur de décennie une tuyauterie institutionnelle digne de Mad Max.

L’anthropologue David Graeber, initiateur du mouvement Occupy Wall Street, a évidemment raison : « La seule façon de traiter avec les politiciens est de les menacer de faire sans eux… » Chez nous, des intellectuels comme David Van Reybrouck, des plates-formes citoyennes revigorantes comme Hart boven Hard/Tout Autre Chose, des élus aussi comme Kristof Calvo (Groen) et une nouvelle génération de politologues du Nord et du Sud ne disent pas autre chose et plaident désormais pour cet indispensable référendum. Lequel ne serait au fond qu’une mise en bouche, un premier essai de reconquête citoyenne. Une utopie ? Non : juste une sortie de mélancolie en rangs serrés.

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