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La crème des prépuces

En Belgique, une unité de recherche récolte des prépuces. Lubie fétichiste ? Recherches scientifiques ! Cette fine peau permet de tester médocs et cosmétiques, tout en épargnant les animaux de laboratoire.

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Laetitia Gendre. CC BY-NC-SA

« Mon cher Gmooy », s’exclame Sara Sepehri, en le retirant de l’incubateur. « Il grandit à une vitesse de fou », poursuit-elle, comme pour justifier son admiration envers trois petites flasques remplies d’un simple liquide rouge. Sara Sepehri est doctorante à l’Institut de recherche in vitro en toxicologie et dermato-cosmétique (IVTD, Bruxelles) et ce qu’elle tente d’exprimer, c’est qu’en une journée à peine, les cellules de peau se sont démultipliées. Il ne s’agit pas de n’importe quelle peau puisque les cellules de ce « cher Gmooy » proviennent d’un jeune prépuce issu d’un donneur anonyme. Le prépuce, c’est cette fine peau qui recouvre le gland du pénis, et Gmooy, c’est l’un des délicats surnoms donnés par l’équipe de recherche.

Foi dans le sexe

Depuis plus d’un an, Sara Sepehri a reçu une quinzaine de prépuces sur lesquels elle s’affaire à isoler chimiquement un type de cellules souches. « Dire qu’en temps normal les hôpitaux jettent ces prépuces, considérés comme des déchets médicaux après la circoncision ! Ici on les utilise pour faire des expériences », explique Alexandra Gatzios, 25 ans, doctorante au même institut.

Collectionner les prépuces n’est pas une lubie de chercheuses. Grâce à Joery De Kock (on va y revenir), les cellules de ce petit bout de peau peuvent être transformées en… cellules du foie ! Ensuite, l’IVTD teste la toxicité de différents cosmétiques et médicaments sur ces souches, simulant l’effet de votre dentifrice ou de votre savon sur le foie. Avantage de cette pratique in vitro : se passer totalement des tests sur les animaux, déjà interdits depuis 2013 pour les cosmétiques, tout en bénéficiant d’une meilleure diversité de profils génétiques. Autre avantage : les prépuces sont des déchets. Reste juste à sauver leur peau…

La procédure, rigoureuse, consiste tout d’abord à couper les petits bouts de peau reçus tout en leur ajoutant certains enzymes. Le prépuce nouvellement retiré de l’organe de son propriétaire est fourni au centre de recherches dans une éprouvette. Sara Sepehri prend alors un malin plaisir à s’acharner sur ces lambeaux pour en extraire un maximum de cellules. Munie d’ustensiles stériles, elle tire, triture et décortique des prépuces à longueur de journée dès l’arrivée de nouveaux échantillons.

L’excellence belge

Pour Sara Sepehri, cette Iranienne de 32 ans qui a suivi des études de pharmacie à l’UCL et une formation en sciences cosmétiques à Liverpool, le choix de poursuivre sa thèse au sein d’un centre de recherches mondialement réputé pour son expertise en la matière s’est imposé très rapidement. En effet, c’est à l’IVTD que le professeur Joery De Kock a été le premier au monde à réussir à isoler des cellules souches du prépuce pour les convertir en cellules hépatiques. Sa réflexion prend source dans le travail d’une collègue, Sarah Snykers, qui transforme des cellules souches de la moelle osseuse en hépatocytes. Mais la ponction de moelle nécessite une intervention chirurgicale lourde pour chaque donneur. Joery De Kock souhaitait trouver un moyen d’obtenir des cellules souches plus accessibles. Il s’est donc intéressé à celles de la peau.

En 2006, il part à Toronto, où des tests sont déjà pratiqués sur la base de prépuces, dans un hôpital pour enfants. Les Canadiens sont les premiers à avoir découvert les ressources de cette fine peau. « À l’inverse de la graisse, où l’on trouve aussi des cellules souches, les prépuces sont des tissus très jeunes, riches en cellules souches nécessaires à la croissance des enfants. Et puis il s’agit surtout d’un déchet médical qui ne nécessite pas de chercher des donneurs », argumente le professeur, car les circoncisions continueront d’être pratiquées pour des raisons médicales ou religieuses. En d’autres termes, Joery comprend très vite que ce petit bout de peau, au lieu de finir à la poubelle, pourra servir comme base de ses recherches. Il note aussi l’importance de l’âge du patient pour faciliter le renouvellement des cellules : « Plus jeune il est, mieux c’est ! »

À son retour du Canada, il négocie un partenariat avec la docteure Veerle De Boe, responsable du service urologie à l’hôpital UZ Brussel, situé juste à côté de l’IVTD. Chaque semaine, des prépuces lui sont livrés et, six ans plus tard, il termine sa thèse avec succès. Le chercheur met au point un protocole de 24 jours pour obtenir des hépatocytes à base de cellules souches du prépuce. Il encadre désormais les étudiants et étudiantes qui prennent la relève de ses travaux. Les prépuces triturés par cette petite équipe ont d’ail­leurs déjà débouché sur des applications concrètes. L’IVTD a reçu un fonds de l’Agence flamande pour l’innovation et l’entrepreneuriat (VLAIO) pour effectuer des recherches en lien avec l’entreprise belge de biotechnologie Galapagos. Ces tests in vitro ont déjà permis de déterminer l’efficacité et la toxicité de nouveaux médicaments pour lutter contre la stéatose, ou maladie du foie gras.

Mercredi sauve qui peau

Sara Sepehri longe l’impressionnant dédale de couloirs blancs, un frigo box bleu criard à la main. Non, la chercheuse ne prépare pas un pique-nique. Le service d’urologie vient de l’appeler pour la prévenir qu’un colis l’attendait au secrétariat. Une fois ses précieux échantillons récupérés, Sara se hâte dans le labyrinthe qui relie les salles d’opération de l’UZ Brussel à l’institut de recherche IVTD. Elle transporte des petits tubes qui contiennent des prépuces fraîchement recueillis. Avant de retrouver les prépuces de leurs enfants tels des whiskys « on the rocks », délicatement posés sur un amas de glaçons dans un frigo box, les familles des patients ont donné leur accord par écrit. « Je déclare par la présente mon désir de donner librement et bénévolement un segment du prépuce de mon enfant obtenu par circoncision chirurgicale. Ce prélèvement pourra être utilisé pour la recherche scientifique à l’IVTD-VUB. » Accompagnant ce texte, le document de consentement décrit l’avantage de travailler sur la base de cellules humaines et la finalité de ses expériences.

La doctorante est satisfaite, aujourd’hui elle a reçu quatre prépuces. Le plus jeune donneur est né en 2020. Chaque mercredi, Sara Sepehri guette l’appel de la docteure Veerle De Boe. Ensuite, elle classifie les échantillons selon un registre classique : « donneur 1 », « donneur 2 »… Mais elle fait la moue ; le temps des prépuces rebaptisés Duvel, Grimbergen et Chouffe est révolu. À croire que l’équipe de recherche s’est assagie. Ou a pris davantage conscience de l’importance de ses travaux. Oui, le sexe est (aussi) une affaire sérieuse.

Pour prolonger ou accompagner la lecture, Pointculture nous propose La peau de Ilia.

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