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Un métro nommé dérive

Bruxelles

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Charlotte Pollet. Tous droits réservés.

La nouvelle ligne de métro promise à Bruxelles devait déjà relier le Nord et le Sud de la capitale pour moins de deux milliards d’euros. Dans la pratique, elle en coûtera plus de quatre et sa mise en service est remise à un futur lointain. La grave dérive budgétaire n’est que l’arbre qui cache une forêt de problèmes. A-t-on raison de s’entêter ?

Prenez une carte de Bruxelles et de son métro. Les quatre lignes actuelles traversent la ville d’ouest en est, mais une large diagonale du territoire n’est desservie par aucun transport en commun de haute capacité, au prix de congestion et de retards. La STIB a un projet pour y remédier : « une nouvelle colonne vertébrale » qui reliera Forest à Evere en 20 minutes en passant par le centre-ville. Le futur métro 3 offrira « une amélioration du réseau attendue par de nombreux usagers », promet l’opérateur bruxellois de transport public. Sur la vidéo promotionnelle, une ligne vert émeraude se trace à travers Bruxelles dans un mouvement fluide. Qui s’opposerait à un avenir « plus confortable », « plus rapide » et « plus fréquent » ? Le projet bénéficie d’une rare unanimité au sein de la classe politique et, d’après les sondages commandités par la STIB, les trois quarts des Bruxellois sont favorables à la nouvelle ligne.

Seule une poignée d’opposants s’inquiètent, depuis les premières annonces à la fin des années 2000, du coût et de l’ampleur d’un chantier gigantesque, qui ne répondrait pas réellement aux besoins. « Des Cassandre », balaie l’administrateur délégué de la STIB Brieuc de Meeûs, toujours les mêmes qui s’opposeraient au métro par principe. « Mais heureusement aujourd’hui, on a un métro qui va de Stockel à Érasme. »

On a envie d’y croire. Le souci, c’est que les mises en garde du passé se sont vérifiées : le premier tronçon du métro s’est embourbé dans les marécages bruxellois, amenant le gouvernement bruxellois à accepter la démolition du Palais du Midi, un vaste bâtiment du XIXe siècle aux multiples fonctions ; le coût du second tronçon a explosé au point de mettre gravement en péril les finances régionales. Les ennuis ne s’arrêtent pas là. Prochaines stations : géologie compliquée, gouvernance problématique, travaux dantesques et bilan carbone dans le rouge… Au bout de la ligne, une question : faut-il arrêter les frais ?

Galère du Midi

« C’est insupportable pour moi, en vérité. » Allal Boujnan n’en peut plus. Son salon de beauté, situé au milieu des travaux qui défigurent le quartier de Stalingrad à Bruxelles, est fermé depuis 2019. L’entrepreneur de 57 ans avait aménagé les lieux pour les céder à sa fille, mais aujourd’hui tout est perdu. « Comment veux-tu que je donne le sourire à mes enfants ? Je n’arrête pas de penser : qu’est-ce qu’on va faire avec nous ? Où on va être après ? Quel avenir nous attend ? »

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Charlotte Pollet. Tous droits réservés

Comme les autres riverains, Allal Boujnan ne se sent pas assez informé des travaux en cours ni des compensations prévues. « Je n’ai jamais été contre le métro, mais je suis contre la manière de nous traiter. On mérite de vivre aussi, comme eux, comme ceux qui ont pris la décision. »

Dans ce quartier populaire de Bruxelles, les habitants reprochent aux politiques de les considérer avec moins d’égards qu’ils ne le feraient ailleurs. On ne voudrait pas un peu les déloger, par hasard ?

Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close (PS), se défend de toute visée gentrificatrice dans ce quartier où il est à tu et à toi avec chaque commerçant. « Ce qui a fort changé, c’est la mixité de genre. C’était un quartier de mecs, Stalingrad. Aujourd’hui, grâce à des commerces, ethniques d’ailleurs, il y a des familles, des couples qui viennent. On n’avait pas de problème à ce que cela soit le quartier méditerranéen de Bruxelles. Franchement si vous voulez manger des poissons à la plancha, c’est le meilleur endroit. C’est le drame de ce dossier. On était sur une voie très positive. »

Pour les grillades en terrasse, il faudra encore un peu patienter. Les travaux devaient se terminer en 2024, mais, aujourd’hui, on évoque la date de 2031 – sans certitude. C’est qu’on avait oublié un petit détail : le sous-sol bruxellois est récalcitrant. Les ingénieurs pensaient pouvoir construire un tunnel sous le Palais du Midi en sous-œuvre, en coulant une forêt de piliers de béton. Mais cette technique a lamentablement échoué. Dans le sol marécageux, les pieux de béton se ramollissaient comme des bougies fondues.

Comment en est-on arrivé là ? « Le terrain est très hétérogène », se défend Lino Rosa, ingénieur au sein de Greisch, l’un des bureaux mandatés par la STIB pour étudier la stabilité du terrain. « Tout ce qui pouvait être testé l’a été, mais sous le bâtiment c’était très compliqué. On a fait des essais dans tout le pourtour et on estimait qu’il y avait peu de chance que cela soit fort différent sous le palais. » La faute à pas de chance, quoi. Et donc pas de responsabilité, du coup ? « Les ingénieurs de la STIB et du bureau d’étude externe nous avaient dit que c’était maîtrisable », dixit l’ancien ministre de la Mobilité, Pascal Smet (Vooruit). Selon lui, le politique n’avait pas d’autre choix que de s’en remettre aux experts. Du côté de la STIB, on assure avoir pris toutes les précautions en s’entourant de bureaux « spécialisés et reconnus internationalement ». Off the record, un cadre est cinglant. « Pour moi, les vrais coupables et responsables, c’est ceux qui ont fait l’étude disant qu’on pouvait aller sous le palais. Entre la réalité et ce qui est décrit, il y a un monde. Comment est-ce possible d’affirmer ça ? On les paie, ils nous disent “C’est solide, tu peux y aller”. Or c’est un gruyère. »

À y regarder de plus près, d’ailleurs, des avertissements avaient bien été émis : en 2016, la Commission royale des monuments et sites avait fait part de craintes sur un « ouvrage délicat à réaliser ». Un an plus tard, le rapport d’incidences environnementales relatif à la modification du Plan régional d’affectation du sol formulait également des mises en garde : « Les différentes techniques de chantier […] peuvent, par mauvaise coordination, entraîner des désordres du bâti existant, compte tenu de la nature du sous-sol, en particulier lors du passage sous le Palais du Midi », écrivait le bureau d’étude Aménagement SC. Son patron, Bruno Clerbaux, est tranchant : « N’importe qui connaissant la matière géotechnique pouvait parfaitement préjuger qu’on allait avoir d’énormes problèmes, notamment avec de l’injection de béton. »

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L’équipe de Médor. CC BY-NC-ND

La STIB a bien tenté de contraindre le consortium d’entrepreneurs de trouver des solutions pour poursuivre le creusement en sous-œuvre, mais en vain. Les lourdes astreintes n’ont pas ébranlé BESIX et consorts, qui ont imposé une solution mieux maîtrisée, le creusement en surface.

Facture estimée : plus de 430 millions d’euros de surcoûts, sans parler de la destruction d’un bâtiment historique et d’une décennie de poussière, de bruit et de faillites pour le quartier.

Certains commerces ont pu être relocalisés dans le « Stalingrad Village », un ensemble de préfabriqués installés sur l’avenue, mais déjà on annonce qu’ils devront à nouveau plier bagage, sans possibilité de retour. Tous attendent avec anxiété des propositions d’indemnisation qui tardent à venir. Les commerçants n’auront pas trop intérêt à rechigner. Un mail obtenu par Médor témoigne des pressions exercées en contrepartie d’une des aides, qui prévoyait la diffusion d’émissions de radio sur le quartier : « Il va de soi que la Ville ne paie pas pour essuyer in fine des critiques de ses propres activités. Je pense aux problématiques liées au chantier M3. Toutes les activités qui seront menées dans le cadre du projet pourront aborder le quartier d’un angle positif, que du positif et encore du positif. Étant donné que la Ville de Bruxelles réalise un suivi des activités, je préfère faire ce rappel pour que le projet ne rencontre aucune bévue en cours de route (remboursement ou autre). » Le bourgmestre, interrogé par Médor, ne semblait pas au courant.

