Visites à l’aveugle chez l’orthodontiste

Et dans l’univers InVisalign

Les orthodontistes ont-ils tendance à prodiguer des soins superflus ? Médor a mené trois visites à l’aveugle pour tester ces spécialistes de nos mâchoires. Spoiler : leurs réponses oscillent entre « rien à faire » et… un devis à 6 000 euros.

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Laura Matikainen. Tous droits réservés

Selma (nom d’emprunt) a 12 ans et une dentition parfaite. C’est en tout cas ce qu’a dit son dentiste. L’avis est corroboré du bout des lèvres par un orthodontiste de confiance. Même si «  y’a toujours à faire  », Selma ne doit pas subir d’intervention. L’adolescente a accepté de participer à trois visites à l’aveugle pour tester l’avis et les « devis » des orthodontistes (voir le « dispositif », ci-dessous). Pour des questions pratiques, ces trois rdv ont lieu à Bruxelles.

Le dispositif d’enquête

Pour mener ces visites à l’aveugle, je cherchais un enfant à la dentition ne nécessitant pas d’intervention. Une amie m’a présenté la perle rare : sa fille, 12 ans.

Avant de présenter Selma à plusieurs orthodontistes, j’ai fait appel à un chef de clinique universitaire pour valider l’avis du dentiste (dents parfaites, pas besoin de consulter un ortho).

Il a examiné Selma et effectué une radio. Voici ce qu’il en a dit :

« Chez Selma, on note une déviation des lignes médianes, un recouvrement incisif un peu trop marqué. C’est vrai que ces dents sont bien alignées et que l’on ne note pas de problème fonctionnel. Par contre, on remarque une inversion dans l’éruption des canines et prémolaires supérieures. On peut craindre un manque de place pour les canines. Il faut donc bien surveiller l’éruption des canines supérieures afin de décider si un traitement est nécessaire(ce qui est à craindre). C’est dans l’axe vertical que les canines sont correctes. »

La déviation des lignes médianes, c’est la déviation du milieu du bas par rapport au milieu du haut. Idéalement, les deux devraient être alignés.

Selma a accepté de venir avec moi pour trois visites à Bruxelles. Les consignes : ne pas mentir, sauf sur un point : je me suis présenté comme son parrain. Ce qui devait l’amener à… me tutoyer (pas facile pour elle !). Elle a été parfaite. Il y a pourtant plus fun comme activité qu’une triple visite chez un orthodontiste.

Selma n’a pas été rémunérée lors des visites (excepté via un bagel au saumon). À la fin du processus et pour la remercier, elle a eu la possibilité d’acheter quatre BD dans une librairie (mais elle a opté pour 2 BD et 2 babioles).

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1ère visite

On arrive dans un cabinet du nord de Bruxelles. Trois femmes sont à l’accueil. Nous nous présentons. Nous patientons.

Il y a une affiche InVisalign qui invite, via un QR Code, à envoyer son plus beau smile. Pendant que Selma passe à la radio, j’observe le mur orné de quatre documents officiels. Un diplôme de l’ULB (master en sciences dentaires), une certification d’une HealthCare Academy, celle d’un programme de master class InVisalign de 2017 et celle d’un module de formation InVisalign de 2018. InVisalign ? C’est la firme qui cartonne avec ses gouttières invisibles (voir notre article L’incontournable InVisalign).

Nous sommes accueillis par l’orthodontiste. Elle sourit (avec de jolies dents), regarde Selma. Elle explique. Ses dents sont parfaites, bien positionnées. Rien à signaler. Peut-être revenir endéans les six mois.

On repart le cœur léger et le portefeuille moins lourd de 140 euros. 80 euros pour la radio, 60 pour la consultation.

Coût  : une radiographie (80 euros) et une visite (60 euros)

Remboursement  : 110 euros.

2ème visite

Dans le sud cosy de Bruxelles. Cabinet tout de blanc (on adore le blanc dans l’orthodontie). Excepté un homme à l’accueil, que des femmes dans une tenue tout de noir (on adore les tenues uniformes dans l’orthodontie). Une dame s’adresse en anglais à la réception. Le personnel échange en espagnol.

Nous nous présentons à l’accueil. Je reçois un formulaire médical à remplir. Parmi les données personnelles demandées, la « catégorie de remboursement supplémentaire : « oui ou non », ainsi que l’assurance dentaire extra (Nom :…..Date de début :…..Allocation annuelle :…..Remboursement :…..)

Une jeune assistante prend les photos des dents de Selma. De profil, de face. L’orthodontiste enfile sa blouse blanche et se penche sur la dentition de l’ado. « Magnifiques, tes dents. Elles sont vraiment jolies », avec un bel accent latino. Le nom d’une université à Barcelone est brodé sur la blouse. Quand elle nous reçoit dans son bureau, elle n’hésite pas : « Il n’y a rien à faire, les dents sont parfaites ».

