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Le grand Robert

web-inventeur
Baptiste Virot.

Robert Cailliau, ça vous dit quelque chose ? Au début des années 90, cet informaticien belge a été un des deux créateurs du web. Il a permis de faire entrer la Toile dans le domaine public.

« Cher Monsieur Noirfalisse,

Merci de votre intérêt. En 2013, j’ai décidé pour plusieurs raisons de ne plus intervenir sur ces sujets en conférence ou en interview. […]

Meilleures salutations, R. Cailliau. »

Caramba ! Encore raté. En 2011, déjà, j’avais essayé sans succès de parler à Robert Cailliau. Il préférait consacrer son temps à écrire et à restaurer son site internet. Pourquoi tant d’acharnement journalistique sur un informaticien belge, désormais à la retraite et expatrié pas loin de Genève, à la frontière franco-suisse ? Parce que, tout chauvinisme belgicain mis à part, Robert Cailliau a joué un rôle capital et largement méconnu dans l’élaboration et la dissémination du web.

Idées à lier

Mais commençons par le commencement. Au début du XXe siècle, avec l’explosion de la littérature scientifique, quelques visionnaires veulent rassembler les savoirs du monde, les relier entre eux, les stocker en un seul « espace ». Se développe alors un lignage d’idées grandioses : des « télescopes électriques » du Belge Paul Otlet, qui permettaient de se plonger dans la connaissance du monde, au MeMex de Vannevar Bush, bibliothèque gigantesque de microfilms, en passant par le projet Xanadu du sociologue américain Ted Nelson, un répertoire mondial complexe de textes digitaux. C’est ce dernier qui inventa le terme
« hypertexte », aujourd’hui bien connu : « Un ensemble de matériaux écrits ou picturaux interconnectés de façon si complexe qu’il ne peut pas être commodément présenté ou représenté sur papier. » Ces trois projets ne se réaliseront jamais entièrement. Quelques décennies plus tard, dans les années 70 et 80, la technologie d’Internet permet à quelques initiés de faire communiquer des ordinateurs reliés par des câbles. Et même de s’échanger des e-mails.

Un des deux hommes qui vont relier toutes ces inventions, c’est Robert Cailliau. Formé à Gand et dans le Michigan, cet ingénieur en mécanique des fluides perçoit le besoin de classer et d’organiser les données produites en masse chez les scientifiques depuis les années 60. Il se tourne vers l’informatique et, en 1974, intègre le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), le plus grand centre de physique des particules au monde, situé près de Genève. Cailliau atterrit dans la Division de gestion des données. Il estime qu’il faut faire plus que bêtement imprimer la quantité pantagruélique de documents que génère le CERN ou de la classer dans des bases de données : lui veut « naviguer dedans ». Un autre scientifique de la maison, Tim Berners-Lee, physicien et programmeur, n’en peut plus de l’éclatement des systèmes et des bases de données. En 1989, il envoie une proposition à son boss, Mike Sendall, pour mettre en place un système d’échange d’informations basé sur la technologie Internet et l’hypertexte. Sendall écrit sur la proposition ces mots devenus célèbres chez les informaticiens : « Un peu vague, mais prometteur.  »

La vie en vert

En 1990, Tim Berners-Lee et Robert Cailliau sont autorisés à travailler sur ce projet et obtiennent des moyens humains et financiers. Ils développent les trois piliers du web : les URL ou adresses web, le langage HTML pour donner une forme aux pages et un protocole de transfert, le HTTP.

En quelques mois, le world wide web naît. Le nom a été proposé par Berners-Lee, lors de discussions à la cafétéria, sans qu’une ligne de code ait encore été écrite. Cailliau trouve ça un peu difficile à prononcer en français. Mais comme il est atteint de synesthésie, un phénomène neurologique par lequel deux sens sont associés, chaque fois qu’il voit un W, il voit également du vert, sa couleur préférée. Il accepte donc les trois W. Le premier logo du web, dessiné par Cailliau lui-même, sera donc vert et blanc.

Le Belge développe aussi Samba, le premier navigateur pour Mac, et prend son bâton de pèlerin pour populariser le web à travers des conférences. Surtout, écrit Tim Berners-Lee, Cailliau pousse la direction du CERN à renoncer aux droits de propriété intellectuelle sur la technologie WWW et à la faire entrer dans le domaine public. Les deux inventeurs font le choix, à ce moment-là, d’un accès aisé à leur technologie, au détriment de leur richesse personnelle. La suite est mieux connue : ouvert, le web va devenir un lieu de créativité remarquable mais aussi un terrain commercial et de surveillance gigantesque. Quant à Cailliau, grand amateur de Lego, il profite de sa retraite, ponctuée de conférences et d’inquiétudes. Parmi celles-ci, la mainmise par le privé sur les données des citoyens et l’absence d’un vaste mouvement de défense des utilisateurs du web.

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