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Marc Van Montagu : Un ambassadeur de très bonne volonté

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Colin Delfosse. Tous droits réservés.

Le « père » des plantes génétiquement modifiées est Belge. Et il a transformé sa ville, Gand, en centre européen des biotechnologies. À 82 ans, l’infatigable Marc Van Montagu continue d’arpenter le globe pour promouvoir les OGM, solution selon lui au changement climatique et à la faim dans le monde. Son parcours symbolise à outrance l’emprise croissante de l’industrie sur la recherche publique au cours du dernier quart de siècle.

Les navetteurs qui font le trajet de Bruxelles-Midi à Gand l’aperçoivent parfois sur la voie 2, silhouette discrète qui accuse le poids des ans, mais à la démarche encore vive. Avec son costume sobre, ses petits yeux plissés et curieux, Marc Van Montagu ne se presse pas ; la cité des Comtes est bien desservie, avec un train toutes les quinze minutes. Il avance au rythme de ce poème d’Henri Michaux qu’il aime tant, La ralentie. « On a tout le temps. On déguste. On rit dans son poing. » Une invitation à la lenteur qui prend tout son sens quand on a 82 ans. Les autres passagers ne le savent pas, mais ils partageront peut-être leur banquette avec l’un des pères fondateurs des biotechnologies végétales, ces OGM si controversés. En deuxième classe, sauf si le train est trop bondé.

Sous le ciel de Floride

Tandis que les plaines flamandes défilent par la fenêtre, se souvient-il parfois du moment où il a présenté sa découverte au monde ? C’était à Miami, en 1983, lors d’un symposium de biologie moléculaire. Il avait fait le voyage en compagnie de son collègue et ami Jozef Schell, autre pointure scientifique flamande, aujour­­d’hui décédé. Ensemble, ils avaient mis au jour ce principe qui promettait de révolutionner la science végétale : une bactérie du nom d’agrobacterium tumefaciens pouvait être utilisée comme véhicule pour transférer un gène étranger dans une plante, ouvrant la possibilité de lui conférer une propriété qu’elle n’avait pas auparavant. Par exemple, celle de combattre un insecte. Ou de résister à des arrosages d’herbicide.

Ce jour mémorable de janvier 1983, sous le ciel de Floride, les deux Belges n’étaient pas seuls à revendiquer cette trouvaille révolutionnaire. Deux concurrents présentaient des résultats similaires : Mary Dell-Chilton, une chimiste de l’Université de Washington, et Robert Fraley, un biochimiste fraîchement embauché par le géant de l’agrochimie Monsanto, dont il est aujourd’hui le vice-président exécutif. Fraley aurait profité de nombreux échanges avec les Belges pour avancer dans ses recherches, ce dont Marc Van Montagu se réjouit : « Que ce soit le secteur privé ou le secteur public, personne ne se posait de questions. On avait découvert le principe, on voulait que ça avance. »

Quand il arrive à Gand, le père de la transgénèse végétale a ses habitudes. Il retrouve la vieille Saab qu’il a garée non loin de la gare. Elle ne lui sert qu’à franchir les dix kilomètres qui le séparent du parc technologique de Zwijnaarde, au sud de la ville. Dans le long bâtiment austère qui héberge de nombreuses spin-off, ces petites entreprises high-tech émanant de l’Université de Gand, il grimpe d’un pas alerte la volée d’escaliers qui le sépare de son bureau.

Médaille d’or en Iran

La semaine précédente, il était en Iran, où il a reçu la Médaille d’or de l’Agriculture des mains du ministre titulaire. « C’est le premier pays à avoir cultivé du riz transgénique en plein champ. Ils ont développé une vingtaine de variétés, même si rien n’est encore commercialisé », raconte-t-il. Dans quelques jours, il mettra le cap sur la Chine, pour un congrès sur les biotechnologies. Son téléphone ne cesse de sonner. « Des collègues brésiliens », nous souffle-t-il à voix basse, avant de répondre aimablement en portugais, puis d’enchaîner en anglais. Non, il n’ira pas à Milan avant son départ en Chine. Inutile d’insister.

