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Entre droit et gauche

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Constitutionnaliste, avocat, homme de médias, écrivain, mari de Laurette Onkelinx… Marc Uyttendaele revêt plusieurs costumes. Et cultive la controverse.

Col roulé bleu, veste de costume en velours marron et barbe de trois jours. C’est dans ce look faussement négligé, la mine barrée de son éternel sourire, que l’homme fait son entrée dans l’auditoire UA2 118. Ce matin, Marc Uyttendaele endosse le rôle de professeur de droit public à l’Université libre de Bruxelles. Intitulé du cours : « Le régime représentatif ». Pour un mardi à 8 h du matin, l’auditoire est quasi comble. Une centaine d’étudiants se serrent sur les vieux strapontins en bois.

Il pose sa pipe sur le pupitre au bas de l’amphithéâtre. L’objet est indissociable du personnage. Mais quel personnage ? Le professeur d’université ? Le constitutionnaliste renommé ? Le bon client des médias ? L’avocat pénaliste, défenseur des cas désespérés ? L’éternel adversaire de Francis Delpérée ? Le pourfendeur de la monarchie ? Le conseil de Delphine Boël ? L’écrivain ? L’essayiste ? Le scénariste de série policière ? L’avocat du PS ? Le franc-maçon ? L’époux de Laurette Onkelinx ?

Admiré par les uns, décrié par les autres, Marc Uyttendaele attise les controverses avec un plaisir non dissimulé. Homme de gauche, comportement de droite. Défenseur de la veuve et de l’oppresseur. Il ne se refuse aucune contradiction. « Oui, j’avoue, j’aime la provoc », concède-t-il entre deux gorgées de café, à une table du cimetière d’Ixelles, quartier proche de l’ULB. Son côté clivant, son goût pour le conflit d’idées, il le doit probablement à sa famille. Une mère d’origine juive, un père issu d’une famille de collabos. « Ma mère avait 13 ans quand la sienne a été arrêtée par la Gestapo. » Jacqueline Pels, dont le père est décédé plus tôt d’une infection, se retrouve alors seule dans l’appartement familial de la rue de la Victoire, à Saint-Gilles. Le week-end, elle prend le train pour se rendre dans la maison de campagne située à Lasne.

Les liens que Marc entretient avec cette commune du Brabant wallon ne datent donc pas d’hier. En 2006, le couple qu’il forme avec Laurette Onkelinx décide de s’installer dans cette localité qui compte parmi les plus riches du pays. Ils font fi des critiques sur leur style gauche caviar. Marc Uyttendaele assume. Oui, il aime l’argent et le luxe. « Je travaille beaucoup et je donne du boulot aux autres. Où est le mal ? Je ne suis pas choqué que l’on gagne bien sa vie quand c’est le produit du courage et de l’énergie. Je suis fier de permettre à d’autres de bien vivre aussi. »

Marc Uyttendaele reste ainsi fidèle au terreau libéral où il a grandi. Jacqueline Pels a su prendre sa revanche sur son adolescence volée. Elle est devenue magistrate et a épousé Guy Uyttendaele, avocat. Le fils se dit encore très proche de sa mère, sa « meilleure amie ». Son père, lui, était plus distant. Son grand-père paternel a collaboré avec les Allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale. « Tout ce non-dit familial, je ne l’ai compris que plus tard. J’avais 8 ans quand mon grand-père est mort. Je l’adorais. À l’âge adulte, je ne l’aurais pas regardé de la même façon. » Marc Uyttendaele s’oppose également au côté léopoldiste de sa famille paternelle. Cela fait donc longtemps que la famille royale ne trouve guère grâce à ses yeux.

Marc Uyttendaele passe son enfance à Woluwe-Saint-Lambert. Lorsqu’il a 10 ans, ses parents lui annoncent qu’ils vont partir habiter dans la maison familiale, à Lasne. « C’était très dur pour moi de quitter la ville et mes copains pour aller vivre à la campagne. Je trouvais cela de très mauvais goût. » Il passe une adolescence solitaire. « J’étais petit, très timide et très complexé. J’étais aussi paresseux, et pas scolaire pour un sou. Je faisais du rase-mottes partout. Ma mère a dit à mon père : “Ton fils n’est busé en rien mais il est médiocre en tout !” » Après un échec en grec en 5e, il est privé de vacances aux États-Unis avec ses parents. Qu’à cela ne tienne, il décide de partir en Grèce avec un copain. « On a dormi dans les gares, dans les rues. C’était une expérience éprouvante mais formatrice. » Le jeune homme goûte ainsi à l’aventure et au sentiment de privation… Mais pas trop longtemps quand même. « Je contestais le pouvoir et l’autorité, mais je n’avais pas le cran de le traduire dans la vie. »

