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Histoires d’O3

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Axel Korban. CC BY-SA.

Les Belges sont les champions d’Europe du libertinage. C’est le très sérieux Institut français d’opinion publique (IFOP) qui l’affirme. Plus dingue encore : le sexe à plusieurs est en voie de démocratisation et de rajeunis-sement. Jusqu’à devenir « normal » ? Médor a­­ plongé dans le bain de la sexualité collective.

Depuis deux ans, Louise fait l’amour à plusieurs. Pourtant, la trentenaire est en couple, dans une relation stable, avec enfants, et n’est pas infidèle. « J’ai déjà trompé un de mes mecs. Quand tu trompes, tu mens, tu fais ça dans le dos de l’autre. Je ne voulais pas que ça se reproduise. » Désormais, elle couche avec d’autres hommes et d’autres femmes, son mec fait de même, mais ils déci­dent tout cela à deux. « Ce sont nos fantasmes, nos envies, notre plaisir. » Pour que ça roule, le cou­ple a établi des règles :

  • 1. Ne jamais faire ça en solo, mais toujours ensemble.
  • 2. Ne pas abandonner l’autre dans une soirée.
  • 3. Si l’un des deux ne « sent » pas quelqu’un, il alerte l’autre, qui s’arrange pour faire barrage avec son corps.

En revanche, parmi leurs règles, rien sur les pratiques en tant que telles. Plans à trois, relations homos, pénétration hors couple… tout est possible, pourvu que les deux en aient l’envie. « Chacun d’entre nous fait ce qui lui donne du plaisir. » Louise et Pascal ne se laissent enfermer dans aucune catégorie. Ils ont déjà fréquenté des clubs, utilisent les sites de rencontre classiques ou des sites homos pour chercher des mecs, Tinder plutôt pour le réseau, mais sont aussi abonnés aux sites échangistes comme le belge Bel­swing, où, comme ailleurs, il faut « faire du tri ».

Louise et Pascal font partie de ces 17 % de Belges à avoir déjà fait l’amour en présence d’autres personnes (contre 10 à 13 % ailleurs en Europe), des 9 % à avoir déjà fréquenté un lieu échangiste, des 12 % à avoir pratiqué l’orgie, la forme la plus extrême (ou ouverte, c’est selon) de la sexualité de groupe, plaçant notre pays sur la première marche du podium européen du sexe pluriel. C’est en tout cas ce qu’avançait l’IFOP (Institut français d’opinion publique) dans une étude publiée en 2014. Des chiffres toujours d’actualité, si l’on en croit François Kraus, directeur d’études de l’institut, qui scrute avec rigueur l’évolution des pratiques sexuelles en Europe. Mais le plus intéressant, ce ne sont pas les chiffres, plutôt leur évolution : « Sur les dix dernières années, la pratique de la sexualité de groupe s’est clairement démocratisée, rajeunie et massifiée, alors qu’elle était auparavant réservée à une élite sociologique et urbaine, d’un certain âge, qui cultivait une forme d’entre-soi. »

Impossible pour François Kraus de trouver une variable qui expliquerait ce « bon score belge » – notons au passage qu’il n’existe aucune guéguerre Flamands-Wallons dans le domaine, les deux se faisant pulvériser par Bruxelles. En revanche, « l’usage d’internet et des nouvelles technologies participe à cette évolution, qui se fait aussi hors des cadres ». Avec à la clé, des pratiques moins codifiées, plus diversifiées et de plus en plus à la carte.

Plan à trois

Depuis quelques années, Valentine, la quarantaine célibataire, fréquente Meetic ou Adopteunmec. « Dans un usage tout à fait classique », précise-t-elle. Et fait un constat, qu’elle partage avec d’autres utilisatrices : « Je tombe de plus en plus souvent sur des gars qui, assez vite, me proposent des plans à trois. » Pour l’instant, elle n’a jamais dit oui, mais avoue s’être déjà posé la question. Gaëtan, lui, a déjà « fait des trucs » à plusieurs, « pas de pénétration, mais des caresses ». Il ne se définit pas comme « particulièrement libertin », mais « aime jouer et tester ». Des témoignages qui rejoignent les études de François Kraus : « Dans les catégories les plus jeunes, le triolisme (plan à trois) est plus fréquemment pratiqué. Parmi les hommes belges de moins de 35 ans, 29 % ont déjà testé le plan à trois, un chiffre en augmentation, tiré vers le haut par les homosexuels, qui sont 51 % à l’avoir déjà pratiqué. » Précisons illico que ce chiffre n’est clairement pas paritaire… Car, pendant ce temps, « on atteint 6 % parmi les femmes hétéros à l’avoir testé et 16 % chez les femmes homosexuelles ».

