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Bourgmestre unique

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Chiny est l’une des six communes wallonnes où une seule liste politique existe. Drôle de démocratie ? Bourgmestre de Chiny depuis 2006, Sébastian Pirlot a maté toute contestation. Un règne sans partage, qui soulève des critiques. Qu’importe, l’ancien député wallon et fédéral a déjà annoncé sa candidature pour 2024 !

Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! En juin, comme en mai, fais ce qu’il te plaît. Les votes se succèdent à une vitesse folle au conseil communal de Chiny. Pour le suspense, il faudra repasser, et pour cause, depuis près d’un an, et les dernières élections communales, il n’y a plus d’opposition. Aucune liste ne s’est présentée face aux électeurs et surtout, face à Sébastian Pirlot. En bout de table, il préside un conseil communal acquis à sa cause tout en donnant quelques précisions et détails sur l’ordre du jour. Détendu et habitué à cette tâche, il blague, rigole, égratigne une habitante à laquelle il porte peu d’estime et conclut la réunion en une trentaine de minutes.

Mais l’harmonie extérieure tranche avec les tensions internes au sein de la liste et du collège. À la droite du bourgmestre, Loïc Pierrard, premier échevin, ne fait pas de vague et il s’éclipse rapidement une fois les votes terminés. Deuxième score de la liste aux communales de 2018, le jeune homme est dans le viseur de son bourgmestre. Or, mieux vaut être avec Pirlot que contre lui. Homme politique d’expérience, ancien député wallon et fédéral, le bourgmestre a depuis 2006 réduit l’opposition communale à peau de chagrin à tel point qu’aujourd’hui, personne ne peut lui barrer la route. Retour sur une prise de pouvoir sans partage ni pitié.

La prise de pouvoir

Au moment des élections communales de 2006, Sébastian Pirlot est déjà secrétaire fédéral du Parti socialiste luxembourgeois, député wallon et premier échevin d’une majorité PS-MR dirigée par Michel Collignon (MR). Le torchon brûle dans la majorité et, un an avant les élections, le jeune socialiste de 35 ans exclut déjà, dans la presse, toute alliance avec son partenaire libéral. Il se tourne alors vers la troisième liste, à tendance humaniste, pour lui proposer un accord préélectoral. « Un accord que je n’ai jamais vu et qui ne concernait pas toute notre liste, puisque j’en étais exclu », rappelle Alain Dansart, conseiller communal humaniste. Pourtant, après avoir été élu bourgmestre, Sébastian Pirlot ouvre tout de même sa liste au cdH. Il n’y était pas obligé : il avait obtenu la majorité absolue. « On a voulu respecter notre accord, mais chez eux, au cdH, ça n’a pas été accepté. Le principal concerné n’a pas été échevin et il a siégé en tant qu’indépendant, en votant avec nous durant toute la législature. »

Six ans plus tard, un cartel MR-Écolo-cdH se rassemble face au bourgmestre sortant. Ce dernier propose une liste d’ouverture et tire profit de la fracture, toujours réelle, au sein du groupe humaniste. En campagne, Sébastian Pirlot est sans pitié. Ses adversaires ne font pas le poids et ils ressemblent à des amateurs à côté de ce professionnel de la politique. Lorsqu’il est interpellé sur la vente de terrains agricoles lors d’un débat sur TV Lux, la réplique fuse à l’égard d’une candidate MR : « Je constate que vous avez voté “pour” et que votre père a bénéficié de la vente de ces terrains. »

Entre rancune et ironie

Conseillère communale de l’opposition, Emmanuelle Florent (cdH) a encaissé ces attaques pendant près de dix ans avant de jeter l’éponge, comme plusieurs de ses colistiers : « Humainement, c’est très compliqué. Il faut juste ne rien dire, Sébastian n’aime pas avoir une opposition contre lui. C’était parfois odieux, il attaque les personnes. » La cheffe de groupe cdH n’a d’ailleurs pas été surprise de voir les trois élus MR quitter les rangs de l’opposition pour la majorité en cours de législature. « C’est plus simple et confortable d’être avec lui et de ne plus s’en faire un ennemi. » Un ancien adversaire politique, préférant garder l’anonymat, confirme avoir été sollicité pour rejoindre la majorité. « On ne m’a pas forcé la main, même si j’avoue avoir beaucoup hésité. Le bourgmestre tire profit des ambitions personnelles. On a tenté de m’assurer que le débat interne existerait et qu’on aurait plus de pouvoir pour faire avancer nos dossiers. Mais in fine, c’est toujours sa décision qui est prise en compte. Il vaut mieux avoir de bons arguments lorsqu’on contredit Pirlot depuis les bancs de l’opposition. Il démarre au quart de tour et est toujours dans l’affrontement. » Amateur et ancien joueur de rugby, Sébastian Pirlot est plus souvent comparé à un boxeur, polarisant et intimidant, prêt à décrocher une droite ou un contre fatal à tout moment. Lui qualifie sa communication de franche, directe, voire ironique. « Je dis les choses et je n’ai plus besoin de calculer mes propos. » Quant aux joutes verbales avec l’opposition, il justifie : « Certains ont mené une campagne électorale odieuse en 2012 en attaquant les personnes du collège. Je leur ai dit qu’ils allaient vivre un enfer. Ils l’ont eu. »

