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Touche pas à mes études

sarah ucl

Le 4 juin 2020, la Cour constitutionnelle valide l’interdiction de porter des signes convictionnels visibles dans la haute école Francisco Ferrer de la Ville de Bruxelles.
Des étudiantes qui portent le foulard se mobilisent contre cet arrêt qu’elles jugent contraire à leurs droits fondamentaux. Avec le slogan « Touche pas à mes études », elles dénoncent l’impact désastreux de cette exclusion sur leur avenir et luttent pour un enseignement plus inclusif.

Ces étudiantes, photographiées devant des bâtiments liés à leur parcours scolaire, créent des collectifs, organisent des manifestations avec la campagne #HijabisFightBack, et militent sur les réseaux sociaux. Leur combat sera finalement entendu puisque, le 16 janvier dernier, Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) déclare que le port du foulard sera autorisé dans ses établissements d’enseignement supérieur dès la rentrée académique en 2021. Cinq hautes écoles, cinq écoles supérieures des arts et 29 établissements de promotion sociale devront ainsi adapter leur règlement d’ordre intérieur.

Les principales concernées saluent cette décision et estiment qu’il s’agit d’une première victoire en faveur de l’accès à l’éducation sans discrimination. Toutefois, leur engagement se poursuit, car ces étudiantes espèrent à présent que d’autres écoles du supérieur lèveront l’interdiction du port du voile, à l’instar des universités en Belgique et dans la continuité de cette nouvelle mesure.

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« J’ai toujours été poussée à faire de bonnes études. Ma mère a sans cesse prôné le fait d’acquérir une indépendance financière. Mais je ne me suis jamais sentie à ma place dans le monde académique. En architecture à l’université, lorsque je m’intéressais à l’histoire de l’art belge et au design d’in­térieur suédois, mes professeurs s’attendaient que je réalise plutôt des dessins “de ma culture, où l’on retrouve mon identité”. Mais ça veut dire quoi ? Ce genre de micro-agressions constantes, plus le fait d’être la seule personne de l’auditoire qui porte le foulard, m’ont poussée à m’inscrire à une formation en cours du soir sur le logement passif et l’isolation écologique à l’Institut des arts et métiers. Mais, deux semaines avant la rentrée, lors de la journée portes ouvertes, le secrétariat étudiant me fait remarquer que le foulard n’est pas accepté : “Je ne sais pas si vous savez, mais pour les cours il faudra l’enlever. Vous voulez que je continue les explications ou vous pensez que vous allez laisser tomber ?” Je me suis sentie tellement humiliée par la violence de cette situation ! Je me dis tout l’été “c’est ça que je veux faire l’année prochaine”, mais, en une seconde, je suis forcée de tirer un trait sur tous mes plans.

Je ne me sens pas libre en tant que femme en Belgique, je me sens constamment contrôlée et limitée dans mes ambitions. Je ne suis pas sûre non plus de me sentir un jour en paix avec toutes mes identités, car le monde entier et la politique mettent tout en œuvre pour que les gens comme moi ne puissent pas se sentir à l’aise avec leurs identités plurielles. Et on minimise trop l’impact sur la santé mentale au sein de la communauté musulmane. L’islamophobie est davantage ressentie par les femmes, car on est plus souvent visées et reconnues dans l’espace public. Déjà qu’on subit de nombreux obstacles à l’embauche, maintenant il y a cet arrêt raciste et sexiste de la Cour constitutionnelle. Et encore une fois, on impose aux femmes une façon de s’habiller. Je n’en peux plus de cette hypocrisie de l’État qui souhaite s’investir dans l’émancipation de la femme mais qui prétend me dicter comment je devrais vivre ma vie. Ce genre d’idées datent de l’époque coloniale. C’est infantilisant.

Ce combat n’est plus pour nous. Je le mène pour nos filles, pour qu’elles ne doivent pas abandonner leurs rêves. »

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« La première fois que j’ai dû retirer mon foulard avant un stage, j’ai limite fait une crise d’angoisse. Le geste paraît si simple mais la symbolique est si forte. J’avais l’impression qu’on me demandait de me couper un bras puis de le remettre. La métaphore peut sembler exagérée, mais travailler sans mon foulard est inenvisageable. Mon rêve est pourtant tellement simple. Je veux être prof d’histoire dans une école secondaire publique.

En tant que jeune femme qui porte le foulard, j’ai l’impression de ne pas pouvoir être une citoyenne lambda, j’ai ce sentiment de toujours devoir exceller. Viser le plus loin possible et le plus haut pour tomber quelque part de pas trop décevant. C’est pour cette raison que j’ai terminé un master en gestion culturelle – pour pouvoir utiliser cette carte au cas où. J’aimerais faire réaliser à ces décideurs et décideuses politiques que, derrière ces interdictions, il y a des femmes forcées de se réorienter ou bien d’arrêter l’école.

