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Les tox’, tellement visibles, si peu audibles

Les invisibles

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Serena Vittorio. CC BY-NC-ND.

On les repère facilement à Huy. Sur les quais de la rive gauche, de la rive droite, dans les bars, les friteries, les pharmacies, les squats… Beaucoup de Hutois ont même déjà vu des tox’ acheter leurs doses au coin de la rue Saint Pierre ou sur le banc situé le long de la Meuse, au pied du téléphérique. Et pourtant, Médor les a choisis pour sa rubrique des « Invisibles ». Eclairages.

Dimanche dernier, lors de la soirée d’ouverture de l’étape hutoise du Médor Tour à l’Exotica -plus couramment appelé "Chez Mamy"- un jeune couple installé depuis 4 ans sur la rive gauche de Huy, raconte : « La situation commence vraiment à nous poser question. Désormais, un soir par semaine, des personnes sonnent à notre porte vers 22h-23h et nous demandent de l’argent. Ils trouvent de bonnes raisons pour nous interpeller, comme, par exemple : « il me manque 3€ pour prendre le train »  ; ou « j’ai besoin d’argent pour acheter de l’insuline ». Or, nous travaillons dans le milieu médical et nous savons que celle-ci est gratuite ; ou « j’ai besoin d’argent pour acheter des couches pour les enfants » ; ou encore, ils cherchent un lift jusque Herstal, et si on refuse, ils demandent quelques euros pour payer le train. On ne se sent pas en danger, mais on réalise que ces personnes font la manche pour autre chose que ce qu’elles prétendent. Et cela nous attriste. »

Hier midi, la rédaction rencontre Nicolas [nom d’emprunt] sur la terrasse d’un snack proche de la place Saint-Pierre, rive gauche. Nicolas est le papa d’un toxicomane qui est emprisonné depuis 7 ans. Il n’y va pas de main morte : « Mon fils a aujourd’hui 33 ans. Quand il avait 20 ans, sa maman est tombée malade, a eu un cancer. Elle est décédée un an plus tard. Mon fils n’a pas tenu le coup. Il a commencé à prendre de l’héroïne. Aujourd’hui, ça fait 7 ans qu’il est en prison. Il est sorti l’année passée, en juillet, mais a commis un délit pour obtenir de l’argent et recommencer à se droguer. Á peine dehors, il retournait en détention. Il faut savoir que les tox’, quand ils ont besoin d’argent pour leur drogue, sont prêts à tout. Si par exemple, on leur demandait d’incendier une voiture pour obtenir quelques euros, ils le feront ».

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"30 % des PV pour stupéfiants sont dressés Rive Gauche dans le quartier du Batta" indique Samuel Cogolati, conseiller communal (ECOLO)
Serrena Vittorio. CC BY-NC-ND

Durant le premier week-end que la rédaction a passé à Huy, au mois de septembre, la rédaction a écouté Jeanne [nom d’emprunt], qui habite la rue Axhelière – le quartier de la rive gauche que les Hutois n’aiment plus fréquenter. Plusieurs fois par jour, elle voit les tox’ flâner dans les rues. Jeanne a déjà surpris aussi des dealers vendre de la drogue dans son quartier, qui est entouré de plusieurs maisons abandonnées, de squats, là où les toxicomanes sans domicile fixe passent leurs nuits. « C’est une réalité, les tox’ habitent mon quartier. »

Ces témoignages ne représentent qu’un échantillon de ceux que Médor entend tous les jours sur les tox’ depuis son arrivée. Le sujet revient presque systématiquement dans les discussions. En 2018, le conseiller communal Samuel Cogolati (Ecolo) interpellait le bourgmestre à ce propos en se basant sur un rapport d’évaluation des plans stratégiques de sécurité et de prévention 2014-2017 du Service Public Fédéral de l’Intérieur.

Il donnait en introduction les chiffres suivants : « La problématique des stupéfiants reste importante sur la zone de police de Huy » (p. 117 du rapport). Et là aussi, on oublie souvent les délits annexes qui y sont immanquablement liés (vol, agression, racolage sur la voie publique,…). En particulier dans le quartier rue Axhelière et Avenue des Fossés, nous sommes, nous aussi, constamment appelés par des habitants du quartier qui ont véritablement peur. En effet, 30 % des PV pour stupéfiants sont dressés Rive Gauche dans le quartier du Batta. Les maisons des habitants sont infiltrées, les propriétés violées, certains habitants n’osent même plus sortir de chez eux. Pour la moitié des PV, c’est du Cannabis. Mais on parle de 35 % d’héroïne dans les stupéfiants retrouvés. Huy Clos compte 80 patients différents en moyenne par mois. Chaque année, Huy Clos compte 120 nouveaux dossiers. »

L’élu écolo n’a pas eu la réponse qu’il souhaitait : « le bourgmestre minimise en disant que comme toutes les villes, il y a des problèmes de toxicomanie et il ne rentre pas dans les détails. Je pose la question tous les trois mois mais je n’ai jamais de réponses convaincantes. Je l’ai encore posée lors du dernier Conseil communal en septembre dernier. »

C’est un fait : les tox’ sont présents à Huy et leur nombre inquiète. Pourquoi donc vouloir les intégrer à tout prix dans la catégorie des invisibles ? À défaut d’être invisibles, les tox’ sont inaudibles : si tout le monde en parle, personne ne les écoute. Cette population n’a pas le droit à la parole, est trop facilement stigmatisée, trop vite dénigrée. Puisqu’on parle tellement pour eux, Médor part à leur rencontre. Entendre ce qu’ils ont à dire. Leur donner un espace pour communiquer et s’exprimer en toute liberté. Essayer de faire en sorte qu’ils aient voix aux enjeux politiques qui les concernent.

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