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Marie De Monti. CC BY-NC-SA

Au fil du temps, à Chiny, l’opposition renforce les rangs de la majorité ou jette l’éponge par lassitude, manque de motivation, voire par peur de représailles. En octobre 2018, c’est donc une liste unique qui s’est présentée aux électeurs. Un danger pour la démocratie ? « Toutes les opinions sont respectées, assure le bourgmestre. Ce n’est pas du tout dictatorial, comme on pourrait le penser. Je n’ai pas de souci que quelqu’un puisse s’abstenir sur un point. Les opinions personnelles n’ont pas à interagir avec la gestion communale. » Pour un ancien politique, par contre, le risque d’implosion existe et la nouvelle opposition pourrait profiter de fractures en interne : « On est plus forts en les laissant six ans entre eux. En présentant une liste et en envoyant quelques conseillers, on aurait fait le jeu de Pirlot. En étant dans l’opposition, j’étais la bonne poire, le “garant” de la démocratie. Je l’ai plus servi qu’autre chose. » Stratégie payante ?

Pirlot rempile

Les tensions internes n’ont en tout cas pas tardé à apparaître publiquement. « Certains, avec de l’ambition durant la campagne, ont pris des positions en solo pour des raisons électorales alors que j’avais bien dit que je n’accepterais pas un manque de loyauté », souligne Sébastian Pirlot qui avait promis les échevinats aux plus gros faiseurs de voix. Pour d’autres, les tensions sont apparues le soir des élections suite à une composition inédite du collège qui aurait perturbé les plans « initiaux ». Aujourd’hui encore, certaines personnes s’étonnent de la répartition des échevinats avec, comme exemple, la perte par Loïc Pierrard des compétences jeunesse et aînés. Un échevin qu’on dit peu motivé par ses nouvelles attributions.

Le bourgmestre, lui, est indéboulonnable. Et pour un bon bout de temps. Alors qu’il avait assuré se retirer de la vie politique au terme de la législature, Sébastian Pirlot a annoncé sa candidature (et son… élection) aux communales de 2024 dans le bulletin d’information local, dont on l’accuse d’en faire une tribune personnelle. « Tout en réfrénant des ambitions personnelles dévorantes qui bien que légitimes, sont actuellement tout à fait déplacées à cinq ans des élections (…) je viens d’accepter d’être tête de liste en 2024. La succession sera dès lors organisée lors de la prochaine législature (…) afin qu’arrive une personne modérée et ouverte. » Soit en 2030.

Une sortie synonyme de rappel à l’ordre. « Les tensions sont réglées, déclare-t-il à Médor. Que ça plaise ou pas, je serai candidat-bourgmestre dans cinq ans. Il faut respecter la ligne de conduite. Il n’y a pas de leader incontesté pour le moment derrière moi et je n’avais pas envie que le boulot que j’avais fait depuis 18 ans s’effondre brutalement. » Pas d’accord avec ça ? Le bourgmestre est très clair avec tout récalcitrant : « Soit il part, soit il est jeté. » Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Pas besoin de la presse

Une situation politique qui pose question, notamment sur la transparence des débats communaux. Le député wallon Écolo Jean-Philippe Florent, habitant à Chiny, s’en inquiète : « D’accord, l’opposition était à la fin déforcée (en 2018, NDLR), mais les conseils duraient plus de vingt minutes et la présence d’opposants politiques oblige, indirectement, à bien préparer les dossiers. Maintenant, il n’y a plus de questions. » La communication communale est d’ailleurs très limitée et centralisée. Estimant ne pas avoir besoin de la presse, Sébastian Pirlot se contente de son propre réseau de communication et de « son » bulletin communal. Résultat, la liste unique n’a pas participé au débat électoral sur TV Lux, les échevins se font discrets dans la presse et deux correspondants de L’Avenir Luxembourg ont été pris à partie par le bourgmestre après un papier. Sébastian Pirlot persiste et signe, justifiant tantôt « une question de respect et de protection via le reste des colistiers », tantôt « une presse versant dans le populisme (…) affirmant des choses fausses. »

