Le grand voyage du voisinage
Texte (CC BY-NC-ND) : L’équipe de Médor
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Depuis maintenant 10 numéros, Médor s’est consacré à des événements exclusivement belges. Pas de grands reportages dans les steppes mongoles ou de plongées vertigineuses dans les mines de fer brésiliennes. Nos récits journalistiques voguent entre Arlon et Ostende. Pour autant, la voilure est-elle moins ample ? Voyager proche, c’est penser petit ? Petit pays, petit esprit, comme disait Léopold II avec mépris ?
Dès le départ, Médor a lancé le pari inverse : évoquer la Belgique nous aidera non seulement à mieux cerner la société dans laquelle nous vivons, mais aussi à mieux comprendre nos interactions avec le monde. Affûter un regard acéré sur un village permettrait, paradoxalement, d’éclairer les alentours. Comme le printemps est dans le bourgeon, le tout serait dans le singulier.
Ainsi, en racontant notre Belgique, nous voyagerons dans ce numéro à Bruxelles, à Beveren, à Rixensart, à Termonde, mais aussi au Congo, en Irak, en Hollande, en France, en Russie, aux États-Unis, et même en Égypte antique.
Et ce qui fera le sel du voyage, c’est le regard. Si les faits sont la base non négociable de notre travail, encore faut-il les observer minutieusement, capter le signifiant dans ce qui semble insignifiant, chercher au bon endroit, garder l’esprit ouvert pour entendre les différents points de vue, se dessiller nos paupières culturelles et, comme le soulignait André Linard, l’ancien secrétaire général de la déontologie journalistique, se méfier de « ce qu’on aime écrire ».
Des cordes à notre arc
Ce n’est pas facile. Chez Médor, nous pensons que l’ouverture n’est pas une posture, une qualité qu’on décréterait une fois pour toutes. La tentative de compréhension de l’autre n’est pas un mantra naïf des humanistes. C’est une pratique qui multiplie les points de vue, dope les envies, galvanise la curiosité. Une pratique compliquée, parfois douloureuse, qui amène à sortir de sa zone de confort, à s’arracher de notre condition individuelle pour côtoyer la condition humaine.
Cet effort n’est pas qu’une question de générosité. L’ornithologue Ian MacMillan aurait plus ou moins dit « Il faut sauver les condors, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver ; car ce sont ces qualités là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes ».
Aussi, être curieux et intéressé à l’autre n’est pas une position idéaliste qui devrait s’effacer devant le pragmatisme d’un monde efficace ou rentable. Être curieux et intéressé à l’autre nous sauvera.
En vous permettant de lire une presse écrite généraliste centrée sur la Belgique, en vous intéressant autant au Musée de Tervuren qu’à Mme Martin ou aux victimes civiles irakiennes, Médor a la faiblesse d’espérer œuvrer à la rencontre de l’autre.
Mentons la vérité
Ce souci de rencontre et d’ouverture s’inscrit aussi dans la forme de Médor, qui, à lire vos retours, vous interpelle. Tantôt vous rebute. Tantôt vous émerveille. Ce numéro ne déroge pas à la règle. L’artiste David Evrard s’est emparé des pages avec sa montagne d’images personnelles, extirpées aux magazines et à son appareil photo, auxquelles se mélangent les éléments collectés par les journalistes des différents articles.
Médor vous propose de voir une mémoire géologique de l’article. Des couches superposées de pièces à conviction, de traces concrètes du travail, d’associations d’idées et de flâneries. Ces visuels, rassemblés dans quatre grands tableaux, accompagnent l’écrit et en modifient la lecture. Une image de la NASA collée, dans un monde découpé, arraché, recomposé sera comprise autrement si elle est soigneusement tirée et encadrée. Dans les médias, les visuels sont en permanence triturés. Autant vous le révéler. Jusqu’au bout.