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Le document qui accable Mithra

Mithra-Contrel : 65 millions d’euros étaient en jeu

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La société pharmaceutique Mithra, lors de son litige avec Médor, a produit devant le tribunal de première instance de Namur un document censé prouver qu’elle ne devait pas déclarer un risque financier à la FSMA, le gendarme de la Bourse. Or ce document tend à démontrer exactement l’inverse.

C’était le jeudi 12 novembre dernier. Médor révélait sur son site internet que la société pharmaceutique Mithra, un des symboles du renouveau économique wallon, n’avait pas déclaré un risque financier potentiel à ses futurs actionnaires avant son entrée en Bourse du 30 juin 2015. Un risque lié à l’issue incertaine d’une procédure judiciaire opposant Mithra à la firme flamande Contrel Europe devant le tribunal de commerce de Liège.

Fondé sur des informations recoupées, l’article de Médor interrogeait surtout l’éthique d’une entreprise soutenue financièrement par les pouvoirs publics wallons depuis plus de 15 ans. Il suscita l’ire de François Fornieri, patron de Mithra, qui somma Médor de lui révéler ses sources et de dépublier l’article en ligne. Face au refus de Médor d’obtempérer, et invoquant une « extrême urgence », Mithra introduisit une requête unilatérale en référé. Sur la base d’informations fournies exclusivement par Mithra, le juge Dominique Gérard, président du tribunal de première instance de Namur, donna gain de cause à la société pharmaceutique, censurant de facto la sortie de Médor en librairie, puisque l’article en ligne figurait également dans la revue papier.

Due diligence

Lors du procès contradictoire qui suivit, à l’issue duquel la juge Anne-Cécile Damar annula l’ordonnance de son président et « libéra » Médor, la société liégeoise produisit un document de deux pages censé démontrer que le risque financier révélé par Médor n’aurait pas dû être déclaré à l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA), le gendarme de la Bourse.

Il s’agit d’un court extrait – deux pages – d’une due diligence réalisée par le cabinet d’avocats Eubelius (qui a assisté Mithra dans son introduction en Bourse) pour la banque ING (l’une des deux banques qui ont piloté cette opération). Dans le « monde merveilleux des affaires », une due diligence, ou diligence raisonnable, est un ensemble de vérifications qu’opère un investisseur en vue d’une transaction. Ici, ING envisageait d’investir elle-même dans Mithra, une opération financière codée « Project Dagan », d’après le nom d’un dieu sémitique de la fertilité (Mithra étant pour sa part une divinité indo-iranienne).

65 millions d’euros

Ces deux pages, que nous publions, démontrent en fait l’inverse de ce qu’elles prétendent démontrer, selon deux experts consultés par Médor. Le premier est un avocat bruxellois, grand spécialiste des matières économiques et financières. Le second est un fin connaisseur des arcanes de la finance qui travaille régulièrement comme expert pour des bureaux avocats d’affaires. Tous deux ont travaillé sur de grands dossiers financiers au cours de ces quinze dernières années. Quatre aspects du document les interpellent.

Premièrement, il révèle le montant astronomique de l’enjeu financier potentiel de ce litige : 65 millions d’euros. Il s’agit en fait du montant réclamé par Mithra à Contrel. « Or les obligations légales de divulgation portent aussi bien sur les montants que Mithra pourrait perdre que sur ceux qu’elle pourrait gagner », relève l’avocat.

Le règlement européen 809/2004 exige en effet que soit divulguée « toute procédure gouvernementale, judiciaire ou d’arbitrage (…) qui pourrait avoir (…) des effets significatifs sur la situation financière ou la rentabilité de l’émetteur (…) ». L’expert financier confirme : « Réclamer 65 millions, c’est énorme. À titre de comparaison, Mithra a levé 79,3 millions d’euros lors de son introduction en Bourse. Si Mithra obtenait gain de cause dans ce litige, son cours de Bourse bondirait significativement. »

Incomplet et postérieur

Deuxième aspect qui intrigue : le document d’Eubelius est… incomplet. Il ne dévoile pas une information stratégique importante, pourtant connue de Mithra, et qui aurait dû être communiquée au marché lors de cette due diligence  : l’existence d’une demande reconventionnelle de Contrel en dommages et intérêts. « Une demande reconventionnelle, explique notre expert financier, c’est l’action de celui qui estime que bien qu’il ait été assigné par un adversaire, c’est lui, et non le plaignant, qui a raison et qui subit un dommage. » Bref, c’est une contre-attaque en bonne et due forme. Qui commence généralement par la demande d’un dommage provisionnel de 1 euro, avant que ne soit fixé par des experts judiciaires le montant réel du dommage. Lequel pourrait très bien atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros.

« Le fait que la demande reconventionnelle de Contrel ne soit pas divulguée dans ce processus interpelle quant à la fiabilité de la due diligence », ajoute l’expert. En effet, l’investisseur potentiel n’est pas informé du fait que Mithra pourrait aussi bien devoir payer d’importants dommages et intérêts dans ce conflit à l’issue incertaine.

Troisième point interpellant : les deux pages d’Eubelius sont datées du 30 juin 2015 : elles ne peuvent donc matériellement pas avoir été remises à la FSMA avant la publication du prospectus d’entrée en Bourse de Mithra, le 18 juin. À aucun moment la FSMA n’a donc pu évaluer elle-même, avant d’approuver le prospectus, si ce conflit judiciaire aurait dû, oui ou non, être déclaré.

« On tourne en rond »

Enfin, produire un tel document devant un tribunal était somme toute assez… culotté, estime notre expert financier : « Les avocats du cabinet Eubelius se basent exclusivement sur un courrier de l’avocat de Mithra dont on a biffé le nom, qui lui-même affirme se baser sur les déclarations de Mithra, laquelle décrète unilatéralement que le litige est “non matériel” [sans conséquences financières importantes, NDLR]. Cela revient à dire que Mithra ne doit pas divulguer le litige dans le prospectus parce que Mithra a elle-même décidé que le litige ne devait pas être divulgué. On tourne en rond ! »

Par ailleurs, affirmer que ce conflit n’est pas « matériel » « est totalement incompatible avec le fait de réclamer 65 millions d’euros de dommages », juge l’avocat consulté par Médor.

Rappel à l’ordre de la FSMA

Dans une interview audiovisuelle diffusée le 5 février par le journal L’Écho, François Fornieri a reconnu que Mithra s’est fait rappeler à l’ordre par le gendarme de la Bourse : « Il y a eu des explications avec la FSMA qui ont suivi [la publication de Médor] », a-t-il déclaré, embarrassé, à Joan Condijts, le rédacteur en chef du quotidien économique.

Ce recadrage par l’Autorité des services et marchés financiers s’est traduit concrètement par la publication, deux jours après la victoire judiciaire de Médor, d’un communiqué de presse de Mithra. Celui-ci révélait subitement au marché deux litiges en cours qui n’avaient pas été déclarés dans le prospectus du 18 juin : le litige opposant Mithra à Contrel, mais aussi… une tout autre procédure, jamais rendue publique, opposant WeCare Pharmaceuticals BV (filiale de Mithra aux Pays-Bas) à la société française HRA Pharma (une procédure en référé perdue par Mithra qui a contre-attaqué sur le fond). Dans son prospectus, Mithra avait déclaré trois litiges. Il en manquait visiblement deux.

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