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La méthode mexicaine

Auprès des narcos belges

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Stan Heerkens. Tous droits réservés.

Une poignée de narcochimistes débarqués du Mexique ont fait fleurir une nouvelle branche de l’industrie de la drogue en Belgique et aux Pays-Bas : la production de méthamphétamine. De Standaard a fait le tour des protagonistes de ce grand tournant. « Des gants de protection ? Et puis quoi encore ? Dis aux mexicanos qu’ils se mettent au travail. »

Les barils remplis de mélasse chimique passeraient certainement inaperçus parmi les dépôts sauvages, qui font partie du décor, dans le quartier de Bruxelles-Midi. C’est ce qu’a dû se dire l’homme qui a décidé, le 23 novembre 2020, d’abandonner là trente-deux bidons de déchets provenant de la fabrication de drogue de synthèse. Soigneusement répartis sur quatre palettes, ils y sont restés plusieurs jours, sur une bande de stationnement de la rue Memling, à Anderlecht, avant que la police ne tombe dessus. Verdict de l’analyse labo : de la méthamphétamine.

Les quatre enquêteurs de la police fédérale qui sont mis sur l’affaire démantèlent tellement de plantations de cannabis dans la capitale que c’en est devenu routinier, ce genre de pêche. Mais ils n’avaient encore jamais déniché de laboratoire – et encore moins de labo de crystal meth. Les caméras de surveillance routière conduisent l’équipe à une camionnette de location et à un suspect, un homme de nationalité marocaine résidant à Bruxelles. Le traceur intégré au véhicule montre que l’homme s’est rendu quelques jours plus tôt à une certaine adresse à Herstal, aux abords de Liège. Une opération nocturne de « contrôle visuel discret » confirme que le laboratoire se trouve bien là. Un certain Cees B. semble tirer les ficelles de l’affaire de Herstal depuis Amsterdam.

Les enquêteurs ne sont pas surpris de constater que la piste les conduit aux Pays-Bas, qu’ils appellent le « Mexique euro­péen » : une terre promise de la criminalité, où l’industrie de la drogue est si omniprésente que l’on peut véritablement parler d’un « narco-État ». Les stups belges connaissent la musique : 80 % des laboratoires démantelés mènent à la pègre néerlandaise. Or, autant le narcotrafic ne connaît pas de frontières et le milieu belgo-néerlandais opère depuis des années dans un espace européen unifié, autant les enquêteurs butent systématiquement sur un mur de paperasserie et d’administration pour toute demande d’entraide judiciaire internationale.

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Ci-dessus : Deux pompiers examinent un laboratoire d’amphétamines planqué dans une bergerie, après son explosion. (Photo d’ouverture : Des pilules d’ecstasy saisies dans un laboratoire par l’Agence américaine de lutte contre la drogue.)
Stan Heerkens. Tous droits réservés

Herstal se révèle être une petite pièce d’un puzzle qui s’étend sur plusieurs pays. Grâce à l’expertise d’une poignée de Mexicains, la Belgique et les Pays-Bas sont devenus en peu de temps de hauts lieux mondiaux de la production d’une drogue qui, selon les Nations unies, ouvre de nouveaux marchés partout dans le monde en tant que substitut synthétique moins cher à la cocaïne, souvent parmi des groupes de population vulnérables.

Sur la base de dizaines d’entretiens réalisés dans six pays auprès d’agents des forces de l’ordre, d’intermédiaires, de trafiquants, de consommateurs et – pour la première fois – de narcochimistes mexicains, complétés par des fouilles dans une quinzaine de dossiers et jugements pénaux, De Standaard a fait la lumière sur cette nouvelle branche de la criminalité organisée qui a pris pied dans les Plats Pays. On se croirait dans la série belgo-néerlandaise « Undercover », sauf qu’ici, tout est vrai. Médor vous livre ici les meilleurs extraits de cette enquête, publiée en janvier dernier.

