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Recupel : les copains d’abord ?

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Fanny Monier. Tous droits réservés.

Fin avril, Recupel se sépare de son directeur-général pour « manque de transparence » et pratiques contraires « aux principes de bonne gouvernance ». Pour la direction de Recupel, l’info devait en rester là mais Médor a mené l’enquête. Frais privés passés en frais professionnels, contrats attribués à des proches et soupçons de conflits d’intérêts, les pratiques de Peter Sabbe ont fini par créer un malaise en interne. Mais c’est le silence qui règne au sein de Recupel.

L’information est quelque peu passée sous les radars en pleine pandémie : le patron de Récupel, Peter Sabbe, est débarqué. Le communiqué de presse envoyé le 30 avril dernier est laconique mais le message adressé à tous les membres de Recupel que Médor a pu se procurer est, lui, plus explicite. « Le Conseil d’Administration a décidé de mettre fin à sa collaboration avec le directeur général à la suite de violations de certains principes de bonne gouvernance, écrit le président du Conseil d’administration (CA), Bruno Vermoesen. J’ai reçu une série de documents compromettants, indiquant que Peter Sabbe n’aurait pas respecté tous les principes de bonne gouvernance. »

Le président du CA explique avoir diligenté des enquêtes interne et externe afin « de faire toute la clarté dans cette affaire ». Il confirme à l’issue de ces investigations que « le directeur général a enfreint certains principes éthiques (…) et a réalisé certains agissements qui ne correspondent pas aux valeurs de Recupel ». Il pointe également la communication peu transparente de Peter Sabbe avec le CA et rassure ses membres en précisant que ses agissements n’ont pas eu « d’impact sur le cœur de métier de Recupel ou son fonctionnement opérationnel. »

Pas besoin de lire entre les lignes, la charge est rude contre celui qui incarne depuis 11 ans le visage de Recupel, l’asbl qui organise le traitement des déchets électriques et électroniques en Belgique. Contacté par Médor, Peter Sabbe n’a pas souhaité réagir mais parle « d’une rupture de confiance qui a mené à une résiliation à l’amiable de son contrat ».


« Comportements inacceptables »


Du côté de Recupel aussi, on ne veut pas en dire plus « pour une question de respect de la vie privée ». « La seule chose qu’on puisse confirmer est qu’il y a eu des comportements inacceptables », indique Bruno Vermoesen. Avant d’ajouter que Recupel ne peut pas se permettre « de faire la moindre erreur car, quelque part, c’est l’argent du consommateur que nous gérons. »

Pour la transparence, le consommateur repassera. Car en communiquant de la sorte, la direction de Recupel en dit trop… ou pas assez. Quels sont précisément les faits reprochés à Peter Sabbe pour que le CA décide à l’unanimité de le licencier ? Étonnamment et alors que Recupel possède toutes les pièces justifiant le licenciement, l’asbl se retranche derrière un accord « confidentiel » pour ne pas révéler les faits incriminés ni les modalités de sortie.


L’actuel CEO par interim, Luc Meert, précise pour sa part que « tout cela n’a pas eu d’impact sur l’opérationnel ni sur les procédures de sélection des partenaires logistiques et de traitement des déchets. » Pourtant, selon nos informations, c’est bien un appel d’offres qui a mis le feu aux poudres. Sollicitées par Médor, plusieurs sources évoquent l’attitude de Peter Sabbe dans le cadre d’un marché lancé en 2019 pour le traitement et le recyclage des frigos.

Un marché à 27 millions

Le marché de recyclage des frigos en Belgique représente près de 20 000 tonnes à traiter et à recycler chaque année. Les frigos contiennent des substances nocives (par exemple du gaz fréon), mais aussi d’autres matériaux valorisables tels que des métaux comme du cuivre, du plastique ou encore du verre… Le coût de ce traitement à la tonne varie d’une année à l’autre en fonction du prix des métaux notamment. Actuellement, il se situe aux alentours de 150 euros la tonne, ce qui représente près de 3 millions d’euros par an, soit un marché de 27 millions d’euros sur 9 ans.


Détenu en ce moment par l’entreprise Recydel située à Wandre, le marché de dépollution et traitement des frigos arrive à échéance en 2021. Recupel a donc lancé un nouvel appel d’offres au printemps 2019 mais cette fois pour une période de 6 ans à partir du 1er juillet 2021, renouvelable pour 3 ans. Autre nouveauté avec cet appel d’offres, Recupel a décidé pour des raisons logistiques de scinder le marché et de prévoir deux implantations, une au nord du pays et l’autre au sud.

Galloo, coûte que coûte

Sur les cinq entreprises qui répondent à cet appel d’offres, trois passent la première rampe : Recydel qui détient le marché actuellement, SEG (qui concourt à lui seul pour trois implantations différentes en Belgique) et Galloo. Après un examen des candidatures, des points sont attribués à chaque entreprise (notamment sur base des prix proposés) et c’est SEG qui remporte la mise avec ses trois implantations à Evergem (97 %), Hannut (96 %) et Namur (92 %) sur les trois premières marches du podium. Loin derrière, Gallo (79 %) et Recydel (70 %) se placent respectivement en quatrième et cinquième positions.


Les scores sont sans appel mais cela n’empêche pas Peter Sabbe d’annoncer une première fois en Conseil de Fédération de Recupel que Galloo – société établie à Menin, en Flandre occidentale - remporte l’appel d’offres pour la Flandre et SEG celui pour la Wallonie. La décision finale doit encore être validée par le CA de Recupel prévu le 6 décembre 2019 sauf qu’entretemps, le président du CA reçoit des «  documents compromettants  » sur Peter Sabbe. Bruno Vermoesen est également informé en interne que l’ex-CEO ne communiquerait pas toutes les informations dans le dossier des frigos.


Lors de la séance du CA, Peter Sabbe propose à nouveau d’attribuer le marché des frigos à Galloo et à SEG mais la décision fait débat et est recalée. Sur proposition de son président, le CA décide de reporter ce point et le confie à B-W-REC, l’entité de Recupel spécifiquement en charge des appareils de réfrigération et de congélation, où Peter Sabbe ne siège pas. Après un nouvel examen des offres, le CA de B-W-REC attribue finalement ce marché à SEG Evergem au nord du pays et SEG Hannut au sud. L’offre de Galloo n’est pas retenue. L’ex CEO de Recupel est désavoué.

Scores et attribution en question

Pour Bruno Vermoesen, le marché des frigos n’a rien à voir avec le licenciement de Peter Sabbe. L’analyse présentée par l’ex-CEO devant le CA était fondée. « Il a proposé d’attribuer le marché à deux entreprises comme on avait l’habitude de le faire mais le CA ne l’a pas suivi ». Mais alors pourquoi Recupel a fait machine arrière, décidant d’annuler ce marché quelques semaines plus tard ?

Dans un courrier adressé à ses membres le 22 janvier 2020, l’asbl explique qu’ « une agitation inhabituelle est apparue et a perturbé la sérénité de la procédure d’appel d’offres en cours. » Selon Recupel, la décision d’attribution de ce marché a suscité de nombreuses réactions. Il est aussi question d’une procédure judiciaire en référé introduite par Recydel de telle sorte que le CA a décidé de mettre fin purement et simplement à l’appel d’offre. Un nouveau marché pour le traitement des frigos va être relancé d’ici peu « mais dans une version adaptée, nous dit une source interne, avec des nouvelles mesures en matière de bonne gouvernance et des dispositions supplémentaires visant à éviter les conflits d’intérêts. »


Plusieurs observateurs de ce dossier s’interrogent sur l’attitude de Recupel et de son ex-CEO dans ce dossier. « L’offre de Galloo était plus chère et l’entreprise n’avait pas d’expertise dans le traitement des frigos », explique l’un d’eux. Ces éléments sont confirmés par plusieurs sources qui préfèrent rester anonymes.

Contactée par Médor, l’entreprise Galloo se refuse à tout commentaire. Une ex-travailleuse fait, elle, remarquer que Galloo a été bien « servie » ces dernières années. « L’entreprise a déjà remporté 100 % du marché des TV et écrans plats, 50 % du « gros blanc » (lave-linge, sèche-linge, lave-vaisselle et cuisinière, …), et là on s’apprêtait encore à lui attribuer 50 % du marché des réfrigérateurs et congélateurs ? », s’étonne-t-elle.

