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La hchouma, c’est la honte !

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Zainab Fasiki "Hshouma". Tous droits réservés.

Jehanne Bergé et Safia Bihmedn sont journalistes et amies. Ensemble, elles parlent d’amour et de sexe. Et bam ! C’est là que Safia évoque la « hchouma », la honte, un concept bien ancré dans la communauté d’origine maghrébine.

Safia : « “Quand il y a un couple qui s’embrasse dans une scène de film qu’on regarde en famille, on zappe, parce que c’est hchouma.” Quand je lui ai dit ça, Jehanne m’a regardé avec des yeux ronds. Tout est parti de là. »

Hchouquoi ? « Hchouma » (à prononcer avec le h au fond de la gorge comme dans « Ahmed ») est une expression culturelle répandue en Afrique du Nord et aussi très ancrée chez les Belges d’ascendance maghrébine. Se dit d’une situation ou d’un comportement considéré comme honteux ou impudique socialement. C’est hchouma de sortir avec un garçon sans être mariée, c’est hchouma de s’habiller sexy en public mais c’est aussi hchouma d’arriver les mains vides quand on est invité. Et parler de sexe, c’est hchouma, voire super-hchouma.

En Belgique, de nombreuses personnes d’origine arabo-musulmane ont grandi dans un tiraillement social par rapport à la sexualité. Les tabous, notamment sexuels, ont la vie dure. À Bruxelles, quand on évoque les termes « sexualité » et « islam » dans le milieu médical, associatif ou auprès d’imams, le nom de Zina Hamzaoui revient sur toutes les lèvres.

La hchouma, mon combat !

Française d’origine tunisienne, Zina Hamzaoui a quitté Paris pour Liège afin d’y suivre ses études de sage-femme. Elle a rencontré son futur mari au plat pays ; ils se sont installés à Bruxelles où elle a commencé à exercer. « C’est en pratiquant que je me suis rendu compte que beaucoup de femmes nées ici, en Belgique, mais ayant grandi dans des familles arabo-musulmanes, se posaient des questions d’ordre sexuel en lien avec notre culture et notre culte », introduit-elle. Elle décide alors de se spécialiser en sexologie. Aujourd’hui, à presque 30 ans, la jeune femme musulmane est sexologue et sage-femme. Elle s’est fait connaître grâce au bouche-à-oreille, aux médias sociaux ou à son émission radio hebdomadaire sur Arabel. Elle y déconstruit les fausses croyances autour de la sexualité et de l’intimité. La hchouma, c’est son combat.

Elle nous reçoit dans son cabinet situé dans un centre médical en plein cœur de Molenbeek. Sous son voile, un visage lumineux ; dans ses mains, un moule de vagin. C’est clair, on est là pour parler de sexe. Ici, elle accueille une patientèle en majorité arabo-musulmane. « Les gens veulent aller vers quelqu’un qui leur ressemble, c’est normal. Il faut vraiment prendre en compte le volet culturel du patient pour le soigner », indique-t-elle.

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Zainab Fasiki "Hshouma". Tous droits réservés

Le fléau du vaginisme

Il n’existe pas de chiffres officiels, mais, selon le rapport « Sexualité et monde arabe » publié par l’Arab Women’s Solidarity Association-Belgium (AWSA-Be), « de nombreuses sexologues originaires du monde arabe et/ou musulmanes constatent que le vaginisme est très fréquent chez les jeunes femmes ayant été éduquées dans des familles traditionnelles où les rapports homme-femme sont entourés d’interdits et de tabous ». Ici, en Belgique, dans certaines familles, les jeunes filles grandissent avec l’idée que le sexe pratiqué hors mariage est interdit, sale, qu’il pourrait provoquer le déshonneur familial. Ces croyances dues à la hchouma peuvent créer une sorte de phobie de la pénétration. Les conséquences sont multiples. Le vaginisme en fait partie : lors de l’acte sexuel, le sexe de la femme se contracte tellement qu’il est impossible que le pénis pénètre dans le vagin. Ce problème se soigne mais il faut pouvoir oser en parler à un ou à une professionnelle.

