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Dark sur le Nil

Nyege Nyege, meilleur festival du monde

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Rémi Calmont. CC BY-NC.

Comment une rave dans la forêt ougandaise est devenue Nyege Nyege, l’un des festivals les plus avant-gardistes de la planète et la bête noire des néo-missionnaires.

Le nom du festival qui se tient chaque année en Ouganda annonce d’emblée la couleur. En swahili, « Nyege Nyege » signifie « envie irrésistible de danser ». Mais c’est aussi une envie irrésistible de casser les codes. De contre-attaquer les standards afrobeat, dancehall ou hip-hop qui tournent en boucle dans les clubs ougandais. Descendant d’une « enfant volée » du Burundi, le Belge Derek Debru s’installe en 2011 à Kampala, la capitale ougandaise, et y cofonde une école de cinéma et un studio d’enregistrement.

D’ateliers et résidences d’artistes en soirées et raves dans une station balnéaire abandonnée, son collectif Nyege Nyege impose ses performances excentriques et son électro sombre gonflée au singeli, un son futuriste des ghettos de Dar es Salam, à la house amapiano ou au kuduro angolais. Collectif, studio, producteur, cet incubateur de talents est-africains accueille aujourd’hui 40 000 personnes à son événement phare, le festival Nyege Nyege, et propulse ses stars sur la scène internationale. Comme Sonar et Dekmantel, présents à Dour en 2022.

Médor :

Pourquoi avez-vous délocalisé la dernière édition de l’événement sur les rives du Nil Blanc ?

Derek Debru :

L’ancien site, avec ses décors usés, ses éléphants à deux pattes, ne tenait plus la route et avait une capacité limitée. Le nouveau spot, aux pieds des chutes d’Itanga (à l’ouest de Kampala, NDLR), est incroyable. C’est un lieu sacré pour l’ethnie locale, au milieu de nulle part et très peu connu, même des touristes ougandais.

M :

Comment grandir sans vendre votre âme au commercial ?

D. D. :

Il ne faut pas se leurrer, la majorité du public s’en fout de l’électro-acoustique japonaise, du metal kényan ou des marionnettistes du Gabon. Ce sont les scènes sponsorisées par des marques d’alcool et leurs DJ populaires qui fédèrent le plus. Tout le défi maintenant est de trouver l’équilibre entre l’ADN culturel du festival et la rentabilité.

M :

Un autre niveau que le do it yourself de vos raves originelles…

D. D. :

On a dû construire des routes, une plage, monter 4 km de barricades, 20 km de lumières. C’est désormais un monstre à gérer et on a d’ailleurs eu des problèmes avec les toilettes, l’eau, l’électricité ou la sécurité. Ce festival est par essence foutraque. L’année dernière, c’était un peu le chaos.

M :

Il faut être fou pour organiser un tel événement dans la région des Grands Lacs, en proie à de nombreux conflits ?

D. D. :

La situation est assez stable en Ouganda et n’a rien à voir avec l’insécurité qui frappe l’est de la RDC, par exemple. Nous, on doit plutôt gérer la police. Au début, on avait notre sécu, une trentaine de kickboxeurs, et l’armée qui encerclait le festival. Mais l’événement a pris de l’ampleur et les flics ont voulu leur part du gâteau. Alors, au lieu de cibler les quelques malfrats et pickpockets présents sur le festival, les petits policiers en service emmerdent la fille qui fume un joint, le mec qui pisse dans les buissons. Mais ça ne se termine jamais mal. En dix ans, on n’a d’ailleurs connu aucun problème sécuritaire.

M :

Le gouvernement ougandais a pourtant essayé plusieurs fois d’interdire le festival, vous accusant d’y organiser des orgies, de vendre la morale des jeunes au diable.

D. D. :

Ces polémiques proviennent d’une petite frange conservatrice du gouvernement, de cette police de la morale qui nous voit comme des suppôts de Satan et pointe nos connexions avec la communauté LGBT+. La ministre de l’Éthique a même parlé de zoophilie… Il y a une grosse pression exercée par les églises évangélistes radicales, notamment américaines, sur le Parlement. Cette année, c’était le comble du ridicule. Selon les rumeurs, la cheffe de cet hémicycle a tenté d’interdire l’événement parce que son mari s’y rendait avec une autre femme. Mais non, heureusement – ou malheureusement –, vous n’y verrez pas d’orgies.

M :

Mais bien des faiseurs de pluie…

D. D. :

Après trois éditions rincées par la mousson, on a suivi les conseils des Ougandais et on a engagé ces sorciers. Et il n’a pas plu une goutte durant les quatre jours du festival alors qu’il drachait partout ailleurs ! L’année suivante, cela n’a pas marché. Le roi de l’ethnie locale nous a alors envoyé son faiseur de pluie personnel. Un gros nuage arrive, il commence à jouer de son instrument, une sorte de crécelle, et le ciel se dégage aussitôt. Je ne suis pas sûr de croire en leur pouvoir, mais, vu leurs résultats, je continue de les engager !

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  1. Les « enfants volés » sont nés de pères belges et mères burundaises, rwandaises ou congolaises pendant la colonisation et enlevés à leur mère par la Belgique.

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