Les sirènes de l’argent

Culiacán, printemps 2018. « Aux Pays-Bas, il y a des montagnes d’argent à gagner avec la “ice” », s’entendent promettre Diego et Victor V. Les frères, dans la petite vingtaine, travaillent déjà depuis quelques années dans les laboratoires de méthamphétamine de la capitale de l’État de Sinaloa, sur la côte ouest du Mexique, quand une mission aux Pays-Bas leur est proposée. Ils ont grandi dans l’arrière-pays de l’État voisin de Durango, qui forme, avec une partie des États de Sinaloa et de Chihuahua, le « triangle d’or », berceau du trafic de drogue mexicain. Leur père et leurs oncles y cultivaient le chanvre et le pavot destinés à la confection d’héroïne, comme la plupart des paysans indépendants de cette région de non-droit. Quand la légalisation du cannabis aux États-Unis et l’avènement du fentanyl, substitut bon marché à l’héroïne, ont eu raison des cultures dans les hautes terres, les frères se sont déportés vers Culiacán. Leur père voulait qu’ils fassent des études, mais les sirènes de l’argent facile dans les milieux criminels ont été plus persuasives.

Dans le Sinaloa, les frères se mettent à produire sur quelques jours des centaines de kilos de drogue, soit un chiffre d’affaires de plusieurs millions de dollars, mais constatent que les bénéfices en reviennent uniquement aux investisseurs. L’éternelle fracture entre travail et capital laisse Diego et Victor sur le carreau. Ils voient les Pays-Bas comme un tremplin vers une meilleure fortune. En cela, ils ne sont pas si différents des millions de travailleurs migrants mexicains qui ont poursuivi avant eux le rêve américain.

À La Haye, où ils sont envoyés, les frères se lient d’amitié avec d’autres Latino-Américains, notamment des Colombiens qui travaillent dans des blanchisseries de cocaïne, où ils extraient la drogue de matériaux de support tels que des vêtements. « Les Pays-Bas et la Belgique produisent beaucoup de speed et d’ecstasy, mais n’ont pas d’expertise en matière de crystal meth. C’est là que vous intervenez », leur dit-on. Peu après, ils sont mis à la tâche dans un laboratoire aménagé dans la cale d’un bateau de plaisance amarré dans le petit port intérieur de Moerdijk, à 20 kilomètres de la frontière belge.

Un tournant

Le 10 mai 2019, des policiers tombent sur le laboratoire de Diego et Victor, attirés par l’odeur chimique qui émane du bateau. Un mois plus tard, trois Mexicains sont arrêtés en Belgique dans un laboratoire installé à Wuustwezel, dans la province d’Anvers. En 2020, le phénomène explose : alors qu’aucun laboratoire de méthamphétamine n’avait jamais été découvert en Belgique jusqu’en 2018, cinq le sont en 2020 et cinq autres en 2021. Au total, 24 Mexicains sont arrêtés dans les deux pays.

L’expert en criminalistique Jorrit van den Berg ne s’occupe pas du pays d’origine des préparateurs, pas plus qu’il ne cherche à percer à jour les organisations criminelles et leurs motivations. Son rôle à lui consiste à faire parler les molécules. En 2019, il soumet la méthamphétamine de Moerdijk à une analyse chimique à l’Institut néerlandais de police scientifique à La Haye, l’équivalent de l’Institut national de criminalistique et de criminologie en Belgique.

En vingt ans de carrière, van den Berg a inspecté des laboratoires de drogue partout aux Pays-Bas. Dans les cas très rares où il s’agissait de production de méthamphétamine – et non, comme souvent, d’amphétamines (speed) ou de MDMA –, les préparateurs utilisaient de l’éphédrine comme substance de base, un ingrédient qui entre dans la composition des sirops pour la toux et des gouttes nasales. Or, l’expert constate que la méthamphétamine mexicaine est composée différemment […]

L’échantillon de Moerdijk contient exclusivement de la dextrométhamphétamine synthétisée à partir de benzylméthylcétone (BMK). Ce qu’il faut en retenir ? « C’est que c’est un tournant fondamental », affirme van den Berg. En raison de l’industrie du speed qui existe dans la région frontalière belgo-néerlandaise, des quantités considérables de BMK sont en circulation. De plus, la méthamphétamine représente une part beaucoup plus importante du marché mondial des drogues de synthèse (72 %) que les amphétamines (19 %) et la MDMA (4 %). Les Pays-Bas et la Belgique ont tout pour générer des affaires juteuses : l’infrastructure, les laboratoires, les filières de trafic et les matières premières. Il ne leur manquait que la bonne recette. La méthode mexicaine.

