13min

Entre mecs

Le féminisme dérape vite

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Dennis Marien. CC BY-SA.

Moi c’est Karim. J’ai 46 ans, j’habite à Liège, je suis marié et j’ai trois enfants, une fille et deux garçons. En 2020, alors que je n’y connaissais rien en féminisme, je me suis retrouvé à animer un groupe de réflexion sur les masculinités. Je m’imaginais refaire le monde avec des mecs sympas, en buvant des coups, et laisser au vestiaire le poids du patriarcat. Évidemment, ça ne s’est pas passé comme ça.

On ne se lève pas un matin en se disant qu’il est urgent de repenser les masculinités. Cela passe par de petites prises de conscience, des lectures, des rencontres. Et puis, ce jour où la réalité m’a pris entre quatre-z-yeux…

15 avril 2019
La claque

C’est comme si j’avais pris la pilule rouge. Ce jour-là, je plonge dans une réalité qui me laisse bouche bée. Ce n’est pas qu’une expression, j’ai littéralement la bouche entrouverte tellement ce qu’elle vient de dire me fait vriller le cerveau – les autres, ça les fait marrer. Je la fais répéter :

– Ben oui, quand je rentre seule le soir, je fais semblant de parler au téléphone pour pas qu’on m’emmerde et aussi parce que ça me rassure. On le fait toutes.

La quinzaine de filles acquiesce.

Elles étudient dans une haute école pour travailler dans le social. Dans la classe, il y a trois gars aussi. Moi, j’interviens dans le cadre d’une initiation à la philo.

Sophie lève la main. Ça lui est arrivé à midi. Elle marchait dans le centre et, derrière elle, une bande de gars s’est permis des commentaires sur la forme de ses fesses. Ils parlaient fort, pour qu’elle entende. Elle aurait aimé être de celles qui se retournent. Qui défient du regard. Qui hurlent des insanités pour les fermer, les petites gueules de merdeux qui se sentent forts car ils sont en groupe. Mais elle n’a pas le caractère. Elle n’a pas les outils. Elle a eu peur. Alors elle a accéléré le pas.

Une main à droite se lève. Puis une autre.

Ça durera deux heures. Toutes les filles ont quelque chose à dire. Déferlement de témoignages, de détails, de ressentis. Elles racontent la marche en ville, les écouteurs sur les oreilles, les yeux rivés sur le sol pour échapper aux sollicitations. Elles racontent la main posée continuellement sur leur verre pour le protéger dans les bars. Elles racontent les trajets dans la ville, la nuit. Le spray au poivre dans la poche. Les itinéraires B ou C pour éviter telle terrasse de café ou tel coin de rue. Elles racontent les hommes qui suivent dans la rue. Les voitures qui hèlent. Les relous. Les mains baladeuses. L’agressivité. Les insultes.

Les mecs de la classe « avouent ».

– J’avoue, ça se fait pas. J’avoue, je l’ai déjà fait mais pas à haute voix quand même. J’avoue, j’aimerais pas que ça arrive à ma mère ou à ma sœur.

Je leur parle de ma fille de 4 ans et de l’angoisse qui m’étreint à l’idée qu’elle vive la même chose.

– Vous avez des garçons, monsieur ?

– Oui.

– C’est d’eux qu’il faut s’occuper, plutôt.

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Dennis Marien. CC BY-SA

31 mai 2019
J’ai proposé de faire un groupe

Dans mon quartier, à Liège, un collectif contre les violences familiales et l’exclusion (le CVFE) lance le projet « quartier libre », directement inspiré d’une action menée en Amérique du Sud, pour lutter contre les violences faites aux femmes à l’échelle d’un quartier.

Je suis le seul homme présent à la réunion de lancement. Tour de table. Les participantes proposent différents sujets à traiter : violences conjugales, espace public, maman solo. On me donne la parole. Je suggère la masculinité. L’idée d’éduquer les gars et plus particulièrement les jeunes à l’égalité hommes-femmes.

– OK, tu t’en occupes ?

– Euh…

Me voilà en charge de rassembler et animer un groupe sur le sujet.

– Et tu sais, vous pouvez vous réunir entre mecs, pas de soucis pour nous.

Sur le moment, je ne comprends pas vraiment l’enjeu qui se cache derrière cette proposition.

31 octobre 2019
J’invite qui ?

Spaghetti d’Halloween à l’école des enfants. Ma fille de 5 ans, déguisée en sorcière, a mis à son petit frère de 3 ans la robe de la Reine des neiges. On rit. Il tourne sur lui-même, danse avec sa belle robe, mais c’est l’heure de partir. Alors, je tente de le déshabiller pour lui enfiler son costume de singe. Il n’est pas d’accord, il veut y aller avec la robe. Me voilà avocat, plaidant pour le costume de singe, qui, évidemment, ne fait pas le poids devant la robe à paillettes. Il se met à pleurer, il veut garder la robe. J’ai peur qu’il se fasse humilier par d’autres enfants. Il hurle, se roule par terre mais craque avant moi. Je tente de me racheter avec une sucette à la cerise. Il négocie. J’ajoute deux biscuits. Il accepte le deal et enfile le costume de singe.

Face à mon fils en singe, je me dis que ce fameux groupe sur les « masculinités » va peut-être déjà servir à savoir où j’en suis sur la question. J’explore un peu les différents groupes existants. Il y a une expérience menée par le café militant schaerbeekois Le Poisson sans bicyclette, en mode « atelier d’écriture et introspection » pour un groupe d’hommes encadré par des féministes. Sinon, d’autres groupes proposent de se rouler nus dans l’herbe et de retrouver sa vraie essence de mâle pour 400 euros la semaine.

Le groupe « Éduquer les mecs pour que ma fille puisse se balader tranquillement dans la rue » n’existe pas. Je vais donc le lancer. Sauf que je ne vois pas très bien avec qui. J’appelle à l’aide l’équipe du CVFE qui va rameuter amis et amants.

12 janvier 2020
Battre le pavé ou boire des bières spéciales ?

J’invite les personnes intéressées pour faire connaissance. Nous sommes six autour de la table.

Il y a Étienne, qui est entrepreneur dans le bois. C’est lors de sa séparation, lorsqu’il a fallu qu’il s’y colle, qu’il s’est rendu compte du boulot qu’abattait sa femme pour élever leurs trois enfants. Une bonne amie féministe a achevé de lui mettre les idées en place. Sur ses conseils, il a dévoré King Kong Théorie de Virginie Despentes et le podcast Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon, qui visent à faire avancer la lutte contre le sexisme, en réfléchissant sur les masculinités contemporaines. Alors, le jour où un de ses potes, chasseur, a partagé une vidéo porno sur un groupe WhatsApp, il a répondu :

– Tu sais que ta fille aura bientôt l’âge de la jeune femme sur la vidéo ?

Depuis, il ne laisse plus rien passer.

C’est quasiment la même réplique que Philibert a lancée aux dealers qui traînent devant chez lui lorsqu’il les a surpris à siffler une ado. Lui, le féminisme, il y est entré par la voie originale de la danse, via les ateliers Rita Tango, qui réfléchissent sur l’intersection entre tango et féminisme, notamment en inversant les rôles des danseurs et danseuses mais aussi en questionnant les textes des chansons.

Éric est accompagnateur de train. C’est sa compagne, féministe engagée, qui lui a proposé de venir. Il souhaite que le groupe s’inscrive dans un soutien actif des féministes, dans les manifs, à leurs côtés. Il revient de Paris où il a marché avec les gilets jaunes. Il est chaud. Moi beaucoup moins. J’ai du mal à m’imaginer préparer des pancartes, battre le pavé, crier des slogans. Je m’étais plutôt imaginé un groupe bien au chaud, maniant des concepts en buvant des bières spéciales.

5 février 2020
La bagarre non mixte

Ça chauffe sur le groupe Facebook que nous avons créé. C’est la non-mixité qui déchaîne les passions dans les commentaires.

– Un groupe non mixte, ce ne serait pas un moyen de se présenter comme un homme vertueux victime du patriarcat plutôt que de reconnaître sa part problématique et de commencer à réellement fouiller dans sa merde ?

– On arrête là ou on continue dans la dérive masculiniste pépouze ?

Les journées ne faisant que 24 heures, je ne risque même pas une virgule dans les controverses en ligne. Mais j’invite les duettistes numériques à en discuter autour d’une table.

Benjamin se déplace et nous parle d’un chercheur québécois, Francis Dupuis-Déri, qui a recensé des groupes proféministes nés dans les années 1960-70 qui ont viré antiféministes dans les années 80. Il s’est particulièrement intéressé au groupe les « Nouveaux Guerriers » qui passe du développement personnel (expurger le machiste en soi) à « de toute façon, toutes nos souffrances, c’est à cause des bonnes femmes et puis c’est bon, elles l’ont, l’égalité, alors qu’est-ce qu’elles veulent les fémininazies à part nous les briser ? ».

N’ayant aucune envie de devenir masculinistes à notre insu, nous décidons de devenir un groupe mixte, tout en laissant la possibilité aux hommes de se rassembler en non-mixité sur certains sujets pour faire émerger une parole qu’une présence féminine limiterait.

25 novembre 2020
On se les gèle

Journée internationale contre la violence faite aux femmes. Une action est menée par le CVFE dans l’espace public. Des groupes de femmes vont à la rencontre des passants pour les sensibiliser à la question. Un micro à la main pour la contenance, je déambule avec Étienne. Notre groupe « masculinités » a décidé de récolter la parole des hommes. Enfin, j’aurais aimé que l’initiative vienne de nous mais la vérité c’est que c’est l’équipe du CVFE qui nous l’a suggérée.

Il y a du vent, il fait froid et on se demande ce qu’on fait là. On interroge cinq mecs en tout. Ils sont tous d’accord : c’est pas bien de battre sa femme et c’est pas bien non plus d’embêter les filles dans la rue. Et si ça arrive, bien sûr il faut intervenir.

– Mais alors qui frappe ? Qui embête ?

– Bah, pas nous. Ce sont les autres. Ceux qui se conduisent mal.

On croyait quoi ? Qu’on allait rencontrer des masculinistes assumés et les convaincre des vertus d’un monde sans patriarcat que nous pourrions ensemble dessiner avec des pastels de couleurs ?

La vérité, c’est qu’il fait froid et qu’il y a du vent.

Allez, on va boire un vin chaud. Je sors le ukulélé et je tente d’accompagner une musicienne qui a réécrit la chanson Céline de Hugues Aufray en moins sexiste. « Tu aurais pu rendre un homme heureux » devient « T’as pas besoin d’mec, juste d’un vibro » « De toutes les filles qui vivaient ici, tu es la seule sans mari » devient « De toutes les filles qui vivaient ici, tu es la seule sans boulet ».

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Dennis Marien. CC BY-SA

5 novembre 2021
Le féminisme, ça aide à pécho ?

Réunion du groupe en mixité. Nous avons choisi un intitulé provocateur pour notre discussion : « Est-ce que se dire féministe, ça aide à pécho ? » Une quinzaine de personnes sont présentes, en majorité des femmes. Je suis à l’animation. La présence de femmes plutôt engagées sur ces questions change la donne… et donc le sujet. Au cours de la discussion, celles-ci racontent des avortements, du harcèlement, des violences subies à cause des mecs. Je contrôle chacun de mes mots, millimètre chacune de mes expressions.

Je ne suis pas le seul. Philibert a l’impression de marcher sur des œufs pendant toute la discussion et que le moindre mot de travers risque de braquer les femmes.

Étienne pense que c’est bien de surveiller son langage, que quelque part ça veut dire qu’il y a quelque chose qui cloche dans nos mots.

Marie, nouvelle venue, trouve que les mecs ont trop parlé et que cela pose quand même problème dans un groupe qui se veut proféministe.

Mais ce n’est pas un problème vu que le sujet concerne directement les hommes, objecte Philibert. J’ai l’impression d’être pris dans une spirale où deux logiques s’opposent frontalement.

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Dennis Marien. CC BY-SA

Léo a 13 ans alors qu’il en paraît 16. C’est sa mère qui lui a proposé de venir. Pour lui, c’est une énorme chance d’avoir une mère féministe. On peut parler de tout et puis, grâce à elle, il comprend mieux les inégalités. Il y a aussi les désavantages, cette impression qu’il doit faire super attention à ce qu’il dit sous peine de se faire « démonter » au moindre dérapage sexiste.

