Dyle : La fronde des arbres

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Sophie Visart, la gardienne du bois de Beumont. Jeudi 26 octobre.

Au nord de Wavre, les amis du bois de Beumont ont remporté une victoire symbolique face à Matexi, le développeur immobilier glouton. S’opposer, lutter pour la préservation des derniers espaces verts de la vallée : et s’il n’était pas trop tard ?

Dans la mémoire collective, il y a des combats citoyens qui ont marqué la population de Louvain-La-Neuve ou celle de Wavre. Comme l’extension recalée du centre commercial L’Esplanade, en 2017. Ou le contournement avorté de Wavre, en 2021. Mais il y a eu, aussi des échecs retentissants, qui restent en travers de la gorge comme autant de défaites face au pouvoir aveugle de l’argent. Ils sont plus nombreux. Sophie Visart, 62 ans, fille d’agriculteurs, est actuellement dans un entre-deux. Face à elle, le développeur de quartiers résidentiels anversois Matexi, 438 millions de chiffre d’affaires consolidé l’an dernier. À ses côtés, des arbres et des gens.

Où se déroule l’action ? Au bois de Beumont, l’un des derniers poumons verts de Wavre. Il s’étend entre le centre-ville et l’autoroute E411, en direction de Bierges et du Nord. Très prisé des promeneurs et des sportifs qui aiment venir s’y entraîner ou pratiquer l’accrobranche. Il recèle une merveille, une hêtraie abritant des arbres multi-centenaires. « Quelque chose de magique se passe quand vous vous retrouvez entre les arbres, ici, explique Sophie Visart. Vous ressentez l’impression d’avoir le nez dans le ciel. » Ces géants à la force tranquille, Sophie les connait depuis toujours. Née à Bierges, elle a grandi dans le quartier du Ry, tout proche, et conserve d’innombrables souvenirs de la hêtraie. Alors, quand la construction d’une route a failli abattre ces arbres, en 2022, elle a pris la tête de la résistance.

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L’objectif de Matexi consiste à relier au zoning nord et à l’autoroute le quartier du Champ Sainte-Anne, ce gigantesque projet immobilier fruit d’une convention signée à la fin des années nonante avec la ville de Wavre. Prévu en trois phases, il doit faire sortir de terre 670 logements. Rien que ça. La première phase, qui en compte déjà 210, s’est achevée au début de 2023. C’est assez moche, pas bon marché, mais ça plait, apparemment, de pouvoir garer sa ou ses voitures chez soi, à proximité d’importants axes routiers.

1 500 signatures pour les arbres

C’est pour pouvoir lancer la seconde phase du projet « Champ Sainte-Anne » qu’a émergé l’idée de cette nouvelle route découpant le bois de Beumont : une partie des riverains, gênés par les difficultés de mobilité dans le quartier suite à la construction de ces nouveaux lotissements, a exigé cette voirie. Rapidement, la mobilisation citoyenne organisée par Sophie rassemble 400 opposants sur un groupe Facebook. Une pétition lancée en ligne atteint près de 1 500 signatures, des tracts sont aussi distribués et l’enquête publique récolte de nombreuses réponses négatives. À Louvain-la-Neuve, par exemple, le succès de foule est repéré par les défenseurs du bois de Lauzelle. En lisière de cet autre poumon vert, un projet nommé Agora doit bientôt s’étendre sur 30 hectares, et il pourrait coûter quelques arbres.

À l’entrée de la hêtraie de Beumont, sur l’un des troncs des arbres menacés, quelqu’un a inscrit en lettres rouge sang « Sauvez-nous », au début de la fronde. En fait, la partie semble pliée assez vite. Au bout de quelques mois de mobilisation, la nouvelle bourgmestre wavrienne Anne Masson (MR) finit par déclarer publiquement, au printemps 2023, que le Collège communal n’est pas favorable au projet de route. Pour Sophie et les riverains du bois, la victoire a la bonne odeur d’un tapis de feuilles humides. « Les gens ont montré qu’ils ne voulaient pas laisser les autorités et les promoteurs toucher à la nature comme ça ».

50 hectares perdus d’ici 2030

Aucune garantie de protection de la hêtraie n’est pourtant encore coulée dans… le béton. Méfiance, méfiance. « Depuis l’annonce de la bourgmestre, plus rien. On a l’impression qu’ils laissent ça de côté pour le moment parce qu’électoralement, ça ne leur rapporte pas grand-chose. ». La hêtraie à peine sauvée (ça restera à confirmer), Sophie Visart est confrontée à une nouvelle enquête publique qui s’ouvre pour un projet immobilier de l’autre côté de la Nationale 4, à moins de cinq cents mètres du bois de Beumont.

Quoi donc, cette fois ? Le Biotech Innovation Village (BVI). En Brabant wallon, on aime donner des noms ronflants aux aménagements immobiliers. Dans les faits, c’est un projet de village d’entreprises, complétant le zoning nord de Wavre, entre l’autoroute et la « ville dans la ville » qui s’est formée autour de l’usine pharmaceutique de GSK. C’est surtout le pôle logistique du « village » qui fait peur aux riverains. Avec une urbanisation prévue de 17 nouveaux hectares (soit l’équivalent de 23 terrains de football), l’abattage de 182 arbres et une estimation de 3 500 déplacements journaliers motorisés supplémentaires, les bouchons dans les environs risquent de ressembler à ceux de la petite ceinture de Bruxelles.

« Ici, nous voulons un parc »

En novembre 2021, juste après les inondations, la ville de Wavre a vendu ces terrains verts à l’intercommunale inBW. Il lui fallait du cash, fulmine-t-on dans les rangs de l’opposition Ecolo et des Engagés. «  Un nouveau bout de zoning, ce n’est pas ça dont les habitants ont besoin, souffle Sophie Visart. Il y a une vraie demande de la population d’avoir accès à une zone nature calme et reposante. Un parc arboré, par exemple. Ici, ce serait l’emplacement idéal. »

Dans le quartier du Ry, chez Sophie Visart, la guerrière, les riverains ont aujourd’hui constitué un comité de quartier pour pouvoir surveiller les 50 hectares de terrain supplémentaires que les différents promoteurs cherchent à artificialiser au nord de Wavre d’ici à 2030.

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Les habitants de Louvain-La-Neuve se sont mobilisés pour empêcher une extension du centre commercial L’Esplanade, en 2017. Aujourd’hui, la résistance au béton s’est diluée.

Fédérer les forces, au-delà d’un pré carré. Telle est l’ambition et aussi le souci. Quand les néo-louvanistes ont cherché à s’organiser contre des projets urbains qui ont grignoté des hectares de nature à l’entrée principale de la cité universitaire – le quartier Courbevoie construit sur un grand parking vide de la SNCB – ils ont eu du mal à trouver le punch nécessaire après la bataille de l’Esplanade et ils ont manqué de soutiens extérieurs. Quand il a été question d’un déménagement de la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies sur des terres agricoles situées sur le versant sud de la Dyle, à Wavre, ça a été l’inverse. Au cours de nos mois d’enquête, nous avons constaté que cet investissement hospitalier majeur dans la région était largement méconnu dans les communes voisines. Ceux qui luttent sont trop isolés.

Du temps et de l’argent

Riverains de la probable future zone hospitalière, Philippe Delaisse, Vincent Denis et Catherine Gusbin se mobilisent depuis plus de deux ans contre ce déménagement. Ils pensent que la géothermie prévue pour chauffer l’hôpital - en allant chercher la chaleur existante en sous-sol - va abîmer la nappe phréatique et que les eaux de ruissellement vont transformer leurs rues en rivières et gonfler la Dyle, plus bas. Se battre contre un tel épouvantail, ça brûle de l’énergie, nécessite un moral d’acier et coûte beaucoup d’argent, notamment pour payer des avocats prêts à ferrailler pendant des années. Il faut s’informer, lire dans le moindre détail des centaines de pages de documents techniques, et leurs annexes, faire en plus de ses heures de travail un boulot de journaliste d’investigation, convaincre autour de soi. Pour structurer leur bataille et les recours juridiques, ils ont créé l’asbl Wavre Notre Ville, dont le travail reste aujourd’hui suivi par quelques centaines de citoyens inquiets.

Les projets immobiliers qui bourgeonnent avec plus ou moins de résistance ont tous en commun d’impliquer l’abattage d’un nombre conséquent d’arbres, parfois anciens. Face aux pluies dévastatrices, comme celles d’il y a deux ans, et plus largement face au dérèglement climatique, on sait pourtant qu’ils sont nos premiers alliés. Et que l’artificialisation des terres, à l’inverse, empire la situation.

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Centre d’Ottignies, 25 octobre.

Pour Sophie Visart, rien ne change : « On continue d’appliquer bêtement la politique d’urbanisation instaurée par l’ancien bourgmestre Charles Aubecq (MR). Mais cette vision date des années quatre-vingt. Les vieux plans de secteur, favorables à la construction, n’ont pas été révisés. Il faut évoluer ! » En un mot, Sophie a le sentiment « qu’on vend Wavre ». Attentive à la vie communale depuis longtemps, la résistante Sophie souligne même une accélération des projets immobiliers ces dernières années. « Vu le Stop Béton, les promoteurs essayent de faire passer un maximum de projets tant qu’ils le peuvent encore. »

Occuper le terrain

Si les professionnels de la construction s’organisent, les défenseurs des dernières terres non-artificialisées de la vallée de la Dyle le font aussi. L’espoir viendra sans doute de la plateforme Occupons le terrain, créée en 2018 et déjà très présente dans d’autres provinces. Cette structure réunit des collectifs qui résistent contre les projets de bétonisation à outrance. Ensemble, ils se motivent à distance, débriefent les victoires et les défaites, rameutent des militants là où il y a urgence. « L’enthousiasme est contagieux. On se rend compte qu’on a un impact, qu’on arrive à faire bouger les lignes », souligne Sophie Visart. Quand les citoyens échappent à l’isolement, ils peuvent taper juste et fonder des revendications de plus en plus ambitieuses. « À Wavre, conclut Sophie, il faut un moratoire pour cesser toute urbanisation. Cela devient urgent. Bientôt, on n’aura plus de nature du tout. »

Dans le dernier épisode, découvrez les motivations des 4 personnes qui ont travaillé sur cette enquête.

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