Le problème, ce sont les scores attribués aux entreprises en fonction des critères de l’appel d’offres.Go4Circle, la fédération belge des entreprises actives dans le traitement et le recyclage des déchets, a déjà interpellé à plusieurs reprises Recupel à ce sujet. « Nous attendons une transparence de leur décision. En ce qui concerne le processus d’attribution des marchés, il y a toujours eu des difficultés à avoir de la clarté. Si les choses se font avec objectivité, pourquoi les cacher ? », se demande Cédric Slegers, le directeur-adjoint de Go4Circle.


Lettre au picrate

L’épisode des frigos a laissé des traces. « Mais les problèmes chez Recupel ont commencé bien avant », indique un travailleur. Un signe ne trompe pas : le nombre de départs. En moins de deux ans, près de 2/3 du management ont quitté le navire ou ont été licenciés. Cette valse de départs n’a échappé à personne sauf au CA de Recupel. Bruno Vermoesen estime qu’il s’agit « d’un turn-over naturel, plus visible dans une petite entreprise de 32 personnes ».


Plus d’un an auparavant, six membres du management avaient rédigé un courrier pour dénoncer les dérives de plus en plus manifestes de Peter Sabbe. La missive que Médor s’est procurée est datée d’octobre 2018. L’objectif initial était d’adresser cette lettre au CA mais suite au revirement d’au moins un de ses auteurs, elle ne part pas. Elle ne sera finalement envoyée au président du CA qu’en novembre 2019 en pleine « crise » des frigos.

Son contenu est explosif. Déjà à l’époque, le courrier indique que « le management mais aussi un nombre croissant des membres du personnel se posent des questions ». Ses auteurs craignent que les agissements de Peter Sabbe ne « nuisent à l’image de Recupel ». Ils constatent des « irrégularités » et estiment qu’il est de leur devoir de les porter à la connaissance du CA.

Ces membres du management dénoncent « un usage discutable de l’argent de l’asbl à des fins privées ». Il est question de tickets d’avion, de frais d’hôtel privés passés en frais professionnels ainsi que de l’utilisation de la carte de crédit de Recupel pour des « dîners dans des restaurants étoilés ». Les auteurs de ce courrier mentionnent également l’existence « de frais professionnels élevés dont l’utilité soulève des interrogations ».

Soupçon de favoritisme

À l’époque déjà, la lettre met le doigt sur les possibles « conflits d’intérêt de Peter Sabbe et son ingérence dans les procédures d’achat de Recupel ». Selon ses auteurs, certaines personnes considérées comme des proches de Peter Sabbe ont été avantagées. Le courrier mentionne notamment « la collaboration avec l’agence de communication AB Agency dirigée par le cousin de Peter Sabbe ». AB Agency n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

D’autres sources évoquent des sociétés ou des personnes toutes originaires de Waregem et ses environs, la région de Peter Sabbe, engagées pour des missions de consultance notamment. Il y a aussi eu l’engagement du propre fils de Peter Sabbe en tant qu’IT manager sans procédure de recrutement. « Il était compétent, là n’est pas la question, se souvient un ex-travailleur. Mais vous n’engagez pas votre propre fils de cette manière quand vous êtes directeur. »

Les accusations sont d’autant plus graves que ces pratiques auraient duré plusieurs années. Comment se fait-il que le CA n’ait jamais rien vu ? Le président Bruno Vermoesen rappelle que « le CA ne s’occupe pas de la gestion journalière de l’asbl » et qu’il n’a reçu « ces documents compromettants qu’en novembre 2019 ». Et précise encore que «  Recupel a alors immédiatement lancé une enquête interne et une autre réalisée en externe avec le soutien de la société d’audit KPMG.  »

Le président du CA reconnait que « ces enquêtes ont permis de montrer que des éléments contenus dans cette lettre étaient vérifiés ». C’est d’ailleurs ce qui a conduit le CA à décider à l’unanimité de mettre fin au contrat de Peter Sabbe. Mais si des faits aussi graves que ceux qui sont contenus dans la lettre sont avérés, comment l’ex-CEO a-t-il pu négocier un départ à l’amiable et surtout avec quelles indemnités ? Interpellant pour une asbl qui déclare vouloir faire de la transparence et de la bonne gouvernance ses priorités.

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Réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme.
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