3min

Les artisans hédonistes du dancefloor

Le point sur les fulgurances culturelles du plat pays

fdc2-cropped.png
osp. CC BY-SA.

Ils ont pour pseudos Jimi After et Maurizio Athome, vivent à Bruxelles, ont la quarantaine et produisent de la musique électronique pour danser. Reconnus internationalement, ils ne vivent pourtant pas de leur art. Rencontre faussement désabusée, en fait pleine d’enthousiasme contemporain.

Jimi After et Maurizio Athome sont affalés dans mon salon. Tous deux actifs dans le secteur des musiques pour danser. Tous deux quadragénaires au background long comme une hésitation politique sur le RER bruxellois. Depuis 10 ans, Jimi produit une house music racée et mélancolique et a notamment sorti des morceaux sur des labels internationaux bien connus dans son univers, comme l’américain Throne of Blood, le français Correspondant ou le flamand Smile.

Maurizio Athome, DJ depuis les années 1980 et moitié des rigolards et érotiques Front de Cadeaux depuis fin 2013, s’est quant à lui fait remixer par le duo écossais Optimo et par le groupe industriel américain Factory Floor.

Partagé par Geluck

Situons tout ça par une image rigolote : c’est comme si vos blagues sur Facebook étaient partagées par Philippe Geluck et François Pirette. Qui ne sont pas Gad Elmaleh ou Jamel. Mais ça va, ça génère des petits quarts d’heure de gloire warholienne. Plus sérieusement, les Anglais ont une étiquette pour ce genre de productions : le « left field », c’est-à-dire de la musique dansante jamais vraiment inaccessible ou difficile mais un peu déviante, et qui joue sur des émotions troubles. Bref, de la dance music jonglant avec des idées et des influences plus pointues que le simple beat disco avec un peu de piano à deux doigts par-dessus.

Ni l’un, pigiste dans un gros studio d’enregistrement, ni l’autre, psychologue de formation, ne vivent de leur musique et n’espèrent réellement un jour que ça change. Jimi s’emballe : « L’industrie du disque est morte, il n’y a plus de pognon, plus rien à en attendre. Sortir des disques aujourd’hui, c’est de l’hédonisme pur. » Maurizio rebondit : « Dans notre genre d’underground électronique, tu sors un morceau, il vit une semaine. Ça ne rapporte pas un rond, ça permet juste, éventuellement, de se faire inviter à jouer dans des soirées. Au-dessus, il y a une caste DJ qui s’en sort fort bien mais pour la plupart des gens du secteur, tu fais un morceau, il sort sur un label, des gens connus le jouent, on parle un peu de toi et au final, il ne se passe rien ou pas grand-chose. »

Pas surprenant : la production musicale est pléthorique… « Un DJ qui reçoit une copie promo de Front de Cadeaux, il n’a pas fini de l’écouter qu’il lui tombe déjà trois autres trucs dans la boîte mail. Tout est noyé, les sorties sont chiées les unes à la suite des autres et le rapport à la musique est complètement désacralisé », conclut Maurizio.

Musique de « vieux »

Ils ne sont pourtant pas nostalgiques d’une époque où l’on pouvait toucher le jackpot avec un tube new beat ou techno, et où Internet n’existait pas ou presque pas. Tout au plus regrettent-ils un peu l’absence de grand mouvement fédérateur, de vraie scène forte et unie. « Ce qu’on sort et ce qui nous intéresse, c’est de la musique de “vieux”, des trucs pour types de 30/45 ans qui écoutent ce genre de disques héritiers de la new beat, de la techno et de la house depuis vingt ans, enchaîne Jimi. Nous vivons une époque de petites modes pour petites tribus et je crois que ça va continuer à tourner agréablement en rond un moment. Jusqu’à ce qu’apparaisse un nouveau grand mouvement fédérateur, comme l’ont été naguère la techno et la new beat. Je pense que ça ne peut venir que si on se met à produire des nouveaux sons. Mais pour ça, il faut de nouveaux outils musicaux. Et ceux-ci n’existent pas encore. »

Jimi me titille sur le journalisme, comparant la situation de la presse au secteur de la musique. On convient qu’il y a pas mal de similitudes : beaucoup trop de David Guettas aux claviers, une crise qui ratiboise les talents et les élans, une grosse partie du public qui s’en fout et, surtout, beaucoup trop de pleurnichades et pas assez de remises en question par rapport au World Wide Web. Mais n’est-ce pas là le propre des professions créatives d’aujourd’hui ?

Certains s’accrochent toujours aux modalités et au fonctionnement d’une industrie mourante. D’autres, après un peu de panique, pratiquent désormais un artisanat rigolard et enthousiaste où l’argent et la gloriole ne sont plus une finalité mais tout au plus un sympath­ique bonus au plaisir de créer, aux expériences, aux rencontres, aux amitiés inattendues et aux choses à raconter. L’hédonisme pur, donc. Et avec du beat bien salace en complément, c’est encore mieux.

Dernière mise à jour

Un journalisme exigeant peut améliorer notre société. Voulez‑vous rejoindre notre projet ?

La communauté Médor, c’est déjà 3458 abonnés et 1878 coopérateurs

Vous avez une question sur cet article ? Une idée pour aller plus loin ?

ou écrivez à pilotes@medor.coop

Médor ne vous traque pas à travers ses cookies. Il n’en utilise que 3 maximum pour la sécurité et la navigation.
En savoir plus