Pablo Icecobar

Cees B. (44 ans) a glissé dans le trafic de drogue par la vie de rue d’Amsterdam-Ouest. Depuis, il a pratiqué toutes les branches du sport : cannabis, pilules et « blocs », comme sont appelés les paquets d’un kilo de cocaïne dans le jargon. La première Rolex au poignet, les sorties en grosse bagnole ont eu un temps leur effet grisant : « Les gens vous regardent autrement », dit-il. Cees B. est l’archétype du trafiquant de drogue néerlandais : vif, inventif et déterminé. Et violent s’il le faut. Pendant des années, il organise avec ses partenaires un trafic d’amphétamines vers l’Espagne pour la distribution locale. C’est ainsi qu’il rencontre Pavel N.-G., alias Pablo, originaire de l’État mexicain de Michoacán – qui grouille tout autant que Sinaloa de laboratoires de méthamphétamine. Pavel lui dit qu’il connaît des gars au Mexique qui savent préparer la crystal meth, si bien que Cees et Pavel décident de s’associer pour mettre sur pied des laboratoires aux Pays-Bas et en Belgique […]

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Une presse à comprimés utilisée pour fabriquer de l’ecstasy.
Stan Heerkens. Tous droits réservés

Les relevés téléphoniques de l’auteur du dépôt sauvage font apparaître tous les acteurs impliqués, dont Michael H., le propriétaire pensionné qui loue la maison, Joey V.L., le coursier, et Bachir E.B., le dealer. Huit hommes au total. Plus basse est leur place dans la hiérarchie de la bande, plus ils communiquent ouvertement. « Voilà, ils sont arrivés », entendent un jour les enquêteurs sur la ligne de téléphone mise sur écoute à Herstal. « On peut reprendre. » En bruit de fond, ils entendent parler espagnol.

Les recrues mexicaines

Les enquêteurs soupçonnent la présence de laborantins mexicains recrutés pour leur savoir-faire en chimie. Les contours d’un nouveau phénomène criminel se dessinent : des narcochimistes sont envoyés en Belgique et aux Pays-Bas depuis le Mexique pour fabriquer de la méthamphétamine dans des laboratoires. Comment et pourquoi, les autorités l’ignorent encore. Les Mexicains arrêtés restent muets comme des tombes, par crainte, disent-ils, de représailles de leurs commanditaires.

Au début de la pandémie de coronavirus, la méthamphétamine se vend comme des petits pains, car beaucoup de labos concurrents sont à l’arrêt. Un jour, Cees reprend le labo d’une connaissance à lui qui y produit de la MDMA : Herstal. Comme ses deux partenaires fixes viennent de se faire arrêter dans une affaire de cocaïne, Cees engage, par l’intermédiaire de connaissances communes, Bachir E.B., de Bruxelles, comme gestionnaire du site. Quand Bachir vient lui rendre visite aux Pays-Bas, Cees remarque que la police le surveille. Sans qu’il s’en rende compte, le filet se referme. « On pense toujours que c’est l’autre qu’ils veulent coincer. »

En avril 2020, les services de sécurité français et néerlandais s’introduisent sur le réseau de messagerie crypté EncroChat. Pendant trois mois, ils ont accès aux communications secrètes de dizaines de milliers d’utilisateurs.

Un nom d’utilisateur se détache rapidement : Pablo Icecobar – « ice » étant l’un des noms de la méthamphétamine, et Pablo Escobar, le célèbre baron de la drogue colombien. « Je suis le numéro 1 en Europe, se vante-t-il. J’ai trois labos qui tournent en permanence. » Les enquêteurs suivent dans ses communications la trace de quatre laboratoires, dont celui où opéraient Diego et Victor à Moerdijk.

Fausses cartes d’identité

Dans le même temps, une autre équipe de la police criminelle néerlandaise piste deux Mexicains qui baignent dans le trafic de drogue de synthèse : Pavel et Jorge N.-G., de Michoacán. Les enquêteurs finissent par faire le rapprochement entre Pavel et l’alias Pablo Icecobar. Les opérations de surveillance montrent que les frères se rendent occasionnellement en Belgique, dans la région frontalière avec les Pays-Bas. Ils utilisent en outre des cartes d’identité belges falsifiées. « Tous mes hommes ont de faux documents », écrit Pavel sur Encro­Chat.

En la personne de Pablo Icecobar, les Néerlandais semblent tenir dans leur viseur le chef d’une organisation criminelle importante.

