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Les invisibles d’Arlon : cachez ces pauvres… (+podcast)

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Katherine Longly. CC BY-NC-ND.

L’apparente richesse d’Arlon ne doit pas masquer l’autre réalité : celle de la précarité et de la pauvreté qui touchent une partie de la population. Pas toujours visible de prime abord, la pauvreté arlonaise existe bel et bien. Certains font mine de ne pas la voir. Récit en texte et en podcast.

Quand Olivier et Michaël ont débarqué à Arlon, leur premier contact avec les autorités fût un peu surprenant. Alors qu’ils venaient de s’installer devant une banque, dans le centre, pour faire la manche, un gradé de la police les a invités à le suivre au commissariat. L’avertissement qu’ils ont reçu était on ne peut plus clair. « Depuis le mois de mai 2019, il est interdit de mendier à Arlon ! »

Le conseil communal a voté un arrêté anti-mendicité en ce sens. Les contrevenants s’exposent désormais à une amende de 350 euros. « Si vous voulez faire la manche, allez à Luxembourg ! » leur conseille le policier. Les deux jeunes gens, surpris, n’iront pas si loin. Ils décident d’aller tenter leur chance dans un village, quelques kilomètres plus loin, pour faire la manche tranquillement loin des limites du règlement arlonais.

Abri de nuit

Olivier et Michaël sont Montois. Âgés de 21 et 20 ans, ils vivent sur les routes et parcourent la Belgique au petit bonheur la chance. Après avoir été hébergés un temps dans une maison d’accueil à Mons, puis à La Louvière, ils partent vers l’est et aboutissent sur les trottoirs d’Arlon, qu’ils foulent pour la première fois de leur vie. « Pour nous, c’était un peu la dernière étape avant l’étranger » raconte Olivier. « En Belgique, on avait l’impression d’avoir fait le tour des opportunités. Si ça ne marchait pas là-bas, on poursuivait notre route et on quittait le pays ». L’avertissement policier n’était toutefois pas une première. « A Mons déjà, un policier m’avait conduit à la frontière française parce que je faisais la manche dans le centre. Il n’y a pas qu’ici qu’on ne veut pas voir les pauvres. »

Avec leurs économies, les deux jeunes gens logent quelques jours dans un appart’-hôtel, proche de la gare. Ils se replient ensuite sur « l’Abri de nuit » : la seule structure prévue pour accueillir les SDF en province province de Luxembourg. Depuis onze ans maintenant, une vingtaine de lits sont disponibles chaque soir, dans une ancienne caserne militaire du centre-ville. Quatre personnes y travaillent, ainsi qu’une soixantaine de bénévoles. L’abri de nuit est ouvert tous le soirs du 1er octobre au 30 avril.

« Quand on a créé cet abri de nuit, certains élus ont eu peur que cela crée un appel d’air » se souvient André Perpète, ancien échevin des Affaires sociales (PS) et actuel responsable du « Resto du Cœur » d’Arlon. « Certains pensaient qu’il n’y avait pas besoin d’une telle infrastructure pour une ville de notre taille. D’autres avaient peur qu’elle attire les SDF des villes alentours. Il fallait pourtant prévoir une solution. Il n’y a que 20 places. Ce n’est pas beaucoup, certes, mais ce sont toujours 20 places pour 20 personnes dans le besoin. »

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Saint-Donat, la nuit. Quand il fait froid.
Katherine Longly. CC BY-NC-ND

La demande dépasse d’ailleurs souvent l’offre de lits. A l’ouverture des portes, à 20h30, quand il y a plus de 20 personnes le personnel doit procéder à un tirage au sort. « Si on ouvrait demain un abri de 200 personnes, je suis sûr qu’on parviendrait à le remplir » estime Florian, éducateur de rue à Arlon et membre du personnel de l’abri de nuit. « Le vrai problème c’est que nous sommes la seule structure de ce genre dans toute la région : il n’y a rien à Libramont, rien à Neufchâteau, rien à Bastogne… »

Les sans-abris de la région convergent donc tous vers Arlon, sans compter ceux qui débarquent de Bruxelles ou de Liège, parce qu’ils ont épuisé leurs quotas aux abris de nuit de ces villes. Hormis en période de grand froid, où la caserne de Stockem est ouverte de manière exceptionnelle, il y a presque toutes les nuits des gens qui doivent dormir dehors, dans les rues et les parcs d’Arlon. Une situation peu visible, mais réelle, dans cette ville d’apparence riche et tranquille.

Parmi les SDF arlonais, on trouve aussi quelques travailleurs de l’est, attirés par les perspectives d’emploi au Grand-Duché de Luxembourg. Des travailleurs journaliers, recrutés par des chefs de chantier au petit matin, autour de la gare de Luxembourg-ville, et qu’on retrouve parfois le soir dans les abris de nuit luxembourgeois, jusqu’à celui d’Arlon. Là-bas, les résidents bénéficient d’un repas chaud, d’un petit déjeuner et d’une douche. Deux bénévoles passent la nuit sur place, chaque soir. « Sans leur aide, nous serions obligés de fermer » explique Florian.

Traîner dehors

A 47 ans, David a déjà connu plusieurs périodes de galère. Originaire de Bastogne, il a vécu quelques temps comme SDF dans le sud de la France avant de revenir vers la Belgique et d’aboutir à Arlon, un peu par hasard. « C’était le début de l’été, l’abri de nuit était fermé. Alors j’ai dû me débrouiller comme je pouvais » raconte-t-il.

David dort dans un parc quelques nuits. Il passe aussi brièvement par l’abri de nuit avant de trouver une solution de logement, grâce au coup de main d’un particulier. « Contrairement à d’autres endroits, je trouve qu’on est assez bien aidés ici » explique-t-il. « Pour manger le midi, il y a le resto du cœur. Le week-end, il y a des distributions gratuites de sandwiches. Pour dormir l’hiver, il y a l’abri de nuit. Je n’ai pas toujours connu ça ailleurs. »

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David, 47 ans, vie de galère et de résilience.
Katherine Longly. CC BY-NC-ND

Ce qu’il manque surtout, selon lui, ce sont des infrastructures pour rester au chaud pendant la journée. « A huit heures on nous met dehors, et on reste toute la journée dehors à traîner dans le froid. » Un constat partagé par plusieurs acteurs de l’aide sociale à Arlon. A l’heure actuelle, seule la Maison de la laïcité offre une alternative où quelques SDF peuvent se réchauffer jusqu’à 18h, boire un café et bénéficier d’une connexion Internet…

« On ressent très clairement une volonté de cacher la pauvreté » explique un travailleur social de la ville d’Arlon. « Comme les SDF n’ont pas le droit de mendier sur le territoire communal, ils partent dans les villages alentours mais cela veut juste dire qu’on déplace le problème ailleurs. Le soir, ils viendront quand même dormir ici. On ne solutionne rien du tout. »

Arlon peut heureusement compter sur un grand réseau de bénévoles qui organisent la solidarité pour les plus démunis à travers quelques associations. Mais le coût élevé du logement, dû à la proximité du Luxembourg, constitue clairement un problème pour cette population précarisée.

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