Début février, on apprenait que le chantier du métro 3 s’enlisait aussi à la gare du Nord, où se construit une arrière-gare censée permettre au métro de faire demi-tour dans l’attente de la mise en service du second tronçon. Une nappe d’eau s’avère impossible à pomper, et les travaux sont à l’arrêt depuis des mois. À la question de savoir si ces nouveaux soucis auraient dû être anticipés, Beliris répond qu’ «  il s’agit d’une circonstance imprévue que nous ne pouvions raisonnablement pas prévoir ». Commentaire de la députée bruxelloise (Ecolo) Isabelle Pauthier, très critique face au métro : « Ce n’est plus l’enlisement, c’est la noyade ».

Gens heureux

« Il faut oser. À un certain moment, il faut même oser rendre les gens heureux contre leur volonté. » Quand il s’agit d’oser, on peut compter sur Pascal Smet. Face caméra, l’ancien ministre de la Mobilité assume avoir fait avancer le dossier du métro à marche forcée. Avant les dernières élections (2019), alors qu’Écolo, sceptique sur le métro, caracole dans les sondages, il fait approuver le permis d’urbanisme pour la station Toots Thielemans au tout dernier jour de la législature. « Certains étaient contre le métro. Pour éviter qu’ils bloquent tout le dossier […], on a fait en sorte de rendre tout irréversible. » Dénoncé par Écolo, le plan a néanmoins réussi. À Médor, Pascal Smet assure aujourd’hui que « ce n’était pas un travail hâtif. On n’aurait jamais délivré le permis si le dossier n’était pas bouclé ».

La manœuvre est néanmoins caractéristique d’une détermination politique de faire avancer le dossier à tout prix. Les opposants au métro 3 parlent de l’étude d’opportunité réalisée en 2012 par le consortium Bureau Métro Nord (BMN) comme du « péché originel ». Cette étude, qui a étayé les bienfaits socio-économiques du métro Nord, ne présentait pas les gages d’indépendance nécessaires. En effet, valider le métro était aussi la garantie d’obtenir le juteux contrat de suivi du chantier. Dix ans plus tard, BMN continue d’accompagner le projet. Médor s’est procuré le montant reçu par le consortium : 36 millions d’euros pour ce travail, appelé à se poursuivre encore longtemps. « On ne ferait plus les choses comme ça aujourd’hui, balaie Karine Lalieux (PS), la ministre de tutelle de Beliris, mais l’opportunité du métro a été confirmée par toutes les études ultérieures. »

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Charlotte Pollet. Tous droits réservés

Une fois le projet sur les rails, il n’était plus question de changer de voie. Face aux questionnements du bureau d’étude Aménagement SC sur le risque de dérapage budgétaire, en 2017, le représentant du ministre-président Rudi Vervoort (PS), Abbes Guenned, a opposé une obstination têtue. « Il avait clairement cette mission de défendre mordicus l’option métro », témoigne une source qui a suivi les débats au sein du comité d’accompagnement de l’étude. « Cela pose la question de comment se prend la décision politique. Je ne dis pas que le politique ne doit pas avoir des idées et une vision d’avenir, mais la question est de savoir à quel moment il les confronte à la société civile. Sans doute beaucoup plus tôt. C’est le rôle du politique de prendre ce risque du débat et de l’organiser. »

