« Tu veux faire avocat ? Fais secrétaire »

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Amélie Carpentier. CC BY-NC-ND.

Des angoisses et des problèmes de diction… Voilà qui aurait bien pu éjecter Sabri de l’école.

Je pense pouvoir dater le début de mes galères : ma troisième année secondaire. À la rentrée scolaire, je me retrouve dans une classe anxiogène. Je n’y ai aucun ami, certains élèves m’ont déjà causé des soucis et nous commençons l’année sans professeur de math. Ma logopède constate que mes angoisses impactent directement ma diction (j’éprouve de grandes difficultés pour m’exprimer) et, de ce fait, les progrès que je fais dans ce domaine.

Je fais part à la direction de mon besoin de changer de classe. Ma logopède appuie cette demande plusieurs fois. Elle insiste. Mes parents aussi. Mais la direction ne veut rien entendre. Mes parents tentent de plaider ma cause mais ils ne sont pas écoutés, peut-être parce qu’ils sont pas comme les autres parents. Après tout, mon père s’appelle Mohammed…

Très mal partie, cette année a encore moins bien fini. Le conseil de classe, en juin, décide de me faire doubler. J’introduis un recours et ils me répondent : « Tu n’as pas 50 % en néerlandais mais 49.9 %, tu as donc le droit de passer en quatrième technique. » Bien sûr, je refuse cette fausse opportunité, je vois le technique comme une régression.

Deux ans plus tard, une nouvelle épreuve m’attend : celle d’un deuxième redoublement. Ma titulaire de l’époque me conseille : « Si tu as un projet dans le technique, fais un recours et on le validera. Si tu veux faire avocat, fais secrétaire ; si tu veux faire médecin, fais infirmer. » Je suis profondément blessé et énervé. A l’école, tout le monde a l’air de se demander ce que je peux bien faire là.

Finalement, mon recours fonctionne. Après avoir décelé une erreur dans mes points, le conseil revient sur sa décision et me laisse passer. Se rendent-ils compte de combien c’est éprouvant de se battre en permanence pour sa réussite ?

En cinquième, je redouble encore, je ne tente pas de recours. Des professeurs me répètent, de manière informelle, de laisser tomber, de changer d’école, de penser à faire un jury central… Un paquet d’idées qui ne me conviennent pas. Je ne veux pas me réadapter à un nouvel environnement et malgré mes difficultés, je reste attaché à mon école, je suis leur élève depuis mes maternelles.

Deux ans plus tard, mon bulletin de fin d’année est parfait. Une coach en gestion mentale m’a suivi pour m’apprendre à apprendre (en bref). Ça paraît simple, mais ça a été un véritable déclic. J’ai repris confiance en moi et en mes capacités d’apprentissage. Enfin, je finis ma rhéto avec une satisfaction. C’est terminé.

Mais si je regarde la photo de classe de cette dernière année de secondaire, un détail me taraude. La majeure partie des élèves, en fin de parcours, correspondent au même profil. Pour le dire simplement, c’est le Blanc, fils de cadre et inscrit chez les scouts depuis toujours. Je ne coche aucune de ces cases.

Aujourd’hui, je suis diplômé de master en relations internationales avec distinction, ma diction est parfaite, et je pense pouvoir dire, avec certitude, que l’école, ce n’est pas toujours juste.

Sabri Benayad. Propos recueillis par Camille Crucifix.

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