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Mariages cathodiques

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Ludwick Hernandez. CC BY-NC-ND.

L’année dernière, RTL-TVI jouait le buzz autour d’une émission de télé-réalité jugée « scandaleuse » par une partie de la presse belge. En invitant des inconnus à se dire « oui » sans se connaître, « Mariés au premier regard » a battu des records d’audience. Cette année encore, plusieurs bourgmestres ont prêté leur concours pour la deuxième saison.

C’était il y a un an, lors de la conférence de presse de rentrée de RTL. Tout sourire devant le Palais 10 du Heysel, l’équipe de la chaîne privée luxembourgeoise prend la pose devant les photographes. En cette rentrée 2017, RTL-TVI fête ses trente ans d’existence. Mais derrière les sourires de façade, le cœur n’y est pas.

La rumeur circule depuis plusieurs mois déjà. Avec l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge, RTL et la RTBF s’atten­dent à une baisse drastique de leurs rentrées financières. On parle de 10 à 30 millions d’euros de manque à gagner par an. Et dans l’histoire, c’est RTL, dont la quasi-totalité des revenus provient de la publicité, qui a le plus à perdre.

Pour la direction de RTL Belgium, le plan social est désormais inévitable. Il sera d’ailleurs annoncé officiellement trois semaines plus tard sous la forme d’un plan de transformation en cinq axes (le « Plan Evolve »). Il conduira au départ de 88 personnes et provoquera un véritable traumatisme en interne, dans un média habitué jusqu’alors à sa place de leader incontesté, tant sur le plan de l’info que sur celui du divertissement.

À la conférence de presse du Heysel, tous les journalistes savent que ce plan est dans l’air. Chacun a préparé ses questions sur le sujet. Mais la direction parvient à détourner leur attention en annonçant une grille de programmes particulièrement osée. Des nouvelles émissions « pour davantage de proximité avec les téléspectateurs », selon les mots de l’administrateur délégué de RTL Philippe Delusine. La « proximité », ce sera notamment du sexe, du scandale, du sensationnel et une nouvelle émission de télé-réalité, Mariés au premier regard, qui va faire parler d’elle pendant plusieurs semaines après cette annonce.

Scandale planétaire

Développé au Danemark par la société Snowman, filiale du géant de l’audiovisuel allemand « Red Arrow studios », le concept de Mariés au premier regard a déjà « choqué dans 25 pays », annonce-t-on, à l’aise, chez RTL. Le principe est simple. Après avoir subi une série de tests scientifiques destinés à établir leurs profils amoureux, des couples de célibataires sont formés par un panel de spécialistes qui leur annonce qu’ils vont se marier, mais sans leur dévoiler l’identité de leur futur conjoint. Chacun se prépare de son côté en annonçant la (bonne) nouvelle à sa famille. Les tourtereaux ne sont présentés l’un à l’autre qu’à la maison communale, au moment exact de se dire « oui » pour la vie devant le bourgmestre.

Décliné en plusieurs épisodes, le spectacle se prolonge de semaine en semaine. Après la fête de mariage et la lune de miel, le téléspectateur peut suivre les péripéties du couple dans ses débuts de vie à deux.

L’émission atteint son paroxysme au moment où les deux jeunes gens sont invités à faire un choix : veulent-ils rester mariés ou préfèrent-ils divorcer aux frais de la production ? Partout où elle a été diffusée – notamment en France sur M6 ou en Flandre sur VTM –, l’émission a fait un carton auprès du public.

Cautions scientifiques

RTL acquiert la licence de l’émission et en confie la réalisation à Everlasting, une société audiovisuelle qui produit déjà de nombreux programmes pour elle (Images à l’appui, Les As de la déco,…). Plus de 900 célibataires répondent à l’annonce postée début 2017 par les producteurs. C’est le psychologue de l’UCL Pascal De Sutter, la sexologue française Catherine Solano et « l’architecte du désir » Julie du Chemin qui sont choisis comme cautions scientifiques pour former les couples qui passeront à l’écran.

Au début des tests de sélection, la majorité des candidats ignorent encore le principe fondamental de l’émission. L’annonce d’Everlasting se contentait en effet d’évoquer une expérience scientifique destinée à trouver l’âme sœur. Au moment où Pascal De Sutter révèle qu’il s’agit d’épouser un ou une inconnue, plusieurs candidats quit­tent la salle, ce qui constitue l’une des séquences clés de l’émission dans son premier épisode. « Quand on m’a engagé pour l’émission, j’ignorais moi aussi en quoi elle consistait, explique un membre de l’équipe technique d’Everlasting. Quand j’ai découvert dans quoi j’avais mis les pieds, j’avoue que moi aussi j’ai voulu partir en courant ! »

Au fil du temps, ce collaborateur finira pourtant par nuancer son jugement. Les équipes prennent plaisir à travailler ensemble sur ce nouveau concept. Journalistes, caméramans et preneurs de son accompagnent les candidats pendant plusieurs mois dans toutes les étapes de l’aventure, avec parfois des situations cocasses ou embarrassantes, comme lorsqu’un des candidats en lune de miel passe plus de temps à draguer la journaliste d’Everlasting que sa jeune épouse qui l’accompagne.

Ce sont finalement quatre couples qui sont sélectionnés pour aller jusqu’au bout de l’expérience. Le 12 septembre 2017, le public découvre enfin à l’écran les visages de Jordan, Amélie, Flavio, Merline, Audrey, Nicolas, Pauline et Aurélien : huit jeunes qui accèdent subitement à la célébrité en acceptant d’épouser un inconnu devant les caméras de RTL.

Bénédictions mayorales

C’est Amélie et Jordan qui sont les premiers à se jeter à l’eau. Amélie, 26 ans, est originaire de La Bruyère. Jordan, 25 ans, vient de Rebecq. C’est dans cette commune qu’est célébré leur mariage, le 8 juin 2017, devant les deux familles qui s’observent en chiens de faïence, et la bourgmestre faisant fonction, Patricia Venturelli (PS), qui a accepté de jouer le jeu malgré quelques réticences au début. « Quand l’équipe d’Everlasting est venue la première fois dans mon bureau, ils ont commencé par me faire un long historique du mariage, en parlant des unions arrangées d’autrefois, raconte-t-elle. Au départ, je ne comprenais pas du tout où ils voulaient en venir. Mais quand j’ai compris ce qu’ils attendaient de moi, ma première réaction a été de vérifier la légalité d’une telle demande auprès de mes servi­ces. »

La réponse sera positive. Car si un échevin d’état civil a le droit de refuser de célébrer un mariage s’il soupçonne une fraude dans le but « d’obtenir un avantage en matière de séjour », il n’existe aucun obstacle légal à un « mariage arrangé », pour autant que le consentement des deux futurs époux soit « libre et éclairé ». « Rien n’indique dans le Code civil qu’il faut s’aimer pour se marier », précise ainsi la bourgmestre. Jordan et Amélie étant pleinement consentants à être là, il n’y avait donc, selon elle, aucune raison de s’opposer à les marier.

D’autres bourgmestres suivront ce raisonnement : Dominique Van Roy (MR) à Éghezée, Muriel Targnion (PS) à Verviers ainsi que Pierre Muylle (PS) à Evere, qui mariera Merline et Flavio à la même période. « Il n’y avait aucune raison de s’opposer à cette demande, explique Pierre Muylle. Les deux futurs époux étaient libres, consentants et heureux d’être là. On n’a pas toujours la même certitude dans d’autres mariages que l’on célèbre. »

Lorsque l’émission a été diffusée, l’aventure de Merline et Flavio a d’ailleurs été suivie avec beaucