Le trou et la pelle de Médor
Texte (CC BY-NC-ND) : L’équipe de Médor
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À partir du 1er décembre, Médor lance un « Appel pour un journalisme robuste ». Un texte qui grave nos valeurs et pose nos engagements pour les années à venir. Si quelques centaines de personnes rejoignent les membres de Médor, le magazine continuera sa mission. Comment en est-on arrivé là ? Et que va-t-il se passer à partir de maintenant ? On vous explique l’origine du projet et ce à quoi Médor vous invite.
1. La genèse
Et si on faisait un trou ?
Tout a commencé le 3 avril 2023. Quelque part à Bruxelles, dans un bâtiment au plafond hésitant, quatre personnes discutent. C’est la première réunion du Médor 33 – le numéro que vous tenez entre vos mains. Sont présents : les deux pilotes icono (qui gèrent l’identité visuelle) et deux pilotes édito (qui gèrent le contenu journalistique) chargés du numéro. Que ferons-nous dans ce magazine de fin d’année ? On a un peu de temps. Mais il est maussade.
Notre Fakira-directrice, Laurence Jenard, prépare les chiffres pour l’AG de la coopérative. Et ils ne sont pas formidables… Médor perd de l’argent. Le projet ne coule pas encore, mais la fuite s’agrandit.
Les années post-Covid sont difficiles. Les abonnements se maintiennent, mais les ventes en librairie diminuent de 32 % en deux ans, soit le même pourcentage que la diminution des points de vente. C’est une double peine pour Médor dont la découverte se fait aussi via ces librairies.
Dès 2022, on s’est serré la ceinture et avons travaillé sur un plan de diminution de dépenses avec deux conditions : cela ne pouvait ni toucher à la qualité du produit ni à son indépendance. Résultat : une économie de 50 000 € sur deux ans.
Pour atteindre l’équilibre à moyen terme (2026), nous devons augmenter notre lectorat de 3 à 4 % par an.
Traduit en nombre d’exemplaires, cela signifie que Médor vend 5 500 numéros et doit atteindre 6 300 ventes pour 2026. 800, en trois ans. Ce n’est pas mission impossible.
En parallèle, l’équipe de Médor envisage de remettre sur papier ses fondamentaux. Pour expliquer quel est son journalisme et pourquoi il vaut, à nos yeux, la peine d’être soutenu.
Vient alors une idée, qui prise en considération par des personnes matures et raisonnables, aurait filé en aller simple dans la corbeille.
– Puisqu’on a un trou dans le budget, on n’a qu’à trouer le magazine…
– Ah oui tiens. Pourquoi pas ?
Trou, mais où ?
Le propos a le mérite de la clarté. Et de la visibilité. Médor a un trou budgétaire, on le matérialise. Nos lecteurs et lectrices ne pourront pas passer à côté.
Viennent alors les questions existentielles. On le met où ce trou ? Quelle forme ? Quelle taille ? Et puis, c’est possible de faire un trou dans 10 000 magazines ? Cela coûte cher ?
Un groupe Signal se crée. Le premier envoi est une vidéo. On a percé un vieux Médor à la scie cloche et on regarde l’effet que ça fait. En plein milieu.
Les premiers échanges du groupe resteront dans la postérité :
19 h 13 ― Sarah
Hehe, 4 cm ?
19 h 13 ― Chloé
« En mode bourrin », 38 mm.
19 h 13 ― Sarah
Super.
19 h 13 ― Chloé
C’est beau, hein !
19 h 13 ― Sarah
Magnifique.
Le quatuor fait circuler l’idée dans l’équipe. Elle séduit immédiatement.
Le trou sera rond. Il se fera en plein milieu. Quitte à percer, autant y aller franco.
Les pilotes éditoriaux sondent les journalistes pour développer des sujets en lien avec le trou, le gouffre, la percée, le vide, le manque, l’horizon, la vision, l’ouverture. Tout est dans trou.
Mais ce lien n’est pas toujours indispensable. De très bons papiers sont en cours de rédaction et prévus depuis belle lurette. On ne va pas les faire sauter pour ça.
Cette traversée des pages a un coût. +/– 4 450 euros. Il faut créer une pièce spécifique pour le perçage de précision, et ensuite perforer manuellement les Médor, six par six. Soit 1 500 fois une action minutieuse. Chaque équipe racle ses fonds de tiroirs, récupère des sous à gauche et à droite (ces quatre pages sont rédigées de manière bénévole par exemple). Un budget dédié à la com’ complète la somme du devis. Ça tombe bien, toutes les commandes d’articles sont lancées !
2. En si bon chemin…
Lançons un Appel !
La réflexion sur les fondements de Médor se poursuit. On n’a pas trop envie de lancer un cri d’alarme. Nous voudrions plutôt faire une proposition d’avenir.
– On pourrait publier un Appel qui réaffirmerait nos valeurs, montrerait notre radicalité, poserait des engagements concrets ?
– Ah oui, genre, voici notre vision du journalisme, ce à quoi on s’engage ! Rejoignez ce mouvement, aidez-nous à boucher le trou !
– Mieux encore : rejoignez-nous, pour qu’on puisse percer ensemble de nouveaux horizons !
