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La SNCB et Infrabel complices de fraude ? (3/3)

En plus, ils volent des câbles

vol cable
Leo Gillet. CC BY-NC-ND.

Une filiale du groupe Vinci s’en tire bien. Cotisations patronales éludées, notamment sur des travaux ferroviaires : 1,4 million d’euros. Transaction en douce : bien en dessous de ça. Qui perd ? L’Etat et la SNCB, à qui les fraudeurs avaient aussi volé des… câbles électriques.


Pendant plusieurs années, monsieur Z a fourni de la main-d’œuvre bon marché à la firme Cegelec, elle-même sollicitée par Infrabel pour équiper les voies de chemins de fer de câbles électriques. Il arrivait à Infrabel, la société publique en charge de notre réseau ferroviaire, d’avoir un petit besoin pressant. Comme à La Louvière, à Namur ou sur le tracé du RER, de 2010 à 2014.

  • «  Dans beaucoup de sociétés, les ouvriers ne veulent plus travailler la nuit ou le week-end pour 26 euros l’heure  », a indiqué monsieur Z aux inspecteurs sociaux alertés par des anomalies. «  Surtout pas dans les conditions de sécurité et de danger auxquelles on est confronté sur le rail.  »
  • «  Cegelec demandait juste des hommes. De laquelle de nos trois sociétés, ils provenaient ? Aucune importance pour Cegelec, a complété l’assistante de monsieur Z. Ses chefs de chantier savaient très bien que c’était interdit parce que nous ne sommes pas une société d’intérim.  »
  • «  Il est vrai que parfois, Infrabel nous demandait d’un coup 20 ou 25 travailleurs flexibles  », a déclaré le cadre de Cegelec nommé responsable des contacts avec les sous-traitants.

Eviter de rendre des comptes

En droit social, cela s’appelle de la mise à disposition de main-d’œuvre. Première infraction. Au surplus, des ouvriers affairés le long des rails n’étaient pas déclarés à la sécurité sociale. Deuxième infraction. Les mêmes procédures avaient un caractère systématique. Ce qui qualifie d’ « organisée » la fraude sociale établie il y a trois ans lorsque Cegelec et ses sous-traitants ont été inculpés. Montant éludé : environ 1,4 million d’euros.

Panique chez Cegelec qui venait d’être incorporée au sein du groupe Vinci, une multinationale française tenant à sa réputation. Elle fit alors appel à un des meilleurs avocats du barreau de Bruxelles. Un ancien bâtonnier. Dès le début, il avait une idée en tête. On y reviendra.

Malaise aussi quand les coulisses du dossier fuitèrent dans les médias en 2018. Là, ça devenait franchement glauque. Il apparut que des chefs de chantier exerçaient un véritable racket sur monsieur Z. Pour qu’il puisse garder ses contrats, quelques cadres de Cegelec demandaient : de l’argent liquide, des pc, des smartphones et… leur lot de câbles. Oui, oui, des mètres de câble de cuivre comme ceux qu’ils étaient chargés de placer et dont le vol fréquent enrage les navetteurs. La direction de Cegelec a demandé à monsieur Z de balancer : la liste des cadeaux que s’octroyaient les ripoux est détaillée sur quatre feuilles de papier de format A4. Ce volet du dossier judiciaire a été transféré au parquet du Brabant wallon, qui n’a pu faire aboutir l’enquête ouverte pour corruption.

Racket organisé

Comment une firme ayant pignon sur rue, comme on dit, a-t-elle pu en arriver là ? On ne le saura jamais. Les avocats de Cegelec ont été brillants. En 2019, ils ont négocié une transaction auprès de l’ONSS, censé faire rentrer un maximum de cotisations sociales patronales dans les caisses de l’Etat. L’accord figure dans une ordonnance du tribunal de première instance de Mons, datée du 22 février 2019. Ce petit document de cinq pages qui est confidentiel et ne se retrouve jamais dans les journaux a stipulé que seuls monsieur Z et son assistante ingénue devaient être renvoyés devant un tribunal correctionnel. Cegelec (et Vinci) échappe, elle, à des explications publiques, s’évite une mention indigne dans son casier judiciaire et peut continuer à décrocher des marchés publics. La firme reconnaît juste sa culpabilité. Mais sans cet article, qui l’aurait su ?

En Belgique, ce type de transaction est en recrudescence. Paraît-il, ça permet de faire tout de même rentrer pas mal d’argent dans les caisses de l’Etat. Il est difficile de juger vu que le montant des transactions n’est publié nulle part et reste généralement secret.

Dans ce cas-ci, devinez le montant réglé par Cegelec ?

Selon nos informations recoupées : 432 000 euros. A ce tarif-là, puisqu’elle disposait de géniaux avocats et vu son chiffre d’affaires au moment des derniers faits (185 millions d’euros en 2014), Cegelec a payé bien volontiers. C’est moins de 30 % du montant fraudé. Et la firme n’a même pas eu à régler l’amende que le commun des mortels doit acquitter en brûlant un feu rouge.

Une transaction au rabais ? «  Impossible  », avait cependant prévenu un éminent membre du gouvernement Michel lorsque l’affaire Cegelec avait été révélée. En juin 2018, le ministre fédéral de l’Emploi et de l’Economie Kris Peeters (CD&V), interpelé par la députée d’opposition Catherine Fonck (cdH), avait évoqué les deux scénarios possibles : procès ou transaction. Mais il avait cadré celle-ci :

«  Je vous rappelle que l’article 216bis du Code d’instruction criminelle subordonne la conclusion de pareille transaction au paiement préalable des impôts ou des cotisations sociales éludés dont l’auteur est redevable, en ce compris les intérêts. Il ne pourrait donc y avoir transaction sans intéressement complet de l’ONSS. »

On est très loin du compte…

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