Il faut sauver la balle pelote
Spectateurs et joueurs vieillissants, riverains grognons, bagnoles omniprésentes : la balle pelote, tradition populaire, lutte pour sa survie dans un monde hostile. Comment lancer son renouveau ?
Impossible de faire un barbecue sans recevoir des balles sur la tête. Terrible difficulté de planifier le déchargement des grosses courses. Août 2017. Sur la place de Vaudignies, petit village de la commune de Chièvres (Hainaut), des riverains râlent ferme. L’un d’eux en a marre de récolter des balles dans son jardin. Une vie sans repos. Un calvaire, disent-ils. Mais qu’est-ce qui peut bien les mettre dans cet état ? Un sport, unique en son genre, joué depuis des siècles sur des places de village belges : la balle pelote.
Les riverains en pétard réclament le déplacement du ballodrome, ce vaste terrain de 72 mètres de longueur installé sur la place. Il accueille près de 70 matchs par an. Beaucoup trop à leurs yeux. « Parce que nous avons osé nous plaindre, on vient crier et nous insulter sous nos fenêtres », s’exaspère un des contestataires.
Dans la commune hennuyère, la petite reine blanche est plus qu’un hobby, c’est une tradition. Une manifestation de soutien est organisée pour sauver le ballodrome, actif depuis plus d’un siècle. « Ces gens-là ne savent pas ce qu’ils veulent. Je ne peux que leur conseiller de déménager ou d’aller vivre sur une île déserte », peste un amoureux du jeu de balle. Les tentatives de conciliation et les promesses d’aménagement sont lancées. Sans succès. Le conflit prend une tournure judiciaire et empoisonne la vie politique communale durant plusieurs mois. « À notre arrivée, c’était le chaos ! », tance, en 2020, le bourgmestre, Claude Demarez (MR), en annonçant le déménagement du ballodrome controversé.
Sport phare en Belgique jusque dans les années 70-80, la balle pelote n’a, pendant longtemps, jamais dû lutter pour survivre. Aujourd’hui, tout a changé. « Le jeu de balle a du mal à trouver sa place dans cette société moderne, confirme l’historien Benoît Goffin, spécialiste de la balle pelote et auteur de deux livres sur le sujet. Le jeu de balle est un fossile vivant, un indice d’une société traditionnelle en voie de disparition. »
Chaque année, des sociétés ferment. La peinture des ballodromes s’écaille et on ne compte plus que 3 500 adhérents dans le pays, surtout dans le Hainaut et en province de Namur. Selon certains pronostics, le jeu de balle pourrait disparaître d’ici quinze ans. « Le corps et l’audience commencent à vieillir, admet Andy Simon, président de la Fédération des jeux de paume en Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est un problème, même si la discipline reste encore très vivante. »
Quelques grands événements subsistent, pour amener la balle pelote auprès du grand public, comme le Grand Prix joué sur la Grand-Place de Bruxelles. Les meilleurs « pelotaris » s’affrontent sur les pavés. Même Francis Lalanne, le grand troubadour complotiste, est tombé sous le charme de cette discipline atypique. Il jura à l’époque d’aller voir au plus vite une lutte (nom d’un match de balle pelote) avec son fiston. Mais ne nous dispersons pas.