Entre femmes qui portent le foulard, on se refile les bonnes adresses. On s’oriente vers des structures qui nous acceptent, on se crée nos petites bulles. Après, on nous taxera de communautarisme. Mais est-ce qu’on peut nous en vouloir de chercher seulement à étudier ou travailler dans un environnement sain où on respecte notre identité ?

Aujourd’hui, je ne me bats plus pour pouvoir être prof mais pour que la génération suivante n’ait plus à faire les choix que j’ai dû faire. Certains viennent avec l’argument des filles qui sont forcées de porter le foulard sans se rendre compte que c’est le même combat : celui de la libre disposition de notre corps. »

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« Dans les pays non musulmans, en tant que femmes, on nous voit uniquement à travers notre physique et le signe distinctif que l’on porte. Et sur les réseaux sociaux, on est attaquées de tous les côtés. On reçoit aussi bien des menaces de fachos que de musulmans misogynes de notre communauté. Tu ne peux pas être une femme qui aime bien le sport, une artiste ou encore une étudiante. Tu n’es plus un être humain ni une personne qui a des rêves ou des ambitions. Tu es toujours réduite à ton voile. On ne me voit qu’à travers ce prisme-là. Je ne suis plus Salma, je suis un voile.

J’ai tellement peur que ce que j’ai vécu, d’autres le vivent aussi. L’islamophobie à l’école, c’est insoutenable. Je n’ai pas la possibilité d’étudier où je veux ni de travailler où je veux. On voudrait que je mette mon identité dans une petite boîte le temps de mes études.

J’ai vu le regard des professeurs changer lorsque j’ai commencé à porter le foulard en deuxième année de médecine. On m’a refusé l’accès aux travaux pratiques, car je devais enlever mon foulard. Je m’y étais préparée psychologiquement, mais, une fois au laboratoire, je n’arrêtais pas de penser à ça, alors que les autres étudiants étaient juste préoccupés par leur test. Lors d’un examen, une professeure a traversé tout l’auditoire pour m’accuser de tricherie. Elle prétendait que je cachais des écouteurs sous mon voile. Je lui ai tout de suite montré mes oreilles, mais je n’oublierai jamais ce traitement injuste. Ce racisme et ces pressions mentales en classe ont généré en moi une réelle perte de motivation pour mes études.

Je rêvais d’être docteure pour aider les autres, j’ai donc fini par réfléchir à un autre moyen d’aider ma communauté. J’ai commencé des études de sociologie pour pouvoir mieux cerner les dynamiques de domination, comprendre comment la société fonctionne et surtout comment faire pour la soigner. »

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« J’ai toujours été anxieuse par rapport à mon avenir. Quel métier je vais faire ? Qui va m’accepter ? À chaque fois que je pensais à une profession, je me rendais compte que ça allait être compliqué pour trouver des débouchés. Je peux faire des études mais je ne serai pas engagée. À la base, je voulais faire du journalisme à la télévision. Mais qui va engager une femme qui porte le foulard dans un milieu majoritairement blanc ? Je rêvais aussi de devenir professeure, mais j’ai étouffé ce rêve, car je savais que ce n’était pas possible d’enseigner avec le foulard. Maintenant nous interdire l’accès à certaines formations, c’est juste avouer qu’on ne veut pas que nous contribuions à cette société !

Je ne veux pourtant pas faire n’importe quel travail par défaut. Il y a déjà trop de choses à régler dans ce monde et je veux faire un boulot qui me permette d’avoir un impact. Je me suis donc dirigée vers la sociologie, car j’ai envie d’obtenir les compétences pour bien m’exprimer et ainsi mieux défendre les causes que je soutiens. Pour le moment, j’avance mais sans savoir vers où je vais. Au moins je me sens bien à l’ULB, c’est un campus multiculturel et plus ouvert que d’autres écoles que j’ai pu visiter.

Un jour, lors d’un trajet en bus, une femme m’a lancé : “Rentre chez toi avec ton voile.” C’est classique, mais ça gâche toute ta journée. En fait, je sais que ce n’est pas moi qu’elle vise personnellement, c’est ce qu’elle pense que je représente. J’apprends à prendre du recul, mais ça mine mon moral. Pareil lorsque j’ai déposé mes CV dans tous les magasins pour trouver un job d’étudiant, je me suis sentie comme une pestiférée. L’an passé, je cherchais un travail depuis septembre. J’ai enchaîné les inter­views et j’ai essuyé beaucoup de refus. J’ai fini par faire un long entretien avec une ONG sans trop d’espoir. Quand on m’a annoncé en juillet que j’étais engagée, je me suis mise à pleurer au téléphone. J’étais soulagée d’avoir enfin été acceptée quelque part, car j’avais vraiment besoin de ce job pour vivre. »