Le public n’a en effet été consulté que tardivement, et dans des conditions jugées insatisfaisantes. L’association Atelier de recherche et d’action urbaines (ARAU) dénonce « l’hypersaucissonnage » entre de multiples enquêtes publiques, qui serait une façon d’« éluder le débat global ». Autre critique : le peu de temps laissé pour étudier les dossiers. Ainsi à peine un mois a été laissé au public pour émettre un avis sur les 7 000 pages de l’étude d’incidences sur le tronçon Nord-Bordet. Plusieurs associations ainsi que la députée Écolo Isabelle Pauthier ont demandé une prolongation, mais Pascal Smet a opposé une fin de non-recevoir. À titre de comparaison, quatre mois ont été accordés au public pour consulter moins de 1 000 pages du plan de mobilité Good Move.

Finance-moi un métro

Il y a des mails qu’on préférerait ne pas recevoir. La pièce jointe adressée le 22 mai dernier aux ministres bruxellois par Cédric Bossut, le directeur de Beliris, en fait partie. On s’attendait bien à ce que les offres de prix pour le génie civil du second tronçon du métro soient un peu plus élevées que les 600 millions prévus. Mais des offres à près de deux milliards, alors là… « Certains sont tombés de leur chaise », rit jaune le ministre des Finances, Sven Gatz (Open VLD). Celui qui tient les cordons du budget bruxellois (7,4 milliards en 2024) a été chargé illico de trouver des solutions… dont aucune jusqu’à présent n’a passé la rampe. En septembre 2023, ses propositions ont été évacuées de la table du gouvernement sans autre forme de procès par un PS très peu enclin à taxer les automobilistes un an avant les élections (entre autres pistes). Les responsables bruxellois rêveraient que l’État fédéral prenne davantage sa part, comme on le ferait dans d’autres pays. « Mais on nous laisse dans notre jus », peste Sven Gatz. Le ministre ne croit pas que l’épluchage détaillé des offres, toujours en cours, permettra de réduire beaucoup la facture.

Mais, au fait, ne savait-on pas dès le départ qu’un métro coûterait cher et vilain ? Dans son chiffrage initial pour le second tronçon, le bureau BMN évaluait le coût total entre 1 et 1,2 milliard d’euros, incluant un aléa financier d’à peine 10 %. Aujourd’hui, on est à 3,2 milliards, alors qu’on n’a pas encore commencé le gros des travaux. « Tout le monde sait que, dans ce genre de dossier, la pratique courante est que les prix sont au moins multipliés par deux », avance un ingénieur très au fait du dossier, qui souhaite garder l’anonymat. On aurait « rendu la mariée beaucoup plus belle » avec un aléa fortement sous-évalué.

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L’ancien patron de la STIB, Alain Flausch, évoque quant à lui la « loi de McNamara », du nom d’un ex-président de la Banque mondiale : un budget d’infrastructure sera toujours multiplié par Pi (x 3,14). Mais pour lui comme pour tous les partisans du métro, ces surcoûts prévisibles ne sont pas une raison de remettre en cause le bien-fondé du projet, qui s’avérera rentable à long terme, notamment parce que les coûts d’exploitation d’un métro sont bien moindres que ceux d’un bus ou d’un tram. « Je ne comprends pas qu’à Bruxelles on ne puisse pas trouver 2 ou 3 milliards. Si on calcule les amortissements sur 50 ans, c’est peanuts. »

« Peanuts », c’est vite dit. Le métro 3 dans son budget actuel, c’est plus de deux fois le coût total du vaste programme de construction de nouveaux logements sociaux à Bruxelles (2 milliards). On parle du plus gros investissement de l’histoire de la Région bruxelloise. « Si on continue, c’est la faillite de la Région et l’arrêt de tout investissement dans d’autres politiques », redoute Jean-Michel Bleus, chargé de mission à l’ARAU.

