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Les petites sœurs surveillent

Parler d’amour et de sexe à Anderlecht

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Rémi Calmont. CC BY-NC-ND.

« L’expérience avant le mariage, c’est pécher ? Et si, à la nuit de noces, la fille n’a pas envie ? » Des adolescents issus de quartiers populaires de Bruxelles parlent d’amour et de sentiments. Très simplement.

L’idylle idéale « commence avec quelqu’un que je croise souvent, un voisin. On s’apprécie, on se parle longtemps. Ça dure trois mois. Nos mères se croiseront à la boulangerie et parleront de nous. Elles nous laisseront nous voir chez l’un, chez l’autre. On grandira ensemble. À nos 18 ans, on sera dans le hlel (le mariage religieux). On sera bien. »

Comme cette adolescente de Cureghem (Anderlecht), des jeunes partagent leur vision de l’amour au micro de Comme un lundi, une association dédiée à la réalisation sonore et visuelle. Ses podcasts « Sexpowerment », « Faut (d)oser » et « À l’Ouest » explorent ce thème difficile. « Les animateurs de quartier avec qui nous travaillons ne sont pas toujours à l’aise pour parler de sexualité avec les jeunes. La radio permet de libérer cette parole », explique Sarah Segura, cofondatrice de l’asbl.

L’honneur au bout des doigts

Dans Sexpowerment, cinq spécialistes concernés par l’amour dans ces quartiers témoignent. Parmi eux, Hayat El Aroud, éducatrice spécialisée à la maison de quartier Les Pouces à Cureghem, et Ihssan Himich d’Arab Women Solidarity Association (AWSA), une association qui milite pour la promotion des droits des femmes originaires du monde arabe. Celles-ci dénoncent l’effet nocif des téléphones sur l’intimité.

Même si ces derniers nous connectent à l’amour, ils menacent aussi la réputation des jeunes filles ou de toute personne dont le comportement sexuel sort des normes socialement attendues. Il suffit alors d’une photo sur les réseaux sociaux pour « perdre son honneur ». « Entre l’étiquette de vierge ou de pute, les jeunes filles ne se montrent plus sur les réseaux, elles ne veulent pas être reconnues. À présent, avec les téléphones, ce sont les grands frères, mais aussi les petites sœurs qui surveillent », déplore Hayat El Aroud.

Intimités à l’étroit

L’injonction à faire bonne figure ou le sentiment d’espionnage s’amplifient quand le manque d’intimité s’installe au sein des familles, dans les logements surpeuplés. C’est le cas de Dounia, 12 ans, membre d’une famille qui habite une tour de logements sociaux dans le quartier Beekkant (Molenbeek). À six, ils partagent un salon, une salle de bain, une seule toilette et trois petites chambres. Une pour les parents, une pour le frère, l’autre pour les trois sœurs : « Je dors avec elles dans un même lit superposé. Je suis à l’étage du bas avec celle qui a bientôt 19 ans. Elle prend beaucoup de place ; donc, je dors dans le salon ou sur une paillasse. »

Alors l’amour éclot là où il peut, dans les rues, principalement occupées par des hommes. « Ce sont les caméras de surveillance du quartier », explique Ihssan Himich, d’AWSA. « Je ne pourrai jamais avoir un petit ami et passer par ici. Mon frère ne sera pas content, il dira que je suis petite », regrette Leila, 16 ans, une habitante de Beekkant.

Couples hors normes

Certaines idylles risquent plus gros que de simples regards indiscrets, notamment des couples mixtes, de classes, d’origines ou de religions différentes : « Parfois, quand une Marocaine sort avec un Noir, le regard est différent. C’est mieux de se cacher, car ils te regardent ou t’insultent », raconte Hudeifa, un Molenbeekois. De même pour l’homosexualité et les transidentités. Les personnes LGBTQIA+ s’exposent à diverses formes de violences qui peuvent parfois tourner au drame. On pense au meurtre d’Ihsane Jarfi (raconté dans le film Animals de Nabil Ben Yadir), un homme de 32 ans tué en avril 2012 à Liège parce qu’il était homosexuel. Son père, Hassan Jarfi, témoigne dans Sexpowerment : « La plupart des gens pensent que l’homophobie règne à cause de la religion. Or, c’est une cause minime. Si quelqu’un veut être violent, il trouvera le prétexte pour l’être. S’il veut vivre en paix, il ira chercher dans le Coran tous les versets pour la vivre. »

Ihssan Himich pointe du doigt un héritage colonial dans l’hostilité à l’égard des personnes LGBT. Pour elle, il faut rappeler aux jeunes leurs histoires originelles et non celles des colons, empreintes de représentations qui ont transformé les perceptions de la sexualité dans les cultures dites arabes.

« Dans nos cultures, on a retrouvé des livres datant du XIIe, XIIIe siècle qui parlent ouvertement d’homosexualité. Elle n’appartient pas au monde occidental. Nous ne la nommons juste pas de la même manière, affirme-t-elle. Il y a de la place pour la sexualité dans l’Islam. On parle aussi de plaisir féminin, mais cela a été effacé. »

Amours solidaires

Loin du jugement, les filles de la maison de quartier Les Pouces participent à un atelier d’information sexuelle. Elles échangent au sein d’un groupe où six filles sur huit sont musulmanes et dans lequel elles se sentent en sécurité.

  • « Je n’aborde pas le sujet des relations avec ma famille. C’est “hchouma” (la honte). »
  • « La mienne va quand même répondre si j’ai des questions, mais elle pensera que je cache quelque chose. »
  • « Moi je ne fais pas la bise aux garçons, je serre la main. Quand j’ai débarqué à l’école à Ixelles, j’ai vu des gens hyper-tactiles entre eux. À Anderlecht, c’est pas le même niveau ! »

« Des espaces comme ceux-là, il en faudrait plus, estime Ihssan Himich. Il faut parler de sexualité avec des gens qui nous ressemblent. C’est aussi pour cette raison que les jeunes se réfugient dans la pornographie, poursuit-elle. Quand on silencie la sexualité, on tait toutes les agressions que peuvent vivre les jeunes ainsi que leurs questions hormonales. »

AWSA a créé un site internet, Sexualité sans tabou, principalement pour les femmes originaires du monde arabe. Car, dans les animations scolaires EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle), « on ne parle pas du mariage, du mythe de la virginité, du vaginisme, des sujets primordiaux pour ces populations, regrette Ihssan Himich. Pareil pour les personnes LGBTQIA+ qui sont peu ou mal représentées. On a souvent un pénis pour s’exercer à mettre un préservatif, on a rarement une vulve. Dans l’accompagnement à la vie affective, il faut plus d’inclusion et d’espaces intracommunautaires. »

Le podcast Sexpowerment avance dans ce sens, en mettant en mots les questions spécifiques soulevées par les adolescents rencontrés. Car même si l’on aime partout, on n’aime pas partout pareil.

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