« On a créé des écoles de seconde zone »
Enquête (CC BY-NC-ND) : Julien Winkel
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Le décret inscription (en 2011) devait donner les mêmes chances à tous d’inscrire son enfant dans l’école de son choix. Il a eu un effet inattendu : des écoles secondaires, surtout techniques et professionnelles, peu prisées, n’ont plus eu assez d’inscriptions pour maintenir un premier degré (1ère et 2ème années). C’est le cas de l’Institut Saint-Joseph à Etterbeek. Interview avec Laurence Hubert, sa directrice.
Médor : Votre école organisait un premier degré commun (1ère et 2ème années) jusqu’il y a peu. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Laurence Hubert : Nous avons eu un premier degré commun jusqu’à l’entrée en vigueur du décret inscription en 2010-2011. À partir de ce moment, le nombre d’élèves dans le premier degré a diminué d’année en année.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Étant donné qu’à partir de la 3ème, nous n’organisons quasiment que du technique ou du professionnel, les parents ont eu peur que leurs enfants se trouvent « enfermés » dans ces filières qualifiantes. Le décret inscription leur permettait plus qu’avant d’opter pour des écoles de leur choix au premier degré. Ils se sont donc dirigés vers les « bonnes » écoles.
Qu’entendez-vous par « bonnes écoles » ?
Je vais vous donner un exemple : j’ai été directrice de Saint-Stanislas, une école d’enseignement général également située à Etterbeek. Quand l’école était complète, je leur disais d’aller à Saint-Joseph. Ils disaient tous « non ».
Et à Saint-Joseph, c’était complet ?
Non. Cela a fait partie du phénomène de « disparition » du premier degré. Nous y avions de moins en moins d’élèves. Vu que l’école n’était pas complète, nous recevions soit des élèves pour qui Saint-Joseph ne constituait pas un premier choix, soit, en fin de première année commune, des élèves exclus d’autres écoles. Dont beaucoup de « fausses » exclusions, notamment via des procédures de non-réinscription (voir notre article « Des écoles trop belles pour eux »).
Comment gère-t-on cette situation ?
Difficilement. Dans notre équipe, les professeurs du deuxième (3ème-4ème) et troisième degré (5ème-6ème) étaient déjà habitués à accueillir des élèves mis de côté par les établissements du général, qui arrivaient plus tard. C’était moins le cas des professeurs du premier degré (1ère-2ème). Les enseignants n’étaient pas formés, c’étaient pour la plupart des professeurs en fin de carrière, qui n’avaient pas vraiment envie de se renouveler, même si les enfants n’étaient pas mal accueillis. Du coup, la direction précédente a décidé de fermer le premier degré.
Qu’est-ce que ça vous inspire comme constat ?
Ce phénomène a renforcé certaines écoles dans leur statut de deuxième choix. J’étais favorable au décret inscription. Et il a apporté de la mixité dans certains collèges, surtout au premier degré. Mais pour d’autres, on a créé des écoles de seconde zone. Et pas ou peu de mixité dans les écoles plus fragiles.
Et au niveau de votre école ?
Je suis partagée. D’un côté, le fait de ne plus organiser le premier degré peut être vu comme un problème. De l’autre, cela a constitué une bouffée d’oxygène. La deuxième secondaire, c’est l’année la plus difficile. Le fait de ne plus organiser de premier degré a diminué les problèmes de discipline de façon drastique. L’ambiance dans l’école est beaucoup plus sereine. Même le commerçant du coin le dit. On a gagné en place et en sérénité.
Le Pacte d’excellence prévoit d’organiser un tronc commun jusqu’à la fin de la troisième secondaire. Certains chercheurs prônent de scinder les établissements scolaires (voir notre article « Chute libre ») : d’un côté ceux qui organiseraient les 1ère, 2ème et 3ème années et de l’autre ceux qui organiseraient les suivantes. Cela vous inspire quoi ?
Si nous perdons la troisième, nous n’aurons plus grand-chose. Nous y avons pensé, nous nous sommes dit que nous avions peut-être manqué de clairvoyance, de vision à long terme, en supprimant le premier degré. Mais c’est fait, nous ne ferons pas marche arrière…