No man’s Lasne
La commune qui n’appartenait plus à personne.
D’un côté, cinq villages et deux hameaux, fusionnés contre leur gré autour d’un bout de rivière, la Lasne, en 1977. De l’autre, des Bruxellois venus chercher un coin de prairie où planter une villa dans les années 1960. Mais cinquante ans plus tard, comment vit-on à Lasne ?
C’est l’histoire d’un bout de terre limoneuse à l’ombre de la butte du Lion qui voit la lente disparition de ses villages, gommés au nom de l’urbanisation. Des hameaux comme Ransbeck, Plancenoit et Maransart ont fondu dans une agglomération qui n’appartient désormais plus à personne, prise d’assaut par une immigration bruxelloise en quête de verdure, de calme et d’entre soi. Lasne, comme Waterloo, la Hulpe, ou Rhode-Saint-Genèse, a fait les frais de la tache d’huile.
Aujourd’hui, les citoyens des premières générations sont devenus les victimes parfois consentantes d’une libéralisation croissante des territoires. Cette nouvelle population a modifié la sociologie de ces villages, jusqu’à en devenir l’emblème. Lasne incarne le BCBG décomplexé. Elle est, au yeux des Belges, cette commune huppée, quadrillée de villas blanches et de haies cyclopéennes, dont ne s’échappent que des SUV. Le cliché est tenace tant il colle à la réalité.
Paix, opulence et effets pervers
Le vivre ensemble en est le premier dommage collatéral. Pourquoi s’embarrasser du bien commun, dès lors qu’on n’a rien à en attendre ? Aujourd’hui, la majorité des Lasnois ne travaillent pas dans leur commune, ils la parcourent. Ils y coexistent, côtoyant leurs voisins sur le parking des commerces. Une majorité ne voit plus l’intérêt d’investir les espaces communs. La recomposition du territoire, induite par la taille des parcelles, implique une mobilité « dure » et cloisonne les agglomérations résidentielles. Les édiles communaux reflètent parfaitement cette vision, portant haut les couleurs du libéralisme : impôt minimum, intervention minimum.
Mais ce havre de paix et d’opulence connaît quelques effets pervers. La concentration de richesses sur un territoire restreint si proche de Bruxelles attise les convoitises et suscite par conséquent de l’insécurité et un sentiment d’insécurité. Quand ils sont concernés par des cambriolages fréquents, des habitants se mobilisent pour organiser la surveillance de leurs quartiers. Loin d’être uniques en Belgique, ces regroupements de citoyens œuvrant pour la sécurité reconfigurent le rapport à l’autre. S’ils recréent effectivement du lien social, ils institutionnalisent un système de veille et deviennent, malgré eux, le visage d’une société repliée sur elle-même.