Les scénarios actuels sont, de facto, infinançables, avec des pics de dépenses escarpés à partir de 2029. Pour les lisser dans le temps, Sven Gatz travaille sur un scénario inédit à Bruxelles : un partenariat public-privé qui ferait passer le financement dans les mains des prestataires privés. Connu sous l’acronyme de DBFM (pour Design, Build, Finance, Maintain), ce genre de montage permettrait de ne pas devoir débourser trop d’argent à court terme. Les pics de dépenses seraient atténués et, surtout, la Région bruxelloise pourrait « déconsolider ». Comprenez : sortir le métro de sa dette officielle pour faire en sorte que celle-ci ne soit pas sanctionnée par les marchés financiers. Revers de la médaille, l’argent avancé par le privé ne sera pas gratuit. De quoi alourdir encore la facture totale déjà douloureuse du métro 3.

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L’équipe de Médor. CC BY-NC-ND

Les pieds dans la boue (et un peu plus)

Bruxelles est une ville traumatisée par les grands travaux. Au point que les urbanistes ont forgé le terme de « bruxellisation » pour désigner le processus à travers lequel des quartiers d’une ville sont détruits au profit de projets d’infrastructure. Cet héritage explique que les dirigeants actuels ont fait le choix, pour la nouvelle ligne de métro, d’éviter au maximum les expropriations et les destructions. Les travaux en surface seront limités grâce à l’utilisation d’un tunnelier, une machine cylindrique de 9 mètres de diamètre qui excavera la terre à 30 mètres de profondeur.

Mais à l’emplacement des sept stations prévues, il faudra bien creuser en surface. Dans les prochaines années, ces chantiers troueront les communes de Schaerbeek et d’Evere comme un fromage géant. « Il ne faut pas se le cacher. Les gens auront les pieds dans la boue pendant quelques mois. » Le patron de la STIB, Brieuc de Meeûs, manie l’euphémisme comme personne. À certains endroits, sept années de travaux nécessaires, comme place Colignon, à Schaerbeek. L’étude d’incidences réalisée par le bureau Aries pointe « l’extrême complexité du chantier à cet endroit ».

Des observateurs extérieurs s’alertent. Dans un avis très critique remis en janvier, la Commission royale des monuments et sites (CRMS) déplore une « insuffisance générale de prise en compte du patrimoine », en particulier sous l’hôtel communal de Schaerbeek, un joyau architectural du XVIIe siècle. Faut-il s’inquiéter des travaux prévus ? « Oui, parce qu’on est dans une composition géotechnique du sous-sol qui est compliquée, répond Bruno Clerbaux (Aménagement SC). On creuse dans ce qu’on appelle des sables boulants, donc des choses qui risquent de s’effondrer au fur et à mesure. »

Tiens, les experts de la CRMS et d’Aménagement SC, est-ce que ce ne sont pas les mêmes qui avaient alerté des risques au Palais du Midi ? « Le risque zéro n’existe pas, mais la ville ne va pas s’effondrer. On a analysé cela en détail », répond Gilles Ledent, le patron d’Aries. D’autres experts soulignent qu’au nord de Bruxelles, le sol est moins défavorable que dans la vallée de la Senne.

Tout cumulé, le chantier nécessitera d’excaver 1,45 million de mètres cubes de terre, cinq fois la butte du Lion de Waterloo, et pas moins de 150 000 camions pour les évacuer. La construction du métro 3 représentera aussi une source massive d’émissions de gaz à effet de serre : 245 000 tonnes d’équivalent CO2, ce qui augmentera de 5 % les émissions bruxelloises sur la durée des travaux.

Pour simplement compenser cette hausse, il faudrait réduire drastiquement le trafic automobile à Bruxelles, calcule l’asbl The Shifters, spécialisée dans la transition écologique : une baisse de l’ordre de 9 % est nécessaire, alors qu’on n’est parvenu à réduire la voiture que de 2 % au cours des quinze dernières années.

Or, dans les hypothèses actuelles, la mise en service du métro n’induira à elle seule qu’un report modal insignifiant. « Il est assez évident qu’il faut revoir tout le réseau de surface » si on veut que le métro inverse son bilan carbone, explique à Médor le bureau Aries. Voilà un autre type de chantier en perspective, délicat lui aussi quand on sait à quel point la voiture est un totem politique en Belgique.

