Le paradoxe malinois
Depuis 15 ans, la ville de Malines expérimente une nouvelle approche de la citoyenneté et de l’intégration. « De wortel et le bâton » pourrait résumer la vision du bourgmestre Bart Somers pour sa ville. La photographe italienne Serena Vittorini a arpenté les lieux où se traduit cette politique d’un nouveau genre.
« Une petite ville pittoresque riche en charme et en histoire. » Malines, vue par Visit Flanders, n’est plus cette cité obscure aux portes d’Anvers. Longtemps comparée à Molenbeek, car similaire en nombre d’habitants (85 000) et en diversité de populations (130 nationalités), la ville a elle aussi connu des taux de criminalité élevés dans les années 1990. Mais la comparaison s’arrête là. Depuis deux ans, si on en croit les médias belges et internationaux, la ville est devenue le modèle d’intégration européen. L’homme providentiel ? Bart Somers, 55 ans. En février 2017, il a été désigné « Best mayor worldwide » (le meilleur bourgmestre du monde) par une organisation londonienne qui a salué ses efforts pour offrir aux immigrants « les moyens de contribuer à l’économie et à la culture de leur ville ». Une pub gratuite et magistrale. Bingo aux élections communales d’octobre 2018. Un total de 52 885 voix de préférence pour Somers, 47,9 % pour sa liste et une majorité absolue en sièges.
Dans la foulée du prix international, de nombreux médias comme le New York Times se sont intéressés à la transformation de cette ville « au passé sale et criminel » — la caricature revient au Spiegel. « Comment un bourgmestre sauve sa ville », titrait l’hebdomadaire allemand en 2017. De sauvetage, il en était surtout question au niveau politique : située à un jet de pierre d’Anvers, berceau historique du Vlaams Belang, la ville semble échapper au parti de Filip Dewinter depuis trois élections, même si aux régionales de mai dernier, ses scores en hausse dans le canton de Malines incitent à la prudence pour l’avenir.
Caméras et plaines de jeux
En 2001, l’extrême droite faisait encore 25,5 % dans la Dijlestad, soit un chouïa moins qu’à Anvers. Porte-parole des libéraux flamands, Somers prend à ce moment-là les rênes de la commune. Le bourgmestre bleu veut y incarner le changement et lance une campagne sur deux thèmes déjà en vogue : sécurité et immigration. D’un côté, une politique ultra-sécuritaire avec l’installation d’un système de vidéosurveillance inédit en Belgique : 256 caméras installées dans toute la ville, et une augmentation des effectifs de police de 200 à 300 agents. De l’autre, une politique d’intégration nouvelle, mobilisant le tissu associatif de la ville. Un travail de proximité auprès des habitants pour favoriser les rencontres entre nouveaux venus et Malinois « de souche ». Des centres culturels et sociaux et des maisons de jeunes sont ouverts dans tous les quartiers, proposant des formations professionnelles, des cours de langue, de fitness.
Ce sont ces lieux qui intéressaient la photographe Serena Vittorini : « Je voulais voir sur le terrain comment se traduisent ces politiques d’intégration. » Arrivée en Belgique en 2018, cette photographe de 29 ans vogue entre travail de portrait et photographie documentaire. Suite au prix remporté par le bourgmestre Somers, Serena Vittorini s’intéresse à Malines et plus particulièrement aux centres d’activités qui s’adressent aux jeunes immigrés : « Je n’ai pas eu l’occasion de visiter d’autres villes en Flandre, donc je ne peux pas vraiment comparer. Mais la différence avec l’Italie est frappante ! Si on prend juste le cas des cours de langues et les aides à l’emploi, j’ai été impressionnée par leur qualité. »
Allier sécuritaire et social, la stratégie de Somers peut sembler contradictoire — voire paradoxale. Mais elle semble porter ses fruits. Selon les statistiques de la police fédérale, la criminalité de rue a été réduite de 75 % et le nombre des cambriolages a chuté de 55 % depuis son arrivée à la tête de la ville, en 2001. Sur le plan de l’intégration, il est plus compliqué d’établir un lien. Mais selon les personnes rencontrées par la photographe, il y a une réelle amélioration dans la ville et selon Serena Vittorini, « il y a une conscience que le choix de politiques répressives est moins efficace que les politiques d’intégration ». Le bourgmestre libéral s’en enorgueillit d’ailleurs auprès de la VRT : « Malines peut aussi se féliciter de n’avoir encore vu partir aucun de ses citoyens pour combattre aux côtés de l’État islamique en Syrie ». Un nouvel « atout » médiatique pour le bourgmestre quand, sur l’axe Bruxelles-Anvers, plus de 500 foreign fighters ont été recrutés.