À 18 ans, l’apprenti rebelle s’inscrit en fac de droit, à l’ULB. Dans les auditoires de première candi, il rencontre son ami Jérôme Sohier. En licence, tous deux optent pour le droit public. « Seuls les fous choisissaient cela !, sourit Jérôme Sohier, dans son bureau surplombant l’abbaye de La Cambre. Les cours étaient costauds, donnés par des profs très exigeants mais contents d’être face à un petit nombre d’étudiants motivés. » Jérôme pilote le journal de la faculté. Marc s’implique dans le Cercle du libre examen. Le premier est guindailleur, le second plutôt sage. « Marc affichait déjà un intérêt pour la chose publique et, politiquement, il était bien plus engagé que moi. »

Jérôme Sohier et Marc Uyttendaele partagent aujourd’hui un cours de droit public approfondi. Les deux avocats plaident parfois au même tribunal. Toujours avec ce style faussement décontracté, teinté d’improvisation. « Les juges et les étudiants nous disent qu’avec nous, on ne s’ennuie pas ! »

D’autres en revanche trouvent cette méthode brouillonne, peu structurée, désinvolte. « On ne le prenait pas au sérieux, on l’appelait “le gamin” », confie un observateur. Hervé Hasquin, alors recteur de l’ULB et franc-maçon comme lui, lui offre pourtant son soutien et lui permet de devenir chargé de cours. Il y a plusieurs concurrents sur ce poste et la bataille est rude. Pour y accéder, il manque à Uyttendaele une thèse de doctorat. Il la clôture en un an, en bossant jour et nuit. Elle sera publiée chez Bruylant en 1991. Intitulée : « Le fédéralisme inachevé – réflexions sur le système institutionnel belge, issu des réformes de 1988-1989 ».

Il prend ensuite les rênes du Centre de droit public de l’ULB qu’il préside toujours aujourd’hui. Julien Pieret en est le directeur. « Sur le plan académique, c’est un prof exigeant, très rigoureux, qui parvient à vulgariser une matière complexe et volumineuse. Il essaye de mettre les jeunes en avant, il les invite au débat. Il ne cherche pas à tirer la couverture à lui, à tirer profit du travail des chercheurs. C’est assez rare dans les unifs. » Il serait aussi un chef agréable et fiable. « Personne ne va faire de photocopies pour lui. »

Onkendaele

En 1999, le professeur se marie avec la femme politique Laurette Onkelinx. Cette union déchaîne les passions. On les baptise les « Onkendaele ». L’avocat clame qu’il détenait sa carte du PS bien avant d’épouser l’une des femmes les plus puissantes du pays. Il saura toutefois profiter de contacts renforcés pour ouvrir à son cabinet d’avocats les portes de pouvoirs locaux étiquetés socialistes. En 2008, la presse dévoile un courrier adressé à Frédéric Delcor, directeur du centre d’études du PS, dans lequel Uyttendaele dévoile à son ami sa stratégie pour obtenir des dossiers dans des cabinets ministériels et certaines administrations PS. Jérôme Sohier défend son ami de toujours. « C’est assez usuel de faire jouer ses réseaux pour trouver des clients. D’autres sont plus discrets, ils distribuent leur carte de visite dans des cocktails ou sur un terrain de golf. Sans doute, ce courrier était malvenu. » Marc Uyttendaele trouve lui aussi la parade : il a un cabinet à faire tourner, des emplois à pérenniser. Le cabinet Uyttendaele Gerard Kennes et Associés (UGKA) compte 26 avocats et huit assistantes. En 2017, le bénéfice reporté grimpait à près de 2,8 millions euros. L’affaire roule.

L’avocat ne se limite pas aux contentieux administratifs. Il investit aussi les cours d’assises. Uyttendaele est de tous les procès emblématiques et médiatiques. Dans les années 1990, il monte au créneau aux côtés des familles des paras-commandos belges assassinés au Rwanda. Il est l’avocat de Martine Doutrewe, la juge chargée d’instruire la disparition de Julie et Mélissa, d’Elio Di Rupo accusé à tort de pédophilie, de Guy Spitaels dans l’affaire Agusta. Il plaidera aux assises en faveur d’Olivier Pirson, ce para accusé d’avoir tué ses enfants, Sven et Romy, en projetant sa voiture dans la Meuse. Il le fera acquitter. Jean-Charles Luperto, cet élu PS accusé de faits de mœurs, c’est encore lui. En 2016, il défend Bernard Wesphael, accusé d’avoir tué son épouse dans un hôtel d’Ostende, contre la hargne de certains médias.

