Objectif : boule à facettes
Le plan diversité de Médor
Texte (CC BY-NC-ND) : Les Autruches
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Lancer un magazine d’investigation, c’est bien. Mais parvenir à refléter au mieux la société, dans les équipes et les articles, c’est une autre paire de manches.
Médor lance un grand plan « diversité », avec une bourse de journalisme à la clé.
PREMIÈRE ÉTAPE, DÈS CET ÉTÉ
- Un état des lieux de notre (non)-diversité. Après une première étude réalisée sur le Médor numéro 14, la rédaction s’engage à poursuivre son auto-examen : quels sont le genre, l’origine et la qualité des intervenants (auteurs et personnes citées) dans nos articles ? On va se mettre des stats sous le nez. Et garder les yeux ouverts.
- Une bourse pour des journalistes moins visibles. Une première en Belgique ! Médor offre 4 000 euros et un accompagnement pour un projet d’enquête porté par quelqu’un qui ne se reconnaît pas dans le profil type du journaliste : « homme blanc, universitaire, de 30 à 55 ans ».
- Un Médor tour en Wallonie. Les préparatifs ont démarré. Le déménagement de la rédaction dans différents lieux de Wallonie aura lieu cet automne. Première étape : La Louvière. L’occasion d’ouvrir nos horizons.
- Un plan d’action diversité. Nous travaillons sur un programme concret, qui traversera toutes les couches de Médor (la coopérative, le CA, la rédaction, etc.). La diversité fera par ailleurs l’objet d’une rubrique spéciale dans notre nouvelle plateforme web, à partir de septembre.
Médor, quels yeux ouverts ? Et sur quel monde ?
En Belgique, le journaliste est un homme blanc de 47 ans, d’origine belge. Universitaire et le cœur balançant plutôt à gauche. Pas toujours, mais « en moyenne », si l’on en croit le profil type dessiné par les auteurs du « Portrait des journalistes belges en 2018 » (UMons, ULB, Université de Gand et associations de journalistes du pays).
Et chez Médor ? Heu… Il y a environ cinq ans, quand nous avons fondé notre coopérative et couché sur écran nos valeurs cardinales, nous écrivions : « Médor est attentif aux questions de diversité et d’égalité femmes-hommes. » Bien inspirés, nous avions rangé cette phrase sous le titre « Perfectible ».
Si nous avons d’emblée veillé à ce que le groupe de fondateurs soit mixte (8 femmes, 11 hommes), nous avons rapidement dû admettre quelques évidences : la majorité des articles sont signés par des hommes – surtout les grandes enquêtes - et, si l’on tient compte d’autres aspects de la diversité (origines sociales, ethniques ou culturelles, handicap, âge, parcours professionnel, etc.), nous nageons tous dans la même eau.
Pourtant, ce n’est pas faute de volonté. Il y a deux ans, nous vous faisions part de nos débats internes autour de la grammaire égalitaire, que Médor a depuis longtemps adoptée dans sa communication externe mais pas dans le magazine, et de la manière dont les femmes sont invisibilisées dans l’information. En septembre dernier, nous nous interrogions sur l’homogénéité de la rédaction. Ces réflexions ont été utiles – elles nous ont ouvert les yeux – mais n’ont pas été suffisantes. Il nous fallait des outils concrets, des objectifs ambitieux et une vraie mise à nu. Nous y voici.
Nous démarrons notre opération « Boule à facettes » avec un auto-examen pas des plus agréables. Il confirme que les belles intentions ne suffisent pas. Nous enchaînons avec deux premiers projets concrets : une bourse pour des journalistes moins visibles et un Médor tour en Wallonie. Ces actions s’inscrivent dans un plan diversité global, que nous voulons écrire, avec nos collaborateurs, nos lecteurs et des regards extérieurs.
Mais au fait, pourquoi est-ce si important d’avoir des équipes diverses ? Ce n’est pas juste un challenge pour journalistes en mal de sensations – sinon, on se serait enfermés dans un cube en verre. C’est la seule manière pour les médias de refléter, plus justement, les préoccupations des citoyens dans toute leur diversité. Car il ne suffit pas à un journaliste bien intentionné d’aller à la rencontre « des autres » pour les inclure. « Quand on croit se mettre à la place des autres, explique le chercheur Sabri Derinöz, qui a réalisé notre étude statistique, on projette toujours notre propre expérience. » Cette vision du monde se traduit dans les choix de sujets, d’angles, d’interlocuteurs, de mode de narration. Diversifier l’info, c’est donc d’abord multiplier les types de paires d’yeux – avis aux étymologistes des expressions médoriennes, c’est cette métaphore qui nous a inspiré l’idée de la boule à facettes…
La première erreur à combattre consiste à penser qu’on ne fait que refléter le monde tel qu’il est, avec ses inégalités, et qu’on ne peut rien y changer. Si on défend le journalisme d’impact, défendons aussi les vertus de la diversité.