Village, bistro, pelote
L’histoire récente de la balle pelote remonte au Moyen-Âge. Alors que les notables s’adonnent à la courte paume – une discipline pratiquée en intérieur avec une raquette, ancêtre du tennis –, le « peuple », lui, joue à la longue paume – à l’extérieur, à mains nues. Si la différenciation sociale est marquée – et donnera naissance à l’expression « jeux de mains, jeux de vilains » –, les autorités tolèrent et encouragent ces jeux populaires. Ils rythment la vie des centres des villes et des villages et drainent avec eux toute une économie. Progressivement, le jeu de balle se subdivise en deux disciplines, la balle au tamis et la balle pelote. Des centaines, voire des milliers de supporters de tout âge et de tous milieux sociaux se rassemblent et s’unissent derrière le fanion communal lors des luttes importantes. Les gérants des cafés font le plein. Le houblon coule et les commerçants locaux offrent les lots pour les vainqueurs. Fabrice Gosselain, guide au Musée national des Jeux de paume à Ath, versifie cet âge d’or sur un air de Jacques Brel. « C’était au temps où on aimait le petit bistro. C’était au temps où on parlait wallon. C’était au temps des petits magasins. »
Les ballodromes sont historiquement ancrés au cœur de la cité. Un peu de peinture, quelques perches et le tour était joué. La présence d’une station-service, d’un arbre ou du pignon d’une habitation sur l’aire de jeu importait peu. Puis la voiture a déferlé. Si le politique tente aujourd’hui de faire marche arrière et de redynamiser les centres-villes, pour la balle pelote, le mal est fait. L’augmentation du trafic routier, le besoin de sécurisation ou encore la transformation des places en parkings ont conduit les pelotaris à quitter – de gré ou de force – leur terrain favori. Résultat, « le jeu de balle ne s’est plus adressé qu’aux amateurs. Il a perdu une grande partie de sa visibilité et de son interactivité avec le public et l’espace urbain », résume Benoît Goffin.
La magie du circuit court
Mais la bagnole est loin d’être la seule responsable de ces changements. Profitant jusqu’à la moitié du XXe siècle d’un quasi-monopole, le jeu de balle souffre de la concurrence des autres sports. Les Trente Glorieuses marquent l’avènement d’une société des loisirs et d’une population plus mobile, désireuse de découvrir de nouveaux hobbys. Week-end à la mer ou lutte sur une place d’un village voisin ? On vous laisse trancher.
La fermeture des petits commerces et des services publics dans les villages amplifie le phénomène. Les cités-dortoirs apparaissent. « Jadis, vivre dans un village, c’était y appartenir. C’est de moins en moins vrai, commente un sociologue dans les pages du Soir au moment du conflit à Vaudignies. La proximité spatiale ne conditionne plus la proximité sociale. Le village n’est plus comme il y a 50 ans une communauté autocentrée où régnait un fort sentiment d’appartenance. »
Mais si les évolutions sociétales ont été dévastatrices pour la balle pelote, ce même monde moderne pourrait-il lui offrir sa planche de salut ? « Les circuits courts, le petit patrimoine, le terroir sont terriblement valorisés aujourd’hui, observe l’historien Benoît Goffin. La balle pelote, avec cette dimension interactive avec le public et son environnement, peut aider à créer du lien social, valoriser l’espace public et lui redonner du sens. » Ne reste plus qu’à trouver des joueurs.
« Il va falloir mettre les bouchées doubles pour le recrutement de jeunes, admet Andy Simon. On a une cellule formation qui se déplace dans les écoles. Il y a aussi des initiatives pour évoquer le jeu de balle via la culture. »
Pas question, en revanche, de tout révolutionner. « On ne doit pas imiter un autre sport sous prétexte qu’il est populaire. Notre discipline est unique de par son terrain, sa relation avec l’espace public, l’artisanat de la fabrication des gants, l’esprit de buvette. Ce rythme et ce temps long peuvent encore convenir à un public ! La balle pelote, avant tout, c’est du vivre-ensemble. » Un travail est mené en parallèle pour inscrire le jeu de balle au patrimoine immatériel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Tout cela sera-t-il suffisant pour assurer la pérennité de la petite reine blanche ? En dernier recours, il restera toujours Francis Lalanne.
Il y a de l’espace près de chez vous et 2-3 personnes motivées par la constitution d’une nouvelle équipe de balle pelote ? Faites le savoir dans Médor, on ne sait jamais. Toute annonce encodée avant le 1er août pourra être publiée dans le numéro de septembre.
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Avec la langue, en wallon.
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La discipline a disparu en Belgique au milieu des années 60.
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Fut une époque où seuls les habitants domiciliés dans la commune pouvaient défendre la société locale.
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Le football se jouant principalement durant l’hiver, il ne concurrence pas le jeu de balle qui se pratique l’été.
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