Mais au bout d’un certain temps, il devient clair que les frères N.-G. ne dirigent que la petite organisation qu’ils forment à deux : une sorte d’agence d’intérim qui fournit des chimistes mexicains aux producteurs néerlandais. En contrepartie, ils se font rétribuer en liquide ou reçoivent une partie de la production, que Pavel exporte en Allemagne. Les agents ont pu observer que les Mexicains ont parfois tendance à se donner une image de gros bonnets auprès de leurs interlocuteurs néerlandais, dans l’espoir de s’en faire des clients. Cela pourrait expliquer la vantardise de Pablo Icecobar […]

Dans les labos, les conditions de travail sont déplorables. Exposés à des vapeurs toxiques, les narcochimistes souffrent souvent d’insomnie et de paranoïa, d’après différentes enquêtes. Sans même parler du risque d’explosion. Dans un dossier instruit aux Pays-Bas, il apparaît que des chimistes ont demandé à deux reprises des gants de protection. « Ça fait des frais ça, tu vois, et on n’a pas encore gagné un euro là-bas, s’écrivent les commanditaires néerlandais sur EncroChat. Des gants ? Et puis quoi encore ? Dis aux mexicanos qu’ils se mettent au travail. »

Les chimistes mexicains et leurs recruteurs sont-ils envoyés par les cartels ? « Nous n’avons pas reçu d’informations concrètes indiquant une implication directe des cartels mexicains dans un seul dossier, ni de la part des services mexicains ni de la part de la DEA (l’Agence américaine de lutte contre le trafic de stupéfiants) », répond le procureur néerlandais Martin van Nes, qui a instruit plusieurs affaires de méthamphétamine, dont celle de Pablo Icecobar. Ce n’est toutefois pas à exclure totalement, note le magistrat […]

« Malgré les récentes évolutions, aucune indication ne porte à croire que les cartels mexicains s’établissent dans l’Union européenne dans l’intention d’y accaparer les marchés », signale l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies dans un rapport de 2022 […]

Chemsex

Le nombre de saisies de méthamphétamine effectuées sur le territoire de l’Union européenne a augmenté de 477 % au cours des dernières années, sous l’impulsion des chimistes mexicains. La rareté a fait place à une offre excessive, ce qui a fait chuter les prix, d’après des consommateurs actuels et repentis et des intervenants sociaux aux Pays-Bas et en Belgique. Alors qu’un gramme de crystal meth coûtait encore 150 à 200 euros il y a quelques années, la même quantité peut se trouver pour seulement 20 euros aujourd’hui.

Kevin, venu d’Albanie, est devenu accro à la méthamphétamine en tant que jeune travailleur du sexe homosexuel à Bruxelles, car beaucoup de ses clients étaient consommateurs et voulaient qu’il se joigne à eux. Lui connaît cette drogue sous le nom de « tina », acronyme de « there is no alternative » (« il n’y a pas d’alternative »), parce qu’elle fait pâlir tous les autres produits euphorisants. « Tu es ouvert au chem ? », lui demandaient ses clients par message. Ils parlaient de chemsex, c’est-à-dire la consommation de drogue pour augmenter le plaisir et améliorer les prestations, une pratique marginale, mais qui gagne en importance, et à laquelle participent souvent des « escorts » […]

La méthamphétamine est, à bien des égards, une drogue de notre époque : un remède bancal à l’incertitude, à l’angoisse et à la solitude. La substance, qui élimine la faim et la soif, libère ainsi cinq fois plus de dopamine que la cocaïne. La descente, qui dure plusieurs jours, est à l’avenant.

Sans s’en rendre compte, Kevin, qui n’avait même jamais touché à un joint quand il était étudiant dans son pays d’origine, s’est retrouvé à inhaler le matin pour pouvoir s’extraire de son lit et devancer les symptômes de manque. Ce n’est qu’en restant sexuellement abstinent pendant un an qu’il a réussi à se libérer de la drogue. Il se considère comme un survivant.

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Matériel de fabrication pour transformer du phénylacétone en amphétamines.
Stan Heerkens. Tous droits réservés

Le monde à l’envers

Au printemps de 2022, le Belge Marc Vancoillie, commissaire à la Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée, a reçu de bonnes nouvelles de ses collègues néerlandais – ou du moins, ce qu’eux estiment être de bonnes nouvelles : aux Pays-Bas, la police ne trouve plus que des laboratoires de méthamphétamine opérés exclusivement par des Néerlandais, qui appliquent cependant la méthode mexicaine. Dans les labos découverts en Belgique, la police tombe aussi principalement sur des Néerlandais et des Belges. « Tout s’apprend. Il ne s’agit pas non plus de monter une centrale nucléaire », commente Marc Vancoillie. C’est la confirmation qu’une troisième grande branche de l’industrie de la drogue de synthèse est désormais consolidée, après la MDMA et les amphétamines.

