L’Appel des 100 pour un marché du travail décent

La fraude sociale organisée coûte cher à l’Etat, favorise l’exploitation au travail et cela reste un tabou

À l’initiative de Médor, cinq partis politiques francophones sur six, les trois grands syndicats et un total de 100 personnalités ou organisations appellent à la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire sur les carences récurrentes de la lutte contre la fraude sociale organisée. Des réseaux criminels sévissent sans contrôle. Des moyens financiers considérables échappent à l’État et cela accentue des formes diverses d’exploitation au travail. La crise du Covid oblige à réagir.

C’est l’heure de se compter. Après un an d’enquête sur l’ampleur, l’impact et les dangers sociétaux de la fraude sociale organisée, qui prolifère aussi vite que le trafic de stupéfiants, Médor présente son « Appel des 100 ».

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Il s’agit d’un argumentaire assez court, construit avec l’aide de spécialistes, qui débouche sur une recommandation claire : le Parlement est le lieu approprié pour ouvrir un débat ambitieux sur les carences de la lutte antifraude. Pas celle qu’on impute à celles ou ceux qui essaient de cacher de la TVA ou de se donner un peu d’air en cherchant la faille du côté de l’ONSS, chargé de récolter les cotisations sociales à l’échelle du pays. Non, cette fraude-là ne fait pas l’objet de nos enquêtes journalistiques.

Notre point de vue : nous avons confronté à la crue réalité de leurs tracas judiciaires les géants de la construction Ackermans & van Haaren et Besix, les entreprises d’Etat SNCB et Infrabel, le nouveau leader du titre-service Trixxo ou encore le nettoyeur industriel Activa. Et on aurait pu en épingler d’autres.

Derrière les mécanismes de fraude organisée qu’ils montent ou cautionnent, ces noms connus se jouent de la collectivité. Et l’État accepte son incurie sans pointer le lien direct avec le sous-financement des hôpitaux ou celui de la justice.

Esclavage moderne

Surtout, l’État, le gouvernement et le Parlement ont ainsi renoncé à lutter contre des formes massives et banalisées d’exploitation au travail. En général, on préfère parler de « dumping social » pour rassurer les foules ? Médor appelle un chat, un chat. Le mot qui fâche, ce n’est pas le dumping. C’est l’esclavage moderne qui crée de la souffrance au travail. Notre Appel des 100 pour un marché du travail décent ose associer ces deux mots. Esclavage et moderne.

Pour recadrer le fameux monde de demain, sur ce sujet, il faudra oser une commission d’enquête parlementaire. Un lieu de débat ouvert et constructif, sans concession, qui essaiera de comprendre pourquoi l’État, nos représentants, et donc nous, nous laissons abuser et appauvrir. En quoi, est-il possible de faire mieux ? Et comment y parvenir concrètement ?

Sur cette recommandation simple comme bonjour, 100 signataires ont convergé. Leurs noms figurent dans l’encadré ci-dessous. Ils ponctuent un texte qui sera envoyé prochainement à la présidente de la Chambre des représentants, la socialiste francophone Eliane Tillieux, ancienne ministre de l’Emploi et de l’Action sociale.

La machine à frauder s’est emballée

Qui signe ? Des contestataires, des rebelles, des déçus de la politique ? Non, non. Un député PS, une parlementaire écologiste, tous deux membres de la majorité au pouvoir, ainsi que les porte-parole de l’opposition cdH, Défi et PTB. Des costauds, a priori, qui auront à convaincre les partis flamands de se joindre à leur demande.

Thierry Bodson, le président de la FGTB, signe aussi. Au même titre que la direction de la CSC, incarnée par Marie-Hélène Ska, et celle du syndicat libéral CGSLB, par la voix d’Olivier Valentin. Dans les entreprises décriées, des représentants syndicaux ont gardé la tête haute et un esprit de lanceurs d’alerte en dénonçant de véritables pratiques mafieuses. Ils ont parfois eu du mal à se faire entendre. Grâce au travail d’enquête de Médor, la parole s’est libérée et, semble-t-il, le monde syndical s’élève en rangs serrés contre la fraude sociale organisée et ses dégâts.

Plusieurs juges ou magistrats n’ont pas attendu pour enclencher le signal d’alarme : le juge d’instruction Michel Claise, l’ancien responsable de l’anti-blanchiment Jean-Claude Delepière ou la magistrate de l’ombre Marianne Thomas, habituée à traquer du lourd, sont parmi nous. De même que l’association syndicale des magistrats, représentée par Marie Messiaen.

L’Appel rameute également des académiques trop souvent silencieux ou écartés des rares débats publics sur ces questions. Leur expertise pourrait être bien utile aux parlementaires.

Indignez-vous !

Enfin, aux côtés de simples citoyens concernés et investis, de nombreuses associations regroupées de facto par notre « Appel des 100 » sont là pour témoigner d’une forme d’urgence sociale. Quand on essaie d’aider des migrants, des précaires, qu’on se préoccupe de la dèche en culture, de la pauvreté de notre enseignement ou des droits des personnes démunies, on a aussi son mot à dire sur cette machine à exploiter le travail, qui s’est emballée au nom de la compression des coûts.

Les mécanismes de fraude sociale organisée créent de la pauvreté, exploitent des travailleuses et travailleurs sans papiers, prolongent des discriminations systémiques. L’un des experts qui a accompagné notre démarche, l’avocat Alexis Deswaef, est sensible à cette dimension : il est l’actuel vice-président de la Fédération internationale des droits humains. On peut imaginer que si une telle somme de matière grise, issue d’horizons différents, soutient notre démarche, c’est parce qu’elle ressent, elle aussi, l’urgence de ne plus laisser faire.

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