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Des rives à Huy (épisode 1)

Où se rencontrer ?

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Serena Vittorini. CC BY-NC-ND.

Huy est-elle une ville divisée, sans rencontre possible ? Une ville consommée avec parcimonie par une élite sur une petite surface ? Des publics se croisent-ils en des endroits autres que la Grand place ? Pour répondre à ces questions, Médor demande à chaque Hutois(e) de dessiner son Huy. Ces cartes subjectives seront soumises au regard de Sophie Dawance, urbaniste liégeoise du Collectif ipé. Sa première réflexion a déclenché ce papier d’ouverture : « Pour moi, il n’y a pas deux Huy, celui de rive gauche et de rive droite de la Meuse. Il y en a quatre. La grande percée, perpendiculaire au fleuve, divise aussi la ville. »

Ce n’est pas une cicatrice. C’est une balafre. Un acte grossier, une déchirure de ville. Les locaux l’appellent « la grande percée ». Cette autoroute rachitique coupe la ville en deux depuis 1963. Et a séparé le quartier de la Collégiale de l’activité sur la Grand Place.

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Olivier Bailly. CC BY-NC-ND

La rue sous-le-château s’est retrouvée coincée entre le Fort et cette Grande percée. Elle s’étend sur quelques centaines de mètres. Elle qui a connu l’opulence, n’en finit plus de baisser la tête. Seuls quelques commerces subsistent dans ce qui était auparavant une artère commerçante. La pharmacie, le glacier Pingouin. Au bout de la rue, la place du Tilleul arbore un visage désolé. Le magasin Courtois Décor est fermé depuis 11 ans. Il est loin le temps des commerces à chaque pas de porte. Le modiste, le marchand de légumes, le libraire, le chauffagiste, le vendeur d’articles de camping, le café du coin, la graineterie, le boulanger. Mort, fermé, faillite, fini. Et avec ces commerces, morte la vie sociale, le mélange des gens et des genres. Tout n’est pas noir pourtant. En bout de rue, LifeStyle, l’ancien « point forme », annonce via un grand panneau du « Squash » et du « Fitness ». Lové dans une alcôve grillagée d’un mur rouge, Jésus ne profitera pas de l’espace de remise en forme avec piscine, coach, conseils personnalisés.

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Jésus, privé de Squash
Olivier Bailly. CC BY-NC-ND

Jordan Rolans (28 ans), manager, raconte les avancées (un nouveau parking de la clinique), les projets du quartier Sainte-Catherine, les logements sociaux rénovés, mais aussi ces maisons blanches où des tox’rentrent jour et nuit. Jordan réfléchit. Au bout de 11 ans, oui, tout de même, tout de même : ça va mieux.

Même si quelques mètres en dessous de LifeStyle, place du Tilleul, la Quincaillerie du Sud - et son superbe meuble graineterie d’époque derrière le comptoir - est fermé. Aucun repreneur ne s’est présenté. C’est la fin d’une époque. De la dizaine de quincailleries qui ont émergé à la sortie de la guerre (il fallait bien reconstruire la vie et la ville), c’était celle du Sud qui avait tenu le coup. Jusqu’il y a peu.

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Olivier Bailly. CC BY-NC-ND

La rue abandonnée

Traversons le pont. Anne-Marie vit rive gauche. Elle est assise au bord d’une table ronde en bois verni. Derrière elle, un mur lavande en partie caché par un grand vaisselier blanc expose bibelots, verres et petites lanternes « ikéatisantes ». On est de l’autre côté du fleuve, à quelques centaines de mètres de la rue Sous le Château.

La Quincaillerie du Sud, c’était son magasin, à elle et son frère depuis 1978. Ouvert de 8h30 à 18h30, ce magasin regorgeait de casseroles Le Creuset, d’outillage électrique ou encore de marteaux de toutes sortes. Anne-Marie se souvient des rires des commerçants. De l’époque où les blagues n’étaient pas cantonnées au premier avril. Elle sait que la rue Sous le Château n’a pas été bombardée une deuxième fois. La déliquescence a été progressive, un lent cancer de voirie. « J’ai vu les toiles d’araignée remonter la rue ». Les faillites, les retraites sans repreneurs. Et quelques coups durs : « Les centres commerciaux nous ont fait beaucoup de tort ». Quand, place du Tilleul, Courtois Décor a glissé la clé sous le paillasson, frère et soeur ont eu peur. « Là, on est tout seuls ».

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La carte mentale de Huy par Anne-Marie
None. CC BY-NC-ND

Aujourd’hui, Anne-Marie traverse encore le pont pour filer un coup de main à Steel Elec qui gère l’inventaire de son magasin.

Anne-Marie traverse encore le pont pour s’amuser parce que c’est là que cela se passe.

Anne-Marie traverse le pont aussi pour boire un verre à la Grand Place. Pour le centre culturel. Tout du beau côté de la ville, rive droite. Ce petit brin de ville sur laquelle tout est misé.

Si, par sécurité, Anne-Marie prend tout de même la voiture pour 500 mètres à partir de 21h, elle ne désespère pas de sa rive gauche, le côté des pauvres, du désinvestissement, de la colère, des drogués (« mais ça suffit, il y en a partout des drogués »). Les projets de la Ville la réjouissent. Elle pense que cela va aller mieux. Que les petits commerces vont revenir. « La rue Neuve (artère centrale de la rive gauche, Ndlr) ne peut pas aller pire. On est au fond de la piscine et on va donner le petit coup de pied. » Trop tard pour la rue Sous le Château, la rive gauche de la rive droite. Sophie Dawance a raison. Il y a plus à comprendre qu’une frontière fluviale à Huy. Des quartiers sont protégés. D’autres sont rénovés. D’autres sont oubliés. Lesquels sont mélangés ?

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Olivier Bailly. CC BY-NC-ND
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