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L’Océaditude de choses

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Eric Walravens. CC BY-NC-ND.

On a voulu y aller une dernière fois, avant la fermeture. Ma fille, sa copine, moi et le gosse que j’étais à leur âge. Quelques jours avant le démontage des toboggans, nous grelottions tous les quatre dans l’escalier de béton. Était-ce le courant d’air qui nous parcourait l’échine ou le frisson de nous lancer encore dans les boyaux multicolores ?

« On refait l’Anaconda ? » Voix chevrotante, lèvres bleutées, yeux qui pétillent, Lucie me lance le défi. On dirait qu’elle nous propose de réellement plonger dans l’Amazone, au péril de nos vies.

Un peu d’aventure artificielle et un bout d’exotisme en plastique. Voilà ce qu’Océade offre aux Bruxellois depuis son ouverture en 1988 – le parc s’appelait alors Océadium. À l’époque, on se faisait peur en racontant l’histoire de ces enfants noyés. C’était en juillet 1992, il y avait un petit toboggan qui tombait à pic dans une piscine profonde, Le Pélican. Les deux gamins avaient échappé à la surveillance… Ce fait divers tragique donnait lieu à toutes sortes de légendes urbaines. Les procédures de sécurité avaient beau être renforcées, on se disait, avec les copains, que la glissade n’était pas sans risque.

Dans l’escalier en colimaçon, peuplé d’échos du passé et de cris assourdis, j’observe les corps de tous âges et de toutes origines. On entend ici des accents de tous les quartiers de Bruxelles, de Woluwé à Molenbeek. Sommes-nous un peu plus égaux en maillot de bain ? Les plages d’Océade étaient-elles un des derniers îlots de réelle mixité sociale à Bruxelles ?

Un atelier organisé il y a quelques années par Inter-Environnement Bruxelles (IEB) témoignait de la mixité sociale de l’endroit : quand on proposait aux jeunes de Molenbeek de réaliser une « carte mentale » de Bruxelles, Océade était l’un des seuls lieux qu’ils étaient capables d’identifier en dehors de leur propre quartier. Je me demande où va se disperser désormais toute l’énergie adolescente qui s’écoulait dans les toboggans. Il n’y a pas d’autres parcs aquatiques à Bruxelles.

Thierry Meeús, le patron d’Océade, n’a toujours pas avalé d’avoir été contraint à démolir un parc qu’il aurait voulu intégrer dans le nouvel ensemble immobilier (NEO) prévu sur le plateau du Heysel. Le 30 septembre, le parc a définitivement fermé ses portes. Sans tambours ni trompettes. Un petit drink avec le personnel et c’en était fini.

Je retrouve le directeur quelques jours plus tard pour une interview dans la cafétéria déserte, au bord des piscines vides. Les travaux de démolition, confiés à une entreprise roumaine, sont déjà bien en cours. L’écho des coups de marteau a remplacé celui des cris d’enfants.

Un brin mélancolique, Thierry Meeús se désole de n’avoir jamais obtenu aucun signe de reconnaissance des autorités politiques, malgré le succès public. Océade accueillait chaque année environ 240 000 visiteurs.

Le projet NEO prévoit bien la construction, sous l’égide du géant immobilier français Unibail-Rodamco, d’un parc à thème Spirou, mais pour les glissades aquatiques, il faudra aller voir hors de Bruxelles, du côté d’Aqualibi (Wavre) ou de Malines, où un promoteur va construire une nouvelle infrastructure. En Flandre, par ailleurs, un nouveau modèle se développe : les communes confient à des promoteurs la transformation des bassins communaux en petits parcs de loisirs. À Bruxelles, ce n’est pas demain qu’on verra l’émergence d’un parc aquatique, prédit Thierry Meeús. Vu les mésaventures d’Océade, « il n’y a aucun privé qui investira dans un parc neuf indépendant ».

Derrière nous, les ouvriers s’activent. On démonte les saunas, on empile dans un coin le bric-à-brac exotique. Le perroquet corsaire, mascotte de l’endroit, observe ce manège d’un œil méfiant. Bientôt, on le démontera lui aussi, ainsi que les toboggans. Le tout a été mis aux enchères par lots. Les casiers, achetés il y a quelques années à peine pour 180 000 euros, ont été bradés à 6 000. Les toboggans partiront en Roumanie. Thierry Meeús ne sait pas ce qu’ils deviendront. Peut-être feront-ils la joie d’une autre génération d’enfants.

Océade sera bientôt complètement rasé. Les pelleteuses feront leur apparition pour bâtir des appartements et des espaces de shopping. Il n’y avait pourtant pas pénurie de H&M et de Zara à Bruxelles. Des glissades, il ne restera que quelques souvenirs, et cette photo de ma fille et sa copine, à l’automne de leurs 9 ans, imprimée sur un porte-clé.

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