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De l’impossibilité de travailler moins de 60 heures par semaine (5/5)

La quête de solutions : en 10 ans, peu de changements

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Marin Driguez. CC BY-NC-ND.

« Je ne veux pas croire que les 1 300 assistants soient insatisfaits. Notre dernière enquête sur les retours de terrain n’a suscité que 350 réponses… Ce n’est pas facile de savoir ce qu’il se passe sur les lieux de stage. »

C’était l’interview la plus déconcertante de la série. Jean-Christophe Goffard, directeur du service de médecine interne à Erasme et fraîchement appointé à la tête des masters de spécialisation en médecine de l’ULB, autrement dit quelqu’un qui a un sacré pied à l’hôpital et l’autre à l’université, nous déclare qu’il compte utiliser son nouveau mandat universitaire pour tenter de retourner le système. Ce n’était pas dit tel quel, mais l’intention est la même.

Il dit : « Il faut être honnête, ça prend du temps de changer les habitudes des vieux chefs de service. Le seul moyen de changer les choses, c’est d’être coercitif et je compte le faire pendant mon mandat. C’est-à-dire ? Et bien, fermer les lieux de stage qui sont problématiques. Il faut les évaluer de façon homogène, pas seulement par un PG, mais par un nombre suffisant de personnes passées par ce lieux de stage. »

Concrètement ? « Ce qui me bloque, c’est de savoir comment créer cette nouvelle instance. Je suis ouvert à toute proposition, mais je pense que ça doit être une mission du pôle universitaire, afin d’éliminer les conflits d’intérêts entre les hôpitaux et les commissions d’agrément. Il ne faut pas de compétences médicales pour auditer un lieu de stage. On peut donc faire appel à d’autres structures de l’université, comme les facultés de psychologie, les spécialistes de la pédagogie, de la communication, pour concevoir une façon d’auditer les hôpitaux. »

Les commissions d’agrément (une par spécialisation) sont sources de nombreux commentaires chez les MACCS. Opaques, disent-ils. Problématiques, disent-elles. Si la composition des commissions n’est pas rendue publique, des noms circulent et ce sont ceux de maîtres de stage ou de chefs de service. Dès lors, un malaise général s’installe : ce sont les mêmes individus, disent les MACCS, qui nous forment, nous encadrent, nous payent, nous évaluent et éventuellement, nous embauchent. Dans ces conditions, ajoutent-elles et ils, comment s’exprimer librement sur leurs conditions de formation ?

« Effectivement, ce n’est pas normal, reprend Jean-Christophe Goffard. En commission d’agrément, les personnes autour de la table sont aussi maîtres de stage. C’est pour cela qu’il faut une évaluation des lieux de stage réalisée de façon beaucoup plus large, pas seulement par des médecins ou des représentants de l’union professionnelle. Lorsqu’il s’agit de trancher et de décider s’il faut fermer un lieu de stage, on ne doit pas entendre “Oui, mais c’est un copain…” Pour le moment, les conflits d’intérêt potentiels sont énormes. »

Du côté d’UCLouvain, les propositions sur la table pour faire évoluer le chantier sont nettement moins franches. Le Réseau Santé Louvain est mis en avant comme une avancée récente pour mieux défendre les MACCS. « Ces deux dernières années, on a multiplié les initiatives pour bien faire comprendre aux directions d’hôpitaux et aux maîtres de stage quelles sont les conditions de formation », répond Cédric Hermans, co-président du Réseau.

Le ton général est à la défensive : « C’est la responsabilité de chaque hôpital de s’assurer que les horaires soient respectés. Je ne peux pas entrer dans un hôpital et voir si ça se passe bien, ce n’est pas ma responsabilité. »

Concernant les plaintes des assistant·e·s : « Je ne veux pas croire que les 1 300 assistants soient insatisfaits. Ils peuvent nous contacter à tout moment, pour qu’on se tourne vers les hôpitaux où il y a des soucis. Mais notre dernière enquête pour récolter, en toute neutralité, des retours de terrain, n’a suscité que 350 réponses… Je n’étais pas très content. En toute franchise, ce n’est pas facile de savoir ce qu’il se passe sur les lieux de stage. C’est pour ça qu’on demande un maximum de feedback. » La responsabilité de l’université est donc globalement éclipsée.

C’était surprenant d’entendre Jean-Christophe Goffard s’exprimer de la sorte, car nos autres recherches sur les initiatives pour améliorer les conditions de formation des MACCS, faisaient plutôt état d’un point mort général, ces dix dernières années.

Pas d’amélioration notable pour les MACCS de l’ULg, malgré le procès remporté en 2019 par Sélim Sid, un ancien assistant en hématologie, contre le CHU de Liège. Sélim Sid n’avait pas signé d’opting out. Il avait tout de même été contraint de travailler au-delà des 48 heures de moyenne par semaine. Il n’avait alors pas été payé pour ses heures supplémentaires au même tarif que ses collègues qui avaient, de leur côté, signé l’opting out. Sélim Sid demandait la révision à la hausse du paiement de 3 000 heures supplémentaires. Le tribunal du travail de Liège a condamné le CHU à lui verser 8 400 euros d’arriérés de paiement et 2 000 euros pour dommage moral.

Pas d’amélioration majeure pour les MACCS de l’ULB, malgré leur attitude réputée plus revendicative que leurs homologues d’UCLouvain ou de l’ULg.

Pas d’amélioration capitale pour les MACCS de l’UCLouvain, malgré de nombreuses négociations entre le GALUC, l’université et l’hôpital universitaire Saint-Luc, pour faire respecter les lois sociales et améliorer les conditions de formation. La loi sur le temps de travail des MACCS est entrée en vigueur le 1er février 2011. Depuis lors, au vu des comptes-rendus des réunions du GALUC, les échanges tournent en boucle : respect du temps de travail, récupération des gardes, enregistrement des heures effectivement prestées…

Pas d’amélioration significative pour les MACCS dans leur ensemble, malgré une proposition de loi initiée en 2017 par Muriel Gerkens (Ecolo) pour modifier leur statut. D’après le compte-rendu de l’audition du 9 mai 2017 au parlement fédéral, tous les partis politiques étaient pourtant sur la même longueur d’onde, du sp.a (la députée Monica De Coninck) à la N-VA (la députée Valérie Van Peel). L’idée communément approuvée fut la mise en place d’un organisme intermédiaire indépendant entre les assistant·e·s et les hôpitaux, comme dans le cas des médecins généralistes. Cette idée n’a cependant jamais vu le jour.

« Quand j’ai commencé ma formation, j’ai vraiment eu l’impression d’être tombée dans un système insolvable, se souvient une assistante. Je pense que c’est un gros magma d’éléments légaux et d’éléments sur lesquels on ferme les yeux. »

De tous les exemples entendus ces dernières semaines, le constat qui suit illustre au mieux l’exercice de funambule en cours dans les hôpitaux. Il émane d’un assistant en pédiatrie du réseau UCLouvain. « Il m’est déjà arrivé de travailler 80 heures en une semaine, ce qui est illégal vu nos conventions de stage. J’envoie ma feuille d’horaire aux ressources humaines de l’hôpital Saint-Luc, mais aucune alarme rouge ne se déclenche. Quelqu’un ou quelque chose qui dirait : “Attention, vous avez dépassé le temps de travail légal." Non, rien. Il n’y a aucun contrôle et je trouve ça vraiment étrange. Les hôpitaux reçoivent chaque mois des fiches de travail illégales et rien ne se passe. Pourquoi ? »

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