Ce diagnostic devient encore plus clair en août 2022, dans la capitale de l’Uruguay. La magistrate chevronnée Mónica Ferrero instruit depuis des années des affaires de trafic de cocaïne à Montevideo. Le travail abonde, mais il est prévisible : la drogue prend toujours la même direction, principalement Anvers et Rotterdam. Jusqu’à ce tuyau transmis par la police criminelle néerlandaise. Une cargaison de crystal meth arrive à bord un cargo en provenance d’Anvers. La drogue vient d’un laboratoire néerlandais, selon l’inspecteur chargé de l’affaire. « C’était le monde à l’envers : pour la première fois, de la drogue nous arrivait d’Europe occidentale », se souvient Mónica Ferrero.

Le business depuis la prison

Les 42 kilos interceptés à Montevideo sont une bagatelle en comparaison des tonnes de cocaïne qui débarquent régulièrement dans les ports d’Anvers et de Rotterdam, mais il s’agirait néanmoins de la plus grande quantité de méthamphétamine jamais arrivée en Amérique latine depuis l’Europe. La production belgo-néerlandaise est principalement destinée à l’exportation : Australie, Japon et Amérique du Sud. Ce qui a commencé par une poignée de jeunes Mexicains envoyés dans les Plats Pays est devenu une industrie aux ramifications mondiales qui ne s’embarrasse ni des forces de l’ordre ni des barrières commerciales.

En juillet dernier, Cees B. a été condamné à neuf ans de prison par le tribunal de Bruxelles pour son rôle de commanditaire d’une organisation criminelle. Il dit comprendre cette sévérité face à l’émergence de l’industrie de la crystal meth. Le temps qu’il doit encore passer derrière les barreaux – il pourra bénéficier d’une libération conditionnelle au bout du tiers de sa peine – ne représente à ses yeux qu’une période sabbatique. Il sait que beaucoup de narcocriminels continuent simplement de gérer leurs affaires depuis leur cellule.

En septembre 2021, Pavel N.-G., qui faisait l’objet d’un signalement international, a été arrêté lors d’un contrôle routier à Barcelone […] Le procès de Pavel est prévu en septembre 2023. Son frère Jorge est en cavale.

Diego et Victor V., qui étaient affectés au labo de Pavel N.-G. à Moerdijk, selon la justice néerlandaise, ont été expulsés vers le Mexique à la fin de 2021 après avoir purgé une peine de trois ans. Je les y ai rencontrés plusieurs fois. Ils ont retrouvé les laboratoires de Culiacán. Le risque d’arrestation y est faible, voire inexistant, étant donné la corruption généralisée et la quasi-impunité qui règnent dans le pays.

Les chimistes Richard M. et Pablo P., qui travaillaient dans le labo de Herstal pour Cees B., ont été acquittés faute de preuves ADN concluantes.

Dans les milieux du chemsex et parmi les jeunes, la drogue de synthèse 3-MM fait aujourd’hui fureur et passe pour une sorte de « tina light » (tina pour « there is no alternative ») : aussi efficace que la méthamphétamine pour un moindre contrecoup. Jusqu’à la fin de 2021, la substance était légale et facile à obtenir aux Pays-Bas. C’est le grand paradoxe de la lutte contre la drogue : elle pousse les producteurs et les trafiquants à innover et à se professionnaliser. Quand une porte se ferme, ils en ouvrent trois autres. Joe Bozenko, chercheur en narcochimie à l’Agence américaine de lutte contre la drogue, continue d’être surpris par la capacité d’adaptation illimitée des chimistes mexicains. « Nous ne faisons pas face à des organisations criminelles, mais à une branche de la science : la chimie. Et la chimie est inarrêtable. »

Les noms complets des personnes mentionnées sont connus de la rédaction du Standaard, mais ne sont pas divulgués pour des raisons de confidentialité et de sécurité.

Cet article a bénéficié du soutien du Fonds Pascal Decroos (Belgique) et du « Fonds Bijzondere Journalistieke Projecten » (Pays-Bas). De Mexicaanse methode paraît cette année en livre aux éditions Ambo Anthos.

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  1. Lire aussi notre article : « Gais chimistes » publiés dans Médor 16.

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