Chic Clinic
Le point sur les fulgurances culturelles du plat pays
Mathieu Chevallier, Normand diplômé d’art traditionnel d’Inde du Sud, pratique prothèses de papier et greffes plastiques sur arbres magiques. Un sacré mic-mac public de précision chirurgicale.
« Près de la décharge de New Delhi, j’ai croisé cet unijambiste qui avait remodelé son membre avec des matériaux abandonnés, des trucs qui n’ont plus de valeur. C’était mortel, des techniques d’assemblage inédites, et il en était fier. » C’était en Inde, il y a quinze ans. C’est là, loin de ses études bretonnes, que Mathieu Chevallier, jeune plasticien, met de côté ses intérêts pour l’infiniment petit, venus de son père biologiste, au profit de réalisations plus concrètes : des prothèses.
« Depuis 2001, je colle des machins sur mon visage et ceux de mes potes. » Dans la rue, à l’occasion d’événements institutionnalisés ou non, Chevallier aime découper des images publicitaires pour en revêtir les passants. De la chirurgie esthétique ? « Cela va plus loin que ça, je préfère parler de reconfiguration. Pour moi, c’est un travail sur le double, l’âme, le post-humain. Un patch sur les utopies actuelles et futures. » Au début, il s’agissait de coller aux gens leurs propres déchets, pour renvoyer à notre surconsommation, mais le plasticien « préfère ces masques, plus légers, avec lesquels mon cobaye vit quelque chose de l’ordre du soin ». Comme à Auderghem, cet été, où il applique l’œil droit d’une égérie de beauté sur celui d’une dame atteinte de la sclérose en plaques : « Merci, Monsieur, ça me fait du bien ce que vous me faites. »
Totem culturel
L’artiste se voit en docteur, résolument tout-terrain. « L’art est une vertu qui implique une responsabilité : utiliser à bon escient le talent qu’on t’a donné pour agir sur les autres. » Vraiment ? « Ce sont les paroles d’un ami qui pratique le vaudou, nuance-t-il. Moi, je circule là-dedans, je fréquente des gens comme lui, mais aussi des responsables communaux, qui soutiennent de plus en plus mon travail. » Les communes font appel à Mathieu Chevallier pour des résidences qui consistent, souvent, à réaliser des œuvres aux yeux de tous. Quand a lieu l’interview (octobre, NDLR), il revient d’une semaine à Watermael-Boitsfort, où il a « réparé un totem d’arbre, morceau par morceau, avec des sacs plastiques ». Ces événements cherchent à créer du lien dans l’espace public. Son art de brocs a une signification différente selon les cultures. « La pièce de Watermael, un Africain y a vu un arbre magique ; une dame, un arbuste fragile. Alors, elle m’a ramené des plumes pour les y accrocher, le protéger. »
Gucci mis à sac
Prochain arrêt : Molenbeek, où l’artiste emporte son feuillu. Mathieu sillonne la capitale belge qui en 2009 est devenue son pied-à-terre. « J’adore surtout le piquant des artistes belges, comme Jan Fabre, à qui il a eu la chance de présenter son travail. Fabre m’a sélectionné pour une expo de jeunes talents, c’est génial. Il m’inspire, c’est le genre d’auteur qui va jusqu’au blasphème pour prier. »
Au Vecteur, à Charleroi, Matthieu a créé la « Gucci Clinic », une sorte de parodie d’entreprise qui serait la coupole de tout son travail. Gucci ? Mathieu Chevallier trimballe en permanence des tas de matériaux ; il a besoin de sacs amples. « Un jour, je suis tombé sur un grand cabas, une contrefaçon d’un Gucci. Pour trois euros, j’avais la classe de la marque avec le côté pratique. » Mathieu Chevallier a enfin trouvé le titre à apposer à la quasi-intégralité de ses œuvres, titre qu’il a tout de même modifié en « Güshi » pour éviter les soucis de copyright. Si lui ne fait pas payer la consultation, l’artiste-médecin envie bien une chose aux blouses blanches. « Une ambulance, pour aller donner mes ateliers ! Mais pas une kitsch, une chic. » Güshi reste quand même un peu Gucci.