Dans son bureau, le décor est sobre. Une mappemonde, quelques souvenirs de voyage. Un grand tirage photo noir et blanc posé dans un coin le montre jeune étudiant en chimie, dans les années 1950, parmi un groupe d’élèves. Cheveux en bataille, lunettes rondes, air lunaire, il tient une fiole à la main. Il a tout du jeune savant intrépide qui va réaliser une expérience explosive. Il est à l’Université de Gand, déjà. Les OGM ont beau lui avoir fait sillonner le globe, il n’a jamais renoncé à ce port d’attache. Qui était déjà celui de son arrière-grand-père, Edmond Van Beveren, un des fondateurs en 1877 du premier parti socialiste flamand. D’ailleurs, fidèle à son aïeul, le professeur a toujours sa carte du parti, lui que le roi Baudouin a fait baron en 1990.

Marc Van Montagu est né non loin d’ici, dans un quartier qui n’existe plus, « plein de petites maisons ouvrières comme dans les corons, à une époque où les gens allaient encore à pied à la mer ». Sa mère décède à sa naissance et il grandit aux côtés d’un père employé dans une usine à papier. Un pharmacien dont la petite officine était située non loin de la maison familiale lui a inspiré ses premiers pas de chimiste. « Il m’a aussi initié à la musique, à l’opéra. On n’avait pas toute cette culture chez nous », se souvient, ému, celui qui a été le premier de sa famille à dépasser le niveau de l’école primaire.

L’ignorance des environnementalistes

Malgré son agenda de ministre, Marc Van Montagu prend volontiers le temps de parler du travail de sa vie, surtout lorsqu’il s’agit de rétablir ce qu’il considère être la « vérité scientifique » sur les OGM. Quand le photographe de Médor sort son objectif, il prend naturellement la pose. Il sait se servir des médias qui lui offrent régulièrement une tribune pour défendre sa cause.

La réticence vis-à-vis des biotechnologies, en Europe et ailleurs, le désole et il ne perd jamais une occasion d’essayer de convaincre de leurs bienfaits pour l’humanité. Car il en est persuadé : en dopant les rendements et la résistance des plantes aux insectes, les OGM sont une solution incontournable pour nourrir les deux milliards de personnes supplémentaires que comptera bientôt la planète. En Flandre, ses tirades sur l’ignorance des environnementalistes – « des fondamentalistes qui privent l’humanité d’une technologie essentielle » – sont bien connues. L’opposition aux OGM, soutient-il, repose sur des peurs irrationnelles, nourries de biologie populaire et d’une vision simpliste et quasi religieuse de la nature. « Leurs arguments n’ont rien de scientifique », martèle-t-il dans une tribune du Wall Street Journal comme dans une publication scientifique.

Pour lui, toutes les précautions concernant les risques sanitaires et environnementaux sont contre-productives et provoquent une surenchère de réglementations coûteuses. « Il s’est toujours montré péremptoire à ce sujet, balayant les incertitudes d’un revers de main », se souvient Paul Lannoye, cofondateur du parti Écolo, qui a travaillé sur le dossier OGM quand il était député européen, de 1989 à 2004. Le professeur gantois n’hésite pas à affirmer l’existence d’un consensus scientifique sur la non-dangerosité des OGM, arguant que « les gens ont consommé des milliards de repas contenant des aliments transgéniques depuis leur première commercialisation il y a 22 ans, et qu’aucun problème n’a été documenté ». Une opinion pourtant contredite par l’Association européenne des scientifiques pour la responsabilité sociale et environnementale (ENSSER) qui, en 2013, a contesté l’existence d’un tel consensus.

Ambassadeur de l’agrobusiness

Si Marc Van Montagu vient si souvent ici, à Zwijnaarde, c’est pour s’occuper bénévolement de l’International Plant Biotechnology for Developing Countries (IPBO), un petit institut qu’il a fondé à sa retraite, en 1999, et dont la vocation est de transférer les biotechnologies végétales « à ceux qui en ont le plus besoin »  : les pays du « tiers-monde », comme il les appelle. La structure est modeste (un temps-plein et une secrétaire à temps partiel) et sa mission relève davantage des relations publiques que de la science. On n’y fait pas de recherche ; il s’agit surtout de convaincre un public réticent envers l’intérêt d’utiliser les biotechnologies en agriculture.

Chaque année, quelques dizaines d’étudiants africains viennent suivre des séminaires sur la biosécurité et l’amélioration génétique du manioc et des patates douces. L’IPBO coordonne aussi un réseau de chercheurs sur l’évaluation des risques biotechnologiques, soutenu par le gouvernement flamand et l’ONUDI, une discrète agence des Nations unies qui s’occupe de « promouvoir et accélérer le développement industriel durable des pays en voie de développement ». En novembre 2014, l’ONUDI a nommé Marc Van Montagu « Ambassadeur de bonne volonté pour l’agrobusiness ».