– Mais ouais, ça fait sens…
Dès avril, une réunion « Gravure » convie tous les médoriens. Vingt-deux invité.e.s. On y évoque le manifeste Dada, Dogma 95… Ça part dans tous les sens. Comme aux débuts de Médor, ça bricole et ça discute sur des tables de cuisine – ou plutôt de bureau, cette fois. Les allers-retours s’enchaînent.
Les réunions aussi. Un pad (un document en ligne éditable collaborativement) voit émerger des bouts de texte, des tentatives, des débats.
Il y a un truc sur lequel on veut insister. La radicalité de Médor vient de son modèle commercial : 83 % de nos rentrées sont des recettes propres, c’est cela qui garantit notre indépendance.
On discute chaque mot. Artisanal (on s’y retrouve beaucoup, de nos typos fabriquées maison à notre pratique journalistique de profondeur, mais, bon, on ne fait pas vraiment de production manuelle) ? Belge, on l’a déjà dit. Journalisme, c’est nos tripes, investigation, c’est notre cœur. Généreux, c’est notre désir. Nos trois mots clés seront :
ENQUÊTE ARTISANAT SURPRISE
Puis déboule robuste. Le terme est utilisé par le biologiste Olivier Hamant, dans son livre La Troisième Voie du Vivant. Plutôt que de viser la performance, la force pure et la solidité, la robustesse plaide pour un modèle imparfait, hors performance, résilient, capable d’absorber les chocs. À la manière du vivant. C’est décidé. Médor mettra au cœur de ses envies la volonté d’atteindre la robustesse. Ce sera la revendication qui englobe tout.
Surtout, nous formulons une liste d’objectifs concrets à atteindre et une série de mesures pour y parvenir. Vous les découvrirez en lisant l’Appel.
Voici ce à quoi vous participez si vous rejoignez notre mouvement :
Un projet en rupture avec les outils qui lissent nos idées et nos images. Médor s’affranchit des GAFAM, travaille avec des logiciels libres et fabrique ses propres solutions graphiques.
La lutte contre l’accélération, l’uniformisation et la polarisation de l’information. Médor est un média de temps long et de nuances.
La création d’un modèle artisanal. Nous prenons le temps d’aller sur le terrain et de construire une pratique d’atelier, où l’info se pense aux côtés de la maquette et de la diffusion.
Un journalisme qui assure sa qualité en créant une structure de travail éthique, collective et innovante. Nous ne cherchons pas la performance, mais la robustesse.
Une fête où l’expérimentation et la surprise sont mises à l’avant-plan. Dans un laboratoire permanent, Médor adore bricoler, se marrer et, même, inventer.
La survie d’un journalisme d’enquête en Belgique, libre de travailler sur n’importe quel sujet. Médor n’est adossé à aucun groupe de presse, aucun groupe commercial, aucune association ou organisation publique.
Un magazine qui ne cherche pas à être le beau gosse de la cour de récré. Nos illus ne courent pas derrière l’esthétique à la mode, mais derrière le sens.
Un média généreux, qui partage ses infos et ses outils avec le plus grand nombre. Médor est accessible à prix coûtant pour les personnes qui ne peuvent payer le prix fort. Son contenu est presque entièrement publié sous licence libre.
Un modèle économique qui garantit la liberté et la qualité du projet. Médor est le premier média en Belgique francophone à s’être structuré en coopérative.
3. Et à présent
S’abonner, se voir et faire la fête
Nous allons entamer une campagne d’appel à soutien sur 12 mois. Et en deux temps.
À partir de décembre 2023 : rejoignez-vous !
Les six premiers mois de 2024, nous commençons par la recherche de nouveaux abonné.e.s et lecteur.ices en librairie. Nous visons une augmentation de 4 % de ces recettes propres pendant trois ans. C’est à la fois très raisonnable (on parle de 20 personnes par mois) et très ambitieux (car cette progression doit se poursuivre pendant trois ans).
À partir du printemps 2024 : levée de fonds
La seconde démarche vise une augmentation du capital, afin de nous aider à couvrir des investissements nécessaires pour atteindre l’équilibre budgétaire. Par exemple : le développement d’une nouvelle boutique en ligne plus claire et plus facilement transposable dans la compta pour l’équipe, le développement de notre réseau de diffusion, la mise à jour des outils de notre maquette open source.
Si c’est important de vous l’annoncer maintenant, c’est pour éviter que notre levée de fonds, qui commencera en mars, ne soit mal comprise. Elle ne sera pas le signe que les ventes n’augmentent pas ou que le coffre-fort aurait été braqué pendant les fêtes.
Et en parlant de fêtes, Médor remet au goût du jour les siennes.
Historiquement, la première avait été dantesque. Des Médor avaient volé au-desssus des tables et on était très contents. On remet ça début juillet.
Médor organisera pour les dix ans de sa coopérative une grosse boum (ou un pique-nique ou un concours de pétanque ou une action « n’abandonne pas ton/ta journaliste l’été en bord de route », bref un truc quand même un peu festif).
Nous taillerons aussi une petite bavette dans plusieurs grands événements culturels. Et encore tant de choses. Cette année sera intense.
2024, c’est pas Médor mort, c’est Médor encore.