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« Les études, c’est ce qui m’aide à avancer, c’est comme une béquille, si je n’y ai pas accès, c’est tout mon monde qui s’écroule. J’ai l’impression aussi qu’en faisant des études ça compense le fait d’être une femme musulmane étrangère qui porte le foulard. J’étudie pour apprendre de nouvelles compétences et les mettre au service de la société, mais j’en ai ras le bol d’avoir à stresser pour mon futur stage, mon futur job, mon avenir. J’en ai marre de créer 3 000 scénarios différents dans ma tête en me demandant comment l’employeur ou l’employeuse face à moi va réagir en voyant que je suis voilée, de me mettre des bâtons dans les roues, de vivre dans la peur juste pour un bout de tissu qui ne change absolument rien à ce que j’ai dans la cervelle.

Mes principales préoccupations pour trouver un stage étaient simplement qu’il me plaise et qu’on m’accepte telle que je suis. J’ai fait des recherches pendant un an avant d’obtenir un stage dans une asbl. J’ai passé l’entretien avec mon foulard et j’ai été prise. Mais un mois après, ma maîtresse de stage m’a contactée pour me dire qu’elle aurait oublié de me prévenir que le voile était interdit. Je n’ai pas envie de faire des concessions sur mon voile et encore moins pour des gens avec un esprit si fermé. J’étais d’abord choquée puis en colère. C’est sûrement ce qui m’a donné le courage de poster un message sur Facebook. Grâce à plus de 170 partages et toute cette solidarité en ligne, j’ai fini par trouver un stage chez Médecins du Monde. J’ai beaucoup de chance d’avoir été aidée, mais j’ai de la peine de réaliser que je ne bénéficie pas des mêmes opportunités que d’autres étudiants. Nous ne sommes pas sur un pied d’égalité.

Je me bats pour l’acceptation de chacun et ce n’est certainement pas le fait de renier les différences entre les gens qui va nous permettre de vivre ensemble et de nous respecter. Et ça risque d’évoluer dans quelque chose de très malsain, à force d’être toujours confrontées aux mêmes refus, on risque de se replier sur nous-mêmes. »

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« On est en train de gâcher un potentiel énorme, car il existe plein de femmes hyperqualifiées, compétentes et investies à 200 % qui luttent pour obtenir leur diplôme. On ne leur donne pas l’occasion de briller. Pire, on essaie de nous garder en bas de l’échelle. Nos parents ouvriers venus à la demande de la Belgique en tant que main-d’œuvre pouvaient exercer sans que ça ne pose question. C’étaient des petites mains. Tant qu’on reste à ce stade, ce n’est pas un problème. Mais dès qu’on aspire à un peu plus, entrer dans le milieu universitaire ou accéder à des postes particuliers, on nous ferme les portes et on nous accuse de ne pas savoir nous intégrer.

J’étudie le droit, car c’est en connaissant mes droits que je pourrai mieux faire face aux discriminations. Je veux aider ma communauté et les minorités à se faire une place dans cette société. On devrait être traitées comme tout autre citoyen belge, mais ce n’est pas le cas. C’est une réalité difficile à accepter. Plus j’avance, plus je dois faire des concessions et plus je m’interdis de rêver. Je me rends compte qu’il y a plusieurs métiers qui ne me seront pas accessibles. Par exemple, je ne pourrais pas plaider en portant le foulard au barreau.

Il y a toujours ce stress quand je vais passer un examen oral ; est-ce qu’on va me demander de retirer mon foulard ? Même si on ne me demande pas de le retirer, je ne sais jamais si la personne en face de moi a un problème avec ça et si le fait que je porte le foulard va influencer ma note. Les personnes racisées ressentent la même chose. On se demande toujours si on va être jugées par rapport à nos connaissances ou sur autre chose.

J’étais en colère en lisant les mots de l’échevine de Bruxelles qui se réjouissait de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. C’est une mise en marge de la société d’une catégorie de femmes. On parle de libérer la femme musulmane en lui fermant des portes. C’est complètement illogique. L’accès aux études et au marché de l’emploi sont pourtant des clés de l’émancipation. C’est d’ailleurs une bonne nouvelle que Wallonie-Bruxelles Enseignement s’en soit rendu compte. Bien que cette décision ne guérisse pas la douleur des sacrifices passés, elle apaise tout de même nos maux et nos craintes. »

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  1. Ces témoignages ont été recueillis avant la décision du conseil d’administration de WBE.

  2. Depuis février 2020 et suite au combat du Cercle des étudiants arabo-européens, le port du foulard est autorisé dans les travaux pratiques à l’ULB.

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