On pourrait faire une radio pour voir une possible asymétrie entre les deux côtés des mâchoires. L’exposition aux rayons est dérisoire. « On est plus exposée en prenant un vol pour Barcelone. Et je prends ce vol toutes les semaines pour aller à mon cabinet et donner cours à l’université », rigole-t-elle. Je décline tout de même le voyage.

Derrière elle, c’est un vrai salon de goodies InVisalign. Un dentier InVisalign, une box colorée « InVisalign Palatal Expander System », une plaquette « Platinum provider » d’InVisalign, des gouttières sous cadre InVisalign et même un thermos InVisalign.

Coût  : une visite (50 euros)

Remboursement  : 32 euros (consultation)

3ème visite

Dernier rdv. Le 23 mai, nous arrivons devant la porte d’un troisième orthodontiste. La plaque annonce son nom affublé d’un « Top 1 % InVisalign – Doctor Worldwilde ». Dans la salle d’attente, les diplômes classiques au mur. Un cours InVisalign en mai 2014. Les tarifs, une plaquette InVisalign et, enfin, un flyer pour de la chirurgie plastique esthétique (lipoaspiration, lifting du visage, du cou, des cuisses ou des bras, au choix).

Les patients arrivent. Selma se lave les dents. Elle peut emporter la tête de la brosse électrique. Nous passons dans le cabinet d’une assistante. Elle enchaîne les questions. Non, elle ne reste pas la bouche ouverte. Non, elle n’a pas de soucis de déglutition. Allez oui, je concède qu’elle ronfle mais un peu. L’assistante a reçu la radiographie des mâchoires, mais il lui en faut une autre. Elle parle de mâchoire supérieure trop étroite.

Arrive l’orthodontiste. Il explique qu’en effet la mâchoire supérieure est peut-être trop étroite, que là les canines définitives vont descendre. La situation est instable. Donc, on ne fait rien ? Ah si, on va faire… De la logopédie (20 séances de 30 minutes réparties sur 1 an) est nécessaire. Ça, c’est pour tout de suite.

Déboule le programme des prochaines années où Selma devra peut-être se faire élargir la mâchoire supérieure « via un écarteur InVisalign ». Ensuite il faudra aligner les dents avec des gouttières (InVisalign) et ce, pendant deux ans. Enfin, elle devra porter des gouttières de nuit avec un fil de contention.

En 20 minutes, l’orthodontiste vient de poser un diagnostic impactant sur plusieurs années. Je pose des questions, demande des éclaircissements. Je veux être certain de bien comprendre. Il n’y a pas de doute sur la suite.

Réponse à ma question :

- Mais c’est certain ? Ce sera nécessaire qu’elle porte un appareil ?

- Ce sera nécessaire.

Un PDF de deux pages avec logo « InVisalign » fera office de diagnostic et de devis. L’asymétrie entre les deux mâchoires identifiée par la deuxième orthodontiste n’est pas mentionnée. On part sur un autre diagnostic. Et une autre facture.

Le prochain rendez-vous sera l’occasion d’un bilan diagnostic. La suite est incertaine (« Il sera nécessaire de revenir dans 6 mois afin de réaliser une réévaluation de la logopédie effectuée », « éventuellement si la situation le nécessite » et bien baliser pour les prochaines années. Le document remis (à signer) mentionne : « votre enfant devra porter des appareils faits sur mesure et confortables, le changement d’appareil se fait tous les 10 jours, vous nous rendez visite toutes les 10 semaines environ ».

La suite ? Un bilan donc et l’analyse d’un plan de traitement (à 290 euros). Puis un ensemble d’appareils à 5 780 euros. Sans compter 90 euros par visite toutes les 10 semaines. Soit entre 6 500 et 7 000 euros pour l’ensemble du traitement.

Retour à l’accueil. Je paie la visite. 90 euros. Et la radiographie, 90 euros. La réceptionniste m’invite à prendre un RDV en novembre ou décembre pour la suite du programme. Je décline. Je prends la carte de visite de l’orthodontiste, sur laquelle je lis encore et toujours « InVisalign ». En tout, j’aurai rencontré cette marque à 7 reprises.

Coût  : une visite (90 euros) et une radiographie (90 euros)

Remboursement  : 32 euros (consultation)

SOURIRE JEUNE

Médor a enquêté sur les soins orthodontiques. Souci esthétique ou de santé ? Découvrez notre enquête dans son entièreté sur medor.coop/sourire

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Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie Bruxelles

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  1. À savoir un appareil orthodontique fixé sur les dents pour élargir le palais. L’appareil met une pression sur la mâchoire supérieure. Vous voyez le système de clé ou de vis qu’il faut tourner régulièrement dans la bouche de votre enfant ? Et bien c’est ça.

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