Demander de l’aide est un premier pas difficile. La sexologue explique : « Souvent au premier contact, je sens un peu de gêne mais je place le cadre et je rassure les patientes et les patients. Les difficultés sexuelles des femmes viennent de la méconnaissance de leur corps et de l’éducation stricte pleine de tabous. Si elles ont vécu dans une famille où il n’y a pas de place pour la sexualité, elles risquent de mal vivre leurs rapports. Quand leur conjoint essaye de forcer, c’est encore pire. Avec moi, elles ont confiance, elles se relâchent physiquement et psychologiquement et on peut régler le problème en quelques séances. »

Cependant, le vaginisme est un problème multifactoriel qui ne se limite pas aux femmes d’origine maghrébine. Virginie Leblicq, psychologue clinicienne, a travaillé pour le centre islamique de Bruxelles et a co-fondé l’Espace Santé Famille à Saint-Josse. Elle oriente certaines de ses patientes chez Zina Hamzaoui : « Le vaginisme n’est pas causé par une culture ou une communauté mais plutôt par des pratiques éducatives et familiales. On observe aussi des cas chez les personnes de culture occidentale qui, à la maison, ne parlaient pas de sexualité. » Zina Hamzaoui dit d’ailleurs recevoir aussi des femmes catholiques qui ont évolué dans des familles très religieuses où les interdits prennent beaucoup de place dans l’intimité du couple. Peu nombreuses, les études internationales menées sur le sujet estiment que 5 à 17 % des femmes souffrent de vaginisme.

Pas de mariage, pas de sexe

Jehanne : « J’ai 31 ans, j’ai eu plusieurs longues relations et plusieurs aventures plus courtes. En matière de sexe, je crois que c’est en faisant qu’on apprend. Quand je lui ai demandé si elle était casée, Safia m’a rétorqué : “Non, et mes frères et moi sommes logés à la même enseigne. On a tous reçu cette injonction de rester chastes jusqu’au mariage.” »

L’islam encourage les relations affectives et sexuelles dans le seul cadre reconnu qu’est le mariage entre un homme et une femme. L’une des grandes raisons des troubles sexuels vient aussi du célibat prolongé dû à des mariages tar­difs. « Une sexualité retardée cause des problèmes d’éjaculation précoce chez les hommes et un vaginisme chez les femmes », indique Zina Hamzaoui. La sexologue prône l’observation de l’abstinen­ce jusqu’au mariage mais est bien consciente qu’il n’est pas toujours simple de rester chaste. « La sexualité est partout. Cette dualité crée des incompréhensions et des frustrations. » Les jeunes non-mariés qui restent chastes vivent une double hchouma : celle de ne pas être mariés et celle de ressentir un désir sexuel sans pouvoir l’assouvir.

Jehanne : « Et du coup, pour toi, ce n’est pas hchouma d’écrire sur tout ça ? »

Safia : « Non, c’est génial. Il y a 10 ans, on n’en parlait même pas ouvertement ; franchement, les choses sont en train de changer. »

En plus de sa pratique, la spécialiste donne aussi des cours d’éducation sexuelle dans des associations de femmes et de jeunesse, des écoles de devoirs et des mosquées de Belgique. « Le fait que Zina aborde la sexualité et la banalise permet de la normaliser, confie Karim Azzouzi, président de la Ligue des musulmans de Belgique. Beaucoup de gens ont honte d’en parler mais ont besoin d’en parler. J’espère qu’il y aura plus de Zina Hamzaoui. »

La sexologue anime l’émission Parlons tabous sur la radio Arabel FM avec des thèmes comme « notre périnée », « l’éducation sexuel­le et affective des enfants » ou « l’intimité pendant le ramadan ». Pour elle, ce qui est hchouma, c’est surtout de rendre la sexualité taboue.

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