Récemment, un de ses très bons amis ne s’est pas arrêté lorsque sa petite amie lui a dit « arrête ». Selon lui, elle a dit « arrête » de façon très maniérée, comme dans les films quand la fille ne veut pas vraiment dire « arrête ». Alors il a continué. On parle d’attouchements. D’agression sexuelle dans un registre plus juridique. La fille en a parlé à toutes ses amies. Le gars s’est fait exclure du groupe et une pluie de reproches s’est abattue sur lui. Léo a essayé d’intercéder pour son ami et s’est fait exclure lui aussi.

Il raconte en oscillant :

– C’était sa toute première expérience et il ne savait pas comment faire, alors il a forcément été influencé par ce qui se passe dans la société. D’un autre côté, elle a dit « arrête », alors il aurait dû arrêter à ce moment-là. Mais il a beaucoup regretté, il s’est excusé, il était en pleine déprime. Cela ne veut pas dire que j’approuve, je pense que ce n’est pas bien ce qu’il a fait. Mais est-ce qu’il doit payer toute sa vie pour cette erreur ? Il a dû changer d’école avec cette histoire. Moi je demandais juste qu’on essaie de comprendre et qu’on se parle, mais maintenant tout le monde m’a tourné le dos.

Je me rends compte en écrivant ces lignes qu’à aucun moment je n’ai demandé à Léo comment la fille avait vécu la chose…

16 décembre 2021
Bâtir l’homme wallon du XXIe siècle

Je lance le dé et je pêche une carte : « Décrivez la soirée idéale avec votre compagnon. » C’est une des nombreuses situations proposées dans un jeu de plateau créé par un groupe de femmes du CPAS de Marchin (près de Huy). D’autres cartes évoquent « le bébé qui pleure la nuit » ou « la vaisselle à faire ». L’idée, c’est de se mettre dans la peau d’une femme et d’imaginer ce qu’elle ressent. Ça aurait pu être léger et amusant, l’ambiance est au contraire tendue et crispée.

On a l’impression que certains mots sont minés. Par exemple, « déconstruction » agace Christine au plus haut point. Elle dit que les solutions doivent être plus radicales que ça. Elle monte encore d’un étage lorsqu’on parle de la vaisselle. Elle dit que le problème est bien plus vaste. Et finit par exploser :

– Mais à quoi ça sert ce groupe à la fin ? Elle rentre se coucher, excédée.

Cinq minutes plus tard, Stéphane s’énerve à son tour :

– Mais à quoi ça sert ce groupe à la fin ? Il propose d’aller boire une bière.

Nous voilà chez lui. Ses amis Rachid et Alain nous ont rejoints. Rachid est en peine de cœur. Il s’est séparé de Julie. Elle s’est remise avec quelqu’un assez vite. Double peine. Il me dit qu’en Irak, il n’aurait pas tous ces problèmes. Je lui demande s’il est tenté par une femme du bled. Il hésite un peu et acquiesce. Oui, il est tellement triste qu’il est tenté par une femme docile, prévenante, redevable. Même s’il sait que ça n’existe plus. Je pose la question à Stéphane, qui me répond qu’à une époque de sa vie où il se sentait seul, il aurait signé des deux mains pour une femme d’un pays pauvre livrée à domicile. Mais plus maintenant.

Je suis bien. On boit des coups. On se raconte des trucs intimes sur nos vies, sans essayer d’impressionner les autres. On se raconte nos échecs amoureux. À la deuxième bière spéciale (on n’a pas mangé), je m’emballe. C’est comme ça qu’on doit l’organiser ce groupe, dans cette ambiance ! C’est le seul moyen pour bâtir l’homme wallon du XXIe siècle. En prenant des apéros non sexistes. À la troisième bière spéciale, une amie imaginaire féministe me prend en aparté pendant que je pisse.

– Tu te rends quand même compte que dans toutes vos pitoyables histoires de cœur, c’est la femme qui a tous les torts ?

– Oui mais c’est pas facile pour nous. On fait des efforts quand même.

– Tu veux un cookie ou quoi ?

Je commence à comprendre de l’intérieur le glissement vers le masculinisme décrit par Dupuis-Déri.

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Dennis Marien. CC BY-SA

4 janvier 2022
Qui débarrasse ?