L’affaire du Samu social, en 2017, a sans doute marqué le combat de trop. Marc Uyttendaele et Laurette Onkelinx ne cachent pas leur amitié pour Yvan Mayeur, alors bourgmestre de la Ville de Bruxelles. Alain Maron, député bruxellois Écolo, révèle l’existence de commissions occultes pour les administrateurs du Samu. En 2016, près de 60 000 euros leur ont été versés pour des réunions fictives. Et cela durait depuis des années. Mayeur touchait plus de 1 000 euros par mois. En plein scandale Publifin et au sein d’une asbl qui soutient les plus pauvres, ces révélations passent mal. Uyttendaele martèle que le Samu est une organisation privée, que ses dirigeants n’auraient pas de comptes à rendre à la Région. Pourtant, l’asbl est financée par les pouvoirs publics à 98 %. L’avocat s’assied sur ce principe et va même jusqu’à écrire à un journaliste – avec la direction de la RTBF en copie – pour lui dire d’arrêter de « harceler » les responsables du Samu. Afin d’éviter des ennuis à ce journaliste – ou pour calmer Uyttendaele ? –, la RTBF lui demande de cesser ses investigations. Elle désigne un collègue pour prendre le relais.

« Artisan du scandale
du Samu »

Ces méthodes dignes d’un régime stalinien en ont étonné plus d’un. « Venant de n’importe qui d’autre, ce courrier serait resté lettre morte », commente Alain Maron. Le député Écolo pointe comme explication les liens entre Marc Uyttendaele et Jean-Paul Philippot, l’administrateur général de la chaîne publique, étiqueté PS lui aussi, proche de Frédéric Delcor et… de Laurette Onkelinx. Les compagnes d’Uyttendaele et de Philippot se connaissent bien. Laurence Bovy a été la chef de cabinet de Laurette Onkelinx. Fin 2016, la nomination de Laurence Bovy à la tête de Vivaqua est contestée. Elle n’est que le troisième choix du bureau de recrutement. Nomination poli­tique ? Le président de Vivaqua de l’époque assume son choix. Il s’appelle Yvan Mayeur. Et qui prend la défense de Laurence Bovy au Conseil d’État ? Marc Uyttendaele. Le monde socialiste semble petit. « On se demande comment un juriste hyperréputé, qui connaît parfaitement les lois régissant les pouvoirs publics, a pu s’entêter dans un combat comme celui du Samu social, poursuit Alain Maron. Il s’est fait le porte-parole de l’opacité, malgré les évidences que ces pratiques n’étaient pas acceptables. Comment un homme de son intelligence, avec une parfaite connaissance du milieu médiatique et politique, a-t-il pu porter une telle stratégie de défense ? Il a dit à tout le monde d’aller se faire voir, les parlementaires comme les journalistes ! On n’avait pas à mettre nos nez dans leurs affaires ! Cela démontre son sentiment de toute-puissance. Mais cette fois, il l’a surestimé. Le système médiatique est moins imperméable qu’avant à ce type de pression. » Pour Alain Maron, Uyttendaele aurait péché par loyauté envers ses amis. « Il n’a pas compris que ça allait péter. Il a préféré maintenir le couvercle sur la casserole. Il compte ainsi parmi les artisans du scandale. » Cet observateur anonyme tempête lui aussi : « Construire des théories pour défendre l’indéfendable, semer le doute, c’est sa spécialité ! »

Marc Uyttendaele, lui, comme toujours, assume ses actes. « Yvan Mayeur est quelqu’un que je respecte profondément. Pour bien le connaître, depuis longtemps, je sais à quel point il a toujours été guidé par un idéal social et, s’il a pu être maladroit à certaines occasions, il mérite le respect et il aura toujours le mien. » Le courrier au journaliste de la RTBF n’était-il pas particulière­ment malvenu ? « J’ai défendu mon client. Je n’ai aucun problème, comme avocat, à m’attaquer à la presse. La presse est un pouvoir et je suis un contre-pouvoir. Mon métier réclame parfois d’être impopulaire, de prendre des coups. Je l’accepte. »

L’homme oscille sans cesse entre les univers des médias, politique et de la justice. Il les marie aussi sous la plume. Son premier roman, Un lendemain matin, publié en 1998, mettait en scène les états d’âme politico-sentimentaux d’un professeur d’université… qui deviendra aussi avocat dans un téléfilm adapté de l’ouvrage, avec Vincent Perez, produit et diffusé en 2006 par la RTBF. Peu de premiers romans ont ce privilège.

À presque 60 ans, Marc Uyttendaele ne craint toujours rien ni personne. Mais il assure ne plus autant chercher la lumière qu’avant. « Entre mes 25 et mes 40 ans, j’ai adoré apparaître publiquement. C’était sans doute une revanche sur le petit gamin complexé et timide. Ce plaisir s’est dissipé. »

Il affirme qu’aujourd’hui, les seuls regards qui comptent sont ceux de ses pro­ches. Son fils Julien suit le chemin tracé par son père, entre droit et politique. À 27 ans, ce brillant juriste siège en tant que PS au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Entre le père et le fils, la ressemblance est frappante : même visage, même barbe de trois jours, même diction et même timbre de voix. « Quand il était petit, on me disait “Fais gaffe, tu en fais ton clone”. Mais Julien n’a pas besoin de moi pour exister. J’espère que, quand je ne serai plus là, on retiendra que j’ai été un père. Sans doute pour combler l’absence du mien. »

Marc Uyttendaele est décidément un très bon avocat. Y compris pour lui-même.

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