Concorde régional

Octobre 2003. Quelques passionnés ont dépensé une fortune pour embarquer à bord du dernier vol du Concorde. On sait depuis 1973 que l’avion supersonique ne sera jamais rentable, mais il a fallu un quart de siècle pour se rendre à l’évidence qu’il fallait arrêter les frais. La mésaventure a donné son nom à un phénomène cognitif : l’« erreur de jugement du Concorde », en vertu de laquelle les humains ont tendance à s’entêter dans une voie en raison des coûts déjà engagés, même s’il serait plus rationnel d’arrêter.

Pour les anti-métro, les dirigeants bruxellois nagent en plein effet Concorde. Si le premier tronçon est bien avancé, le second n’en est qu’aux prémices, et il serait encore temps de renoncer puisqu’on a dépensé moins de 3 % du budget prévu.

« Du côté politique, il y a une obstination aveugle et c’est une obstination irresponsable, juge Marion Alecian, la directrice de l’ARAU. Il n’y a rien d’irréversible. » Pour le sociologue Michel Hubert, le métro serait « un projet d’un autre âge lié à la production de masse, au transport d’une grande quantité de personnes au même moment ». La diversification du travail, avec des horaires décalés et du télétravail, permettrait de développer des alternatives en surface. Une plateforme d’associations a d’ailleurs présenté un plan alternatif, baptisé Pré-métro + qui entend « faire mieux, tout de suite et pour moins cher ».

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L’équipe de Médor. CC BY-NC-ND

La STIB ne veut pas entendre parler de cette solution, qui ne réglerait selon elle les problèmes que pour dix ans. Dénonçant « les beaux calculs en chambre » des opposants historiques, Brieuc de Meeûs croit en l’expertise et la planification de l’opérateur public : le métro serait un investissement indispensable qui apportera la prospérité à Bruxelles. Il conviendrait de se garder de calculs court-termistes.

La STIB a le soutien des responsables bruxellois, PS en tête. « Le métro est une clé de notre développement urbain », renchérit le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close. Dans la classe politique, le soutien au métro est presque unanime, même si certains, comme la députée Écolo Isabelle Pauthier, mènent une fronde contre le projet.

La ministre de la Mobilité, Elke Van den Brandt (Groen), refuse quant à elle de trop s’engager. Contrairement à son prédécesseur Pascal Smet qui avait voulu tout rendre irréversible, la ministre entend refiler la patate brûlante à son successeur. « Pour moi, l’important est que la décision soit prise par la prochaine équipe. Ma responsabilité, c’est que les éléments soient sur la table, pour qu’une décision soit prise avec toute la connaissance nécessaire. »

Alors, ce métro, se fera, se fera pas ? Il y a moins de dix ans, on l’annonçait « à l’horizon 2022-2023 ». Aujourd’hui, plus personne ne s’aventure à donner une date pour la fin prévue des travaux. Mais la volonté reste infaillible. « Je ne peux pas vous dire si ce sera en 2035 ou 2045, mais j’en suis persuadé, parce que c’est absolument nécessaire », martèle le patron de la STIB.

Le métro bruxellois est sur des rails politiques solides. N’oubliez quand même pas de vous tenir à la barre de sécurité : on n’est pas à l’abri de l’un ou l’autre coup de frein intempestif.

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Charlotte Pollet. Tous droits réservés

L’enquête Médor sur le métro 3 a été réalisée conjointement à celle du magazine Investigation de la RTBF, à voir ici.

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  1. 433 millions dont 159 pour les suppléments de génie civil pour le tunnel métro, 157 pour la reconstruction du Palais du Midi, 56 pour les mesures d’accompagnement des commerçants et 61 pour les autres éléments.

  2. L’Écho, 3 février 2024.

  3. Déclaration issue d’une série de documentaires réalisés par le Centre Vidéo de Bruxelles.

  4. Consortium fondé par plusieurs bureaux, notamment Sweco et TPF.

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