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La vue est libre

Numérique à brac

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Madelgarius. CC BY-SA.

Tu as pris une photo d’une façade Victor Horta (avec un Pokémon à côté, peut-être) et l’as postée, fier comme Artaban, sur Facebook ? Jusqu’en juin dernier, ce geste te faisait flirter avec l’illégalité. Heureusement pour toi, la liberté de panorama est passée par là et a dégagé ton horizon.

Les fresques BD de Bruxelles, le Parlement européen, la gare de Liège-Guillemins, une maison de Horta et la Tortue de Jan Fabre à Namur… Jusqu’à il y a peu, ces symboles de l’espace public belge partageaient un point commun : si vous les photographiez et les diffusiez sans autorisation de leurs créateurs ou architectes, vous étiez en principe des hors-la-loi, si l’on applique le droit d’auteur à la lettre. Tout au plus pouviez-vous imprimer l’image, la coller à un mur de chez vous et la passer lors des diapos du diman­che. Pour pouvoir diffuser librement – y compris de façon commerciale – l’image d’un bâtiment ou d’une œuvre d’art extérieure placée sous le droit d’auteur, il fallait attendre septante ans après la mort de son auteur.

Ainsi, André Waterkeyn, le concepteur de l’Atomium, étant mort en 2005, l’utilisation libre d’une image de l’Atomium aurait été possible à partir de 2075. Pour reproduire à l’aise la forme de « kokkel » (une sorte de moule) de l’église Notre-Dame-des-Dunes de Coxyde, il aurait fallu attendre les septante ans du décès de l’architecte Jozef Lantsoght, en 2058. Tout cela créait une situation un peu absurde où, par exemple, un selfie posté sur Facebook ou Instagram avec un monument pouvait tomber sous le coup de la législation belge, même s’il n’était jamais réellement sanctionné. Mais si on écrit tout à l’imparfait (et au conditionnel), c’est parce que fin juin dernier, les députés ont instauré la « liberté de pano­­rama » en Belgique.

À chacun sa sauce

Petit détour inévitable par le droit. Jusqu’à juin, la loi belge disait que les monuments et sculptures présents dans l’espace public et placés sous le droit d’auteur (parce que démontrant une création originale) ne pouvaient pas être reproduits puis communiqués au public. Une exception dans le paysage européen ? Une tendance minoritaire, en tout cas. Chaque État membre légifère un peu à sa sauce mais beaucoup ont décidé d’opter pour la liberté de pano­­rama.

Cette liberté est une exception au droit d’auteur par laquelle, dixit Wikipédia, « il est permis de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public ». En Bulgarie ou en Lettonie, il y a une liberté de panorama mais pas pour des utilisations commerciales. En Espagne, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède et dans bien d’autres pays, la liberté existe même à des fins commerciales. En France et en Italie, il n’y a pas de liberté de panorama.

En Belgique, l’idée de l’ancrer dans la loi a été lancée par deux députés de l’Open Vld, Patricia Ceysens et Frank Wilrycx, en 2015. L’aile belge de la Wikimedia Foundation est d’accord avec eux et a poussé pour l’adoption de cette loi. « Avant, même si vous étiez au courant de la loi, il fallait se demander, en photographiant, si tel immeuble était dans le domaine public ou encore sous copyright. Ça limite pas mal le processus créatif », explique Romaine, membre du CA de Wikimedia Belgium.

La loi n’a pas reçu le soutien de tout le monde. Elle a été votée majorité contre opposition. Au cœur du débat, la notion, toujours épineuse lorsqu’on parle de licence, d’utilisation commerciale (autorisée par la loi). Les aficionados du projet estiment qu’autoriser l’utilisation commerciale est nécessaire. Lorsque vous mettez une photo de vos enfants avec, juste derrière, le Schtroumpf placé près de la gare Centrale, sur Facebook, il faut bien se rappeler que vous postez sur le site d’une entreprise qui vous a demandé, pour accéder à son service, d’accepter que vos contenus puissent être réutilisés commercialement, par exemple. Sans autorisation commerciale, le partage sur les réseaux sociaux pouvait être compliqué.

« Concept imprécis »

Wikipédia, qui accueillait des dizaines de pages sur des lieux publics belges sans pouvoir montrer leurs photos, n’accepte elle que des images qui peuvent être réutilisées commercialement. Étrange, pour une encyclopédie non marchande ? Pas tant que ça. Des moteurs de recherche, des institutions qui à un moment commercialisent quelque chose (comme des cours pour une école privée par exemple) et des blogs présentant de la publicité peuvent ainsi reprendre le contenu de Wiki­pédia.

La Sabam n’a pas vu la naissance de la liberté de panorama (et son usage commercial) en Belgique d’un très bon œil. Ainsi, son directeur, dans le quotidien La Meuse, au début juillet : on « n’avait jamais ennuyé personne parce qu’elle prenait en photo les fres­ques de bandes dessinées » à Bruxelles. Le PS, via Karine
Lalieux, a lui voulu introduire un amendement à la loi pour interdire une utilisation commerciale (car­tes postales, tee-shirts, etc.) des images d’œuvres d’art. L’amendement a été rejeté.

Le texte actuel plaît aux wikimédiens. Il reflète davantage les utilisations quotidiennes des images de nos (ego)trips touristiques. Reste ce passage, sibyllin, qui dit que l’utilisation ne peut pas causer « un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. » Un « concept imprécis », pour le blog d’analyse juridique La mention marginale, qui pourrait bien accoucher de son lot « de litiges ».

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