Ce soir, avec Étienne, on va rendre visite à l’asbl Interra, qui organise des activités où se rencontrent Belges et étrangers, pour une discussion sur la masculinité. Il y a deux tiers de femmes et un tiers d’hommes. Je propose une animation au départ d’un truc qui m’est arrivé à une soirée chez des amis.

Ce jour-là, entre le plat et le dessert, la « maîtresse de maison » s’était levée pour débarrasser. Aussitôt les deux autres femmes s’étaient levées à leur tour, les trois hommes, dont moi, restant assis là, à boire leurs verres.

Sarah, originaire de Tunisie, pense que c’est le patriarcat qui est en cause. Si elle avait été là, elle serait intervenue et aurait demandé aux hommes de bouger leurs fesses.

Pour Habib et Mike, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, avec cette histoire d’assiettes. Pour Oumar, originaire de Mauritanie, cela fait partie de l’ordre des choses et de la division naturelle du travail. Une volée de mains se lèvent pour lui répondre. Je le laisse continuer et lui demande s’il se serait levé pour aider à débarrasser. Il se serait levé parce que les choses évoluent ainsi et qu’il faut bien évoluer avec. Il y a de cela dix ans en Mauritanie, il était impossible de voir une femme travailler dans un champ et, désormais, c’est courant. Habib est d’accord, les choses évoluent tranquillement, toutes seules, autant les laisser évoluer sans les brusquer. Natalia lui répond que les choses évoluent grâce aux luttes.

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Dennis Marien. CC BY-SA

Une grande partie des participant·es pense que les hommes souffrent aussi du patriarcat.

À quels moments ?

– C’est eux qui paient au resto. C’est eux qui portent les trucs lourds lors des déménagements.

– 95 % des personnes en prison sont des hommes et représentent 75 % des morts au volant, intervient Étienne.

Je me permets de lister quelques avantages : ils profitent du travail des femmes, ne se lèvent pas la nuit pour le bébé, sont mieux payés et la table se vide et se remplit comme par magie.

– C’est inconscient, ajoute Hélène.

Après la rencontre, je discute avec Sacha. Désormais militaire, il a été éboueur pendant près de deux ans. Son collègue de tournée, plus âgé que lui, miaulait systématiquement lorsqu’il croisait une femme. Il raconte :

– Il voulait montrer que c’est lui qui dominait. En miaulant, il obligeait les femmes à le craindre. Il s’est arrêté lorsque je lui ai dit que ma mère habitait le quartier. Je sais que ce n’est pas un bon argument mais j’étais nouveau dans le boulot et je ne voulais pas de problèmes avec lui. C’est le moyen que j’ai trouvé pour qu’il arrête de miauler.

On parle émotions. Sa mère lui a martelé que dans la famille – des Espagnols républicains –, on devait être forts, endurants et contrôler ses émotions. Un jour, lors de l’enterrement d’un Italien, il a vu un homme qui s’est mis à pleurer à grandes larmes son ami décédé. Les femmes ont déferlé sur lui et l’ont amené jusqu’à un endroit reculé où il a pu s’épancher à l’abri des regards. Des femmes gardiennes d’un certain ordre.

Je lui demande si ce n’est pas problématique de toujours contrôler ses émotions.

« C’est ce que me reprochait ma cop… » Il s’arrête là.

Quelques jours auparavant, j’avais demandé au CVFE qu’il reprenne la main sur le groupe, avouant ainsi mon échec. Mais je sens un nouveau souffle suite à cette soirée. Je rencontre plusieurs participants autour de cafés. On se dit que ce serait bien de continuer mais en restant modestes dans nos ambitions. Produire des petits outils pour des situations de la vie de tous les jours. Par exemple, comment réagir à une remarque sexiste qui fait marrer tout le monde au bistro ? Produire des textes, des petites BD, des modes d’emploi, des listes pour influer peu à peu sur la norme. Et dans dix ans, Inch’Allah, ma fille pourra arpenter la ville sans crainte.

7 janvier 2022

En rangeant la maison, je tombe sur la robe de la Reine des Neiges. Je rappelle à mon fils l’histoire du souper d’Halloween, deux ans plus tôt. Il rigole et ne me croit pas. S’habiller en princesse, lui qui ne jure plus que par les pirates et les chevaliers ?

– N’iiiiiimpoooooorteuuu quoiiiiiiii.

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Dennis Marien. CC BY-SA
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