Agrobusiness ? Lorsqu’ils lisent ce genre de ligne dans le CV du professeur émérite, les militants anti-OGM esquissent un sourire entendu. Car le scientifique Van Montagu a toujours flirté avec le monde des affaires. Dans un cadre à l’entrée de son bureau, un document orné de précieux lettrages est posé bien en évidence : le prix mondial de l’Alimentation, qu’il partage avec… Robert Fraley, son concurrent au symposium de Miami en 1983 devenu un des big boss de Monsanto. Cette récompense, Van Montagu et Fraley l’ont reçue en 2013 pour avoir contribué « au développement humain en améliorant la qualité, la quantité et la disponibilité de nourriture dans le monde ».

Un prix controversé

Parmi les sponsors de ce World Food Prize, on compte tous les géants de l’agrochimie, de Syngenta à Bayer, en passant par Cargill et DuPont. On croise même le lobby industriel mondial des plantes transgéniques, CropLife International, basé avenue Louise à Bruxelles. Monsanto a offert chaque année, de 1999 à 2011, 380 000 dollars, ainsi que 8 millions de dollars supplémentaires en 2008 pour créer le musée dédié aux lauréats. « Avec ce prix, s’agit-il de reconnaître des héros ou de promouvoir les intérêts de l’agrobusiness ? », s’interroge l’ONG américaine Food and Water Watch, qui dénonce un manque d’indépendance dans l’attribution de ce prix.

Marc Van Montagu s’agace de ce genre de controverse : « La science n’est pas seulement là pour faire du fondamental, elle fait aussi de l’appliqué. Et ça, ce n’est pas l’université qui s’en occupe, ce sont d’autres structures, se défend-il. L’agro-industrie, c’est quoi ? Des plantes plus productives, une agriculture qui rapporte mieux, une industrie qui se développe à partir de la transformation des matières premières. Grâce à cela, les gens du tiers-monde ont des revenus et peuvent envoyer leurs enfants à l’école. »

Quid alors de l’inquiétude de voir l’agriculture mondiale mise en coupe réglée par un petit nombre de multinationales ? Quand on lui parle de droits de propriété intellectuelle et de perte de souveraineté des fermiers sur leurs semences, il relativise : « C’est possible de faire une bicyclette soi-même, mais à quel prix, avec quels efforts ? Pour un fermier c’est beaucoup plus intéressant d’acheter des graines qui lui permettent de multiplier sa productivité par trois que de les récolter lui-même. » Et d’ajouter : « Les gens ont peur des multinationales. Pourtant, ce sont aussi elles qui fabriquent nos voitures et nos ordinateurs. Des monopoles, vous en avez dans d’autres secteurs. Je ne défends pas cela, mais ce n’est pas propre aux OGM. »

Lobbyiste chevronné

Marc Van Montagu est actif dans plusieurs organisations qui défendent les intérêts des biotechnologies et des multinationales de l’agrobusiness. En 2007, alors qu’il présidait la European Federation of Biotechnology (EFB), il signe une lettre ouverte adressée à Stavros Dimas, alors commissaire européen en charge de l’Environnement, pour le convaincre d’autoriser la mise en culture, sur le sol européen, de deux variétés de maïs OGM développées par Syngenta et Pioneer. La tentative échoue : Greenpeace l’attendait au tournant, envoyant au même moment une missive sarcastique à la presse pour dénoncer le recours abusif à l’autorité scientifique pour défendre des intérêts purement commerciaux.

Le professeur gantois préside également la Public Research and Regulation Initiative (PRRI), une organisation internationale créée en 2004 qui fait pression sur les décideurs politiques pour abaisser le seuil de leurs exigences lorsqu’il s’agit de réglementer la recherche en biotechnologie. La PRRI, qui prétend représenter les scientifiques du secteur public du monde entier, est notamment financée par Monsanto et CropLife International. Ce groupe de pression a été très actif en coulisses lors des négociations sur la Convention de l’ONU sur la biodiversité biologique.

Enfin, Marc Van Montagu est patron (« parrain ») de l’International service for the acquisition of agri-biotech applications (ISAAA), une organisation créée en 1991 et financée par l’industrie biotech pour faciliter le transfert des biotechnologies vers les pays du Sud.

Lobbyiste, Marc Van Montagu ? « Quand on fait un métier, on travaille dans des organisations qui protègent les intérêts de son métier. C’est tout à fait normal », se justifie-t-il. « Nous devons nous défendre contre ceux qui racontent des carabistouilles, comme Séralini ou Greenpeace. C’est le seul moyen de faire entendre notre voix. Et encore, les gens nous disent qu’on n’est pas assez audibles comparativement à José Bové. Si on veut appeler cela du lobbying, ça me va. »

N’en déplaise à Marc Van Montagu, ses allées et venues entre le monde de la science et celui du business attisent la polémique. D’autant que ses recherches n’ont pas seulement permis que des millions d’hectares de cultures OGM soient plantés à travers le monde : il a aussi activement œuvré à la création de la « Flanders Biotech Valley », ce vivier de jeunes entreprises qui poussent dans le giron des universités flamandes. Le parc technologique de Zwijnaarde, qui s’étend par-delà la fenêtre de son bureau, c’est un peu sa création.

Le VIB, son bébé

Quelques mètres séparent son bureau du Vlaams Instituut voor Biotechnologies (VIB), un institut dont il a assuré la direction scientifique pendant de nombreuses années. Structure hybride qui opère la jonction entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, le VIB a vu le jour en 1996. Son budget annuel s’élève aujourd’hui à 120 millions d’euros, dont 45 % proviennent du gouvernement flamand. « Un tiers de ses rentrées au moins proviennent de la coopération avec l’industrie, souligne Marc Van Montagu. En cas de découverte prometteuse, l’Institut crée une start-up ou vend le brevet à une entreprise. » Le reste est financé par des bourses postdoctorales et l’exploitation des droits de propriété intellectuelle, qui interviennent à hauteur de 11 %.

Le professeur se souvient du moment où il a convaincu le ministre-président flamand de l’époque, Luc Van den Brande (CD&V), d’investir dans ce projet. C’était à l’occasion d’une mission aux États-Unis. « Je lui ai expliqué qu’on avait besoin d’argent pour développer quelque chose d’extraordinaire, que personne d’autre n’avait : ces plantes transgéniques qui allaient révolutionner le monde. » Marc Van Montagu ne manquait pas d’atouts pour séduire le premier flamand. N’est-ce pas lui qui avait créé, en 1982, une des toutes premières start-up de Belgique, Plant Genetic System (PGS) ? Cette petite boîte financée avec l’appui d’industriels flamands, dont la famille Kronacker (propriétaire des sucreries Tirlemont), a enchaîné les découvertes prometteuses : la technologie Bt, qui permet aux plantes de fabriquer leur propre insecticide et qui est parmi les plus utilisées dans les OGM commerciaux, ainsi que les plantes résistantes au glufosinate, un des trois principaux herbicides.

PGS était considérée comme un fleuron de la « troisième révolution industrielle flamande », qui misait sur les biotechnologies et la micro-informatique. Si la start-up n’a jamais été bénéficiaire, elle a pourtant réussi, en août 1996, à se faire racheter par AgrEvo (filiale des entreprises chimiques allemandes Hoechst and Schering) pour 730 millions de dollars. Selon AgrEvo, la valeur des brevets développés par Marc Van Montagu et son équipe représentait 700 millions du prix d’achat… En 2002, PGS est passée dans le giron du géant Bayer CropScience.

Le VIB, qui a systématisé la création de start-up pour valoriser les découvertes scientifiques, est aujourd’hui un mastodonte qui emploie 1 400 personnes, dont la moitié sont des chercheurs issus de 60 pays. Il compte huit départements, répartis entre les différentes universités flamandes, car « il a fallu donner un peu à tout le monde ». Au VIB, Marc Van Montagu est chez lui. Il circule à son aise dans les labos et salue tout le monde. Il dispose même de son propre bureau – son deuxième, donc – dans lequel trône un buste de son arrière-grand-père socialiste.

Le tabou de l’argent

À travers une baie vitrée, Marc Van Montagu désigne une rangée de peupliers OGM qui se balancent dans le vent. « C’est un des deux seuls champs expérimentaux en Belgique, peste-t-il, car Greenpeace nous empêche toujours de faire des essais en extérieur. » Depuis sa construction en 2003, le parc technologique de Zwijnaarde a connu un essor fulgurant. « Des multinationales ont décidé de construire leur centre d’innovation ici », se réjouit-il. Bayer a ses quartiers juste à côté. Plus loin, on trouve BASF qui, en 2006, a racheté pour un prix resté secret CropDesign, la seconde spin-off lancée en 1998 par Marc Van Montagu. Un peu plus loin encore, il y a Syngenta qui a absorbé en 2013 une autre spin-off du VIB, DevGen, pour 403 millions d’euros.

