Jane Fondue
Enquête (CC BY-NC-ND) : Boris Krywicki
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Les bras en l’air… et on plie les genoux ! De l’aérobic ringard dans des lieux branchés, ça ne vous est jamais arrivé ? Alors vous n’avez pas croisé la perruque énergique de Professeure Postérieur.
Mes tendres petites paupiettes de veau, […] oui, vos petits culs ont certes peur de mon autorité, mais masochistes, ils en redemandent ! Je les entends, SOS. Je communique avec eux (non, je ne dirai pas tous mes secrets). » Si vous n’avez jamais reçu ce genre de mail, cela signifie que vous, pauvre hère, ne connaissez pas le « sprot ». « C’est une alternative au sport, moins sérieuse, pas compétitive, qui vise juste à ce que les gens bougent leur corps et se sentent bien dedans », inculque Professeure Postérieur, la créatrice et grande prêtresse du concept. Ne le dites à personne, mais, à la base, « sprot », c’était juste une faute de frappe. Dont a découlé l’illumination. Un incident heureux, « comme la tarte Tatin ».
Concrètement, madame Postérieur donne des cours d’aérobic « sauvage et grotesque », comme l’annonce sa page Facebook. Tout part d’un défi : arriver à transformer cette discipline ringarde, sur fond de musique commerciale, en une activité branchée et vibrante. À la barre, un personnage criard (« Tu tiens ! Tu tiens… Tu lâches ! Ça fait mal, hein ? ») de « fausse fausse blonde », perruque platine et poils pubiens bruns scotchés sur un legging. « J’ai créé ce costume pour une soirée déguisée, à la base. Elle avait une thématique animale, je me suis dit “Putain, je suis une femme, j’y vais en femme !” » Banco, fausse foufoune luxuriante sur combinaison rose. Il ne faut pas y voir du militantisme féministe : « Tout le monde fait ce qu’il veut avec ses poils. Mais, sous le costume, il y a les miens, pas loin des faux. » Alors c’est beauf ? Provoc ? « Un peu des deux. Certains trouvent ça vulgaire. Peut-être, mais c’est aussi sensible. ’Y a de l’amour, quand tu grattes. » Ces cours sont d’ailleurs nés dans un centre de bien-être lancé par des amis artistes. On y croise pêle-mêle jeunes et personnes âgées qui se trémoussent sans complexe.
Le sprot en live
Au départ réservé à une petite dizaine de braves dans une « vraie salle de fitness », le sprot s’est récemment exporté dans des lieux publics et côtoie les concerts. « Mon truc, ce n’est pas un spectacle, parce que j’ai envie que les gens participent. » Si la professeure emmène souvent des copines avec elle pour montrer l’exemple, rien ne vaut un public motivé qui suit ses mouvements. Pour l’appâter, il faut ruser. « Aux Nuits du Beau Tas, le 28 avril au BRASS (le centre culturel de Forest, NDLR), avant le show, je me baladais dans la foule avec une dizaine de pulls accrochés à des cintres. Si les gens le revêtaient pour faire le cours en live avec moi, ils pouvaient repartir avec, cadeau ! » Pour habiller l’aérobic, pas de musique originale pour l’instant mais des choix… décalés : « Au Beau Tas, j’ai ouvert sur une citation de Gilles Deleuze, le célèbre philosophe français, qui disait qu’il faut tout faire pour que les gens ne deviennent pas des loques. »
Ma performance au Café central (à deux pas de la Bourse de Bruxelles, NDLR) avait pour thématique le retour de l’être intérieur aimé, alors j’ai ouvert sur la marche nuptiale et enchaîné sur Destinée de Guy Marchand. Ça me fait marrer de passer ça dans un café trash. » Avant de commencer le cours d’aérobic, la professeure traîne déjà dans les parages pour investir l’espace et donner un avant-goût aux curieux. « Le temps qu’on démonte la scène du concert qui me précédait, j’ai mis de la musique d’ascenseur, super-répétitive. Les gens devenaient dingues. » Au bout de vingt minutes, une fille du public implore le proprio de varier la playlist. « Tu rêves, rétorque l’autoritaire prof, ça fait partie du processus. J’aime bien taper sur les nerfs. Je mets la même musique chez moi à mes invités quand je n’ai pas fini de cuisiner. »
Gratuit en short
La bonne parole du sprot s’est
aussi répandue auprès de « petits vieux, à un thé dansant, qui adoraient ma fausse foufoune » ou d’enfants (« là, je l’ai enlevée, faut pas déconner »). Pas difficile d’adapter les mouvements : « Je ne suis pas chorégraphe, il n’y a rien de technique, à part reproduire mes gestes en miroir. » Reste que les gens ont parfois honte de gigoter en public, rechignent à se lâcher complètement. Madame Postérieur a une solution miracle : les ombres chinoises. « Les gens viennent me voir derrière un rideau, on lance une chanson aléatoire de ma playlist et on se déhanche le temps du morceau. » De l’autre côté du drap, les corps dansent, sans se soucier d’être aperçues pleines de sueur. La prof elle-même a eu besoin d’un tremplin pour se décomplexer. « Mon projet n’aurait jamais pu voir le jour en France, d’où je viens. Quand j’en parle à des Français, ils me demandent si j’ai un diplôme, si je ne risque pas de faire mal aux gens… La catastrophe n’est pas obligée d’arriver. C’est l’ouverture d’esprit des Belges et leur goût de l’absurde qui m’ont aidée à extérioriser ce personnage de clown. » Maintenant, ça y est, le sprot s’invite même à un festival de musique en Bretagne. « Souvent, le public porte des jeans et des mocassins, comme pour aller à un concert normal. Mon petit rêve secret, c’est qu’il se pointe en training ! » Pour ceux qui veulent se donner à fond en restant à l’aise, madame Postérieur donne toujours des cours en salle. En ce moment, c’est gratuit pour les mecs… qui viennent en short.