La participation citoyenne

Si à la table du conseil, personne ne donne la réplique, une opposition citoyenne balbutie dans la commune. Après avoir appelé les habitants de Chiny à cocher les six derniers candidats de la liste pour favoriser un renouvellement du conseil communal, lors des dernières élections, un groupe de citoyens s’est mobilisé après l’annonce de la fermeture et la vente de l’école communale de Chiny. Après des années de tensions interpersonnelles au sein de l’équipe pédagogique, critiquée publiquement par le bourgmestre et obligée de constater la baisse du nombre d’élèves inscrits à la rentrée 2018, le conseil communal s’apprêtait en janvier 2019 à vendre l’école pour récupérer 300 000 euros de subsides perdus. Pour éviter cette issue, un groupe citoyen s’est mobilisé : « On a invité par mail l’échevine de l’Enseignement à une réunion d’information, Sébastian Pirlot a répondu à sa place en affirmant que la décision était irrévocable », souligne un de ses membres, Pierre-Rémi Schyns. Soutenu par d’autres villageois, il a posé sa question au conseil communal, une initiative perçue comme provocante par le bourgmestre : « J’ai reçu des courriers rabaissants, où il évoque mon incompétence, mon manque de connaissance du dossier… » Si le conseil a donné un délai de neuf mois aux citoyens pour trouver de nouveaux élèves, Pierre-Rémi se fait peu d’illusions : « Quoi qu’on propose, le collège verrouille tout et on n’a aucune information. » À Prouvy, localité voisine dépendant de l’administration de Chiny, le même schéma s’est répété : des parents ont demandé une copie du marché public concernant la cantine scolaire.

Leur volonté ? Envisager une nourriture bio à la cantine. Mais impossible d’obtenir les conditions du marché. « Le bourgmestre a jugé notre demande abusive et a précisé qu’il n’avait pas l’habitude de céder aux pressions de ses citoyens, souligne un parent. Dans un courrier, il a rappelé qu’on pouvait partir si on n’était pas contents, que les parents n’avaient pas à s’intéresser aux distributions des repas et qu’il pouvait purement et simplement les supprimer. » Pour Sébastian Pirlot, défenseur de la démocratie représentative, la participation c’est très « tarte à la crème ».

En se dédouanant de toute faute, il invite les citoyens à se faire élire pour peser sur les choix politiques de la commune. « Je n’aime ni les bobos-écolos ni leur volonté d’imposer leur manière de vivre aux autres. Je ne trouve pas normal qu’on veuille imposer dans une école des repas bio, trop chers pour d’autres. Les citoyens de l’interpellation n’avaient pas d’enfants ou les avaient enlevés de l’école. Ils balancent un communiqué de presse pour faire pression sur le collège. Je n’aime pas du tout cette façon de faire et c’est vraiment le meilleur moyen pour que je fasse le contraire. » Le modus operandi est à chaque fois pareil : isoler, attaquer, écarter. En 2006, Alain Schmitz, directeur du Centre d’art contemporain du Luxembourg belge, en fait les frais et est viré par le conseil d’administration après, notamment, une inimitié grandissante avec le président… Sébastian Pirlot. « Il a retourné le conseil d’administration contre moi, avance Alain Schmitz, il a semé le doute en affirmant des choses complètement fausses avec un réel aplomb. J’étais déstabilisé. Même ma mère s’est mise à douter de moi. C’était très compliqué. » La suite donnera raison à Schmitz. Après avoir appris que l’audit de gestion demandé par le ministère de la Culture n’accablait pas Alain Schmitz, l’assemblée générale a refusé la décision du CA. Le directeur artistique réhabilité, le président, Sébastian Pirlot, et les autres membres minoritaires ont démissionné.

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Marie De Monti. CC BY-NC-SA

Chuuut !

Une certitude, peu osent s’opposer sur la durée à Sébastian Pirlot. « On a l’impression d’avoir une chape de plomb au-dessus de notre tête et on ne veut pas s’attirer d’ennuis supplémentaires en l’ennuyant », confie un parent. Après avoir affiché l’interpellation citoyenne dans son commerce, une villageoise a également perçu ce climat de peur : « Beaucoup de personnes craignent le bourgmestre et n’osent pas trop en parler. » Dans cette bourgade de 5 000 âmes, chacun a un lien direct, familial, avec l’un ou l’autre dirigeant ou employé communal. Peu s’expriment de peur de compromettre un emploi ou d’être bloqués dans des projets privés. Des peurs qui relèvent plus du fantasme, même si, il y a quelques mois, un citoyen a eu la surprise de voir débarquer le bourgmestre, furieux, sur son lieu de travail, après que ce dernier n’a pas apprécié un commentaire sur… Facebook. Bourgmestre de tous « sauf des cons », Sébastian Pirlot affirme, lors de notre entretien, se « foutre de l’opposition » tout comme des critiques, sans supporter « les conneries » partagées notamment sur les réseaux sociaux, « ces nouveaux cafés du commerce ». « Dans une commune, ajoute-t-il, beaucoup de choses se passent dans le bureau du bourgmestre, pas par communiqué de presse. C’est toujours facile de dire qu’on ne peut pas s’exprimer parce qu’on a peur. C’est de la lâcheté et ça ne m’intéresse pas. Ils auraient pu présenter une liste. » Reste à voir si des intéressés répondront à cet « appel » en 2024…

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