S’il y a bien une constante dans le domaine de la « sexualité multiple », confirmée par les travaux sociologiques menés sur le sujet, c’est bien la surreprésentation masculine. Les différences de prix d’entrée pour hommes et femmes dans les clubs libertins sont sans doute un des signes les plus visibles de cette disproportion femmes/hommes.

Un exemple : à Bruxelles, en juillet dernier, pour une soirée libertine « orgie romaine » dans un club libertin, qui promettait « une ambiance terrible, des décos étincelantes, un buffet spécial, une bonne musique pour une soirée agréablement chaude », un homme devait débourser 140 euros, un couple 50 euros et une femme seule… 15 euros.

Cette surreprésentation masculine fait-elle des milieux libertins des espaces de domination masculine ? La réponse est plus complexe.

Louise reconnaît volontiers que c’est son mec qui l’a « initiée » à la sexualité de groupe. Et que dans « le milieu », club ou pas club, il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes. En revanche, pour elle, la domination n’est pas toujours là où l’on croit : « Par exemple, le fait de te retrouver la seule fille avec des mecs, ça peut aussi te mettre en valeur, tu es la reine. En plus, j’ai découvert un milieu où le rapport à l’autre, au sexe, est ultra bienveil­lant. Clairement, ça a été une vraie libération, ça m’a donné confiance en moi, je me sens plus libre dans mon corps. »

Son compagnon, lui, raconte aussi qu’avant il était « dans une sexualité plus frontale, plus génitale, parfois très self-service. Quand on pratique l’échangisme en couple, ce qui compte c’est ce que veut l’autre, c’est ça qui t’excite, ça renverse les rapports. »

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"Comme je sais que tout le monde me regarde, les mecs mais aussi les nanas hein… ben je me sens en superforme et je peux danser pendant des heures."
Axel Korban. CC BY-SA

Machisme… inversé

Pascal et Louise, en revanche, ne fréquentent quasiment plus les clubs. Louise les fuit, même. « Ce n’est pas du tout mon truc. Tout y est extrêmement codifié. On est dans une transposition exacte de tous les codes sexuels de la société capitaliste, marchande, consumériste, machiste et hétéronormée, voire homophobe. Le dress code veut souvent que les femmes soient en jupe ras la touffe, talons et résille, pendant que les mecs doivent être en chemise-pantalon… Comme au bureau, quoi. L’homosexualité féminine est clairement encouragée, alors que l’homosexualité masculine est proscrite. » Mais là encore, rien n’est figé. De façon paradoxale, la caricature de la domination masculine peut même se voir renversée, devenant le moteur érotique d’autres femmes. C’est le cas de nombreux témoignages recueillis par le sociologue français Philippe Combessie en 2015, comme celui de Sandrine : « Pour moi, le plus important, c’est les talons ! […] Comme je sais que tout le monde me regarde, les mecs, mais aussi les nanas hein… ben je me sens super en forme et je peux danser pendant des heures. Et, après, quand on va dans les coins câlins, je m’éclate. Et je garde mes chaussures, toujours. […] Pour moi, sans ma panoplie, je ne peux pas libertiner. » Et, depuis quelques années, de plus en plus de lieux affichent, en Belgique, une ouverture aux gen­res hors normes, comme les trans, les travestis, etc.

En revanche, une chose est sûre, les clubs font partie de la sphè­re du commerce du sexe. Et se confrontent donc à ses enjeux. Y compris, parfois, celui de la prostitution. Geoffrey, 45 ans, ne fréquente plus trop les clubs, car il ne parvient pas « à faire le tri ». Tout ça depuis une mésaventure qui l’a pas mal refroidi : « J’étais allé à une soirée échangiste dans un club bru­xellois réputé… J’y ai rencontré une femme, mais j’ai vite eu une impression bizarre. Tout ça me paraissait bien froid et mécanique. Alors je l’ai un peu questionnée et elle m’a répondu : “Oui c’est mon boulot”. » Et au-delà de la récupération du libertinage par la sphère commerciale, il y a une donnée qui, elle, ne se fait jamais enfermer : les MST (maladies sexuellement transmissibles). Avec un fait de base : le sexe à plusieurs, c’est une pratique à risques. Pour Louise, c’est même son principal casse-tête : « Parler de la capote, c’est bien, mais concrètement, c’est pas si simple, avec plusieurs partenaires. » Certains se baladent avec des kits de désinfectants pour les mains, évitent le sexe oral, où la protection se fait rare. Louise, elle, cherche toujours une idée miracle… « J’ai même pensé à demander un certificat médical aux gens qu’on invite, mais bon… »

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