Les politiciens flamands se frottent les mains devant le succès de ce complexe académico-industriel qui se pose en rival sérieux des campus high-tech d’Amérique. « Grâce aux bons stimuli fiscaux, nous avons attiré le capital et les investissements qui ont rendu possible la spectaculaire ascension de la Belgique comme pays biotech », s’enflammait le vice-Premier Alexander De Croo (Open VLD) en juin 2014. « En 1990, il y avait deux compagnies “life science” en Belgique. Aujourd’hui, plus de cent vingt. KBC a évalué la valeur du marché à 11 milliards d’euros. »

La banque belge suit de près l’évolution du secteur. Elle a même lancé, en 2001, un fonds d’investissement dans les compagnies de biotechnologie bénéficiant d’un régime fiscal très attractif. Surprise : Marc Van Montagu était conseiller au sein de ce KBC Private Equity Fund Biotech, qui n’a pas survécu à la crise financière de 2008. Il n’y voit rien de mal : « Si une banque de chez nous ou des investisseurs demandent des renseignements sur la science, on collabore. Cela me paraît normal. La science ne peut progresser que s’il y a de l’investissement. En Belgique, si on n’a pas les start-up, il ne se passe rien. »

Le généticien se défend d’avoir gagné de l’argent avec cette mission de consultance. « J’avais des jetons de présence, comme partout ailleurs. » Même discours concernant la vente de ses spin-off PGS et CropDesign pour plus d’un milliard d’euros. « Le personnel détenait quelques actions, mais individuellement, cela ne s’élevait vraiment pas à grand-chose. » Malgré nos questions répétées et nos recherches – le dossier de PGS au greffe du tribunal de commerce de Gand a disparu –, nous n’avons pu identifier combien d’argent Marc Van Montagu avait gagné lors de la vente de ses deux fleurons.

Patatistes et patatras

Reste que ce nouveau business model de la recherche, dont Van Montagu a été l’un des artisans, n’a pas que des adeptes. En Flandre, le débat a été particulièrement vif à la suite du procès des activistes du Field Liberation Movement, poursuivis pour avoir saccagé un champ expérimental de pommes de terre OGM à Wetteren, non loin de Gand, en mai 2011. L’essai était piloté conjointement par des chercheurs du VIB, l’Université de Gand et l’entreprise chimique BASF. Les « patatistes » voulaient notamment dénoncer les motivations commerciales de l’expérience. Après le licenciement de Barbara Van Dyck, jeune chercheuse de la KUL qui avait soutenu cette action de désobéissance civile, une partie du monde académique flamand est sortie du bois.

Chris Kesteloot, géographe à la KUL et fondateur du mouvement Slow Science, est de ceux-là. Pour lui, la connaissance scientifique n’est pas une marchandise, mais une ressource qui doit être au service du bien commun. Il se souvient d’un débat sur les finalités de la science, quelques mois après la destruction du champ de patates transgéniques. Marc Van Montagu était présent. « Nous lui disions que la technologie n’était pas neutre, qu’elle changeait les rapports sociaux, économiques et que tout scientifique devait avoir conscience de ces questions. Ça l’a énervé et il a répondu lapidairement : “Si vous avez raison, vous n’avez qu’à avoir autant de citations que moi dans des articles scientifiques.” »

Dans une lettre ouverte au vice-recteur de l’Université de Gand, le philosophe Robrecht Vanderbeeken dénonce les ambiguïtés d’une recherche publique dont les objectifs semblent se couler toujours plus dans ceux des firmes privées. « Marc Van Montagu et les siens devraient expliquer comment, payés par la collectivité, ils se protègent de l’exploitation et des abus. Un débat plus nuancé ne sera possible que si les scientifiques font toute la clarté sur leur rôle dans la société. »

« Mais enfin, l’économie de la connaissance, n’est-ce pas ce que tout le monde veut aujourd’hui, l’Union européenne, les gouvernements, chaque ministre ? », répond, piqué au vif, Marc Van Montagu au philosophe. « Puisque nous n’avons pas de matières premières, tous disent que ce sont les connaissances qui doivent créer l’industrie de demain », lâche-t-il en esquivant le débat de fond. Car l’heure est déjà venue pour lui de s’éclipser dans sa vieille Saab. Un train puis un avion l’attendent pour aller prêcher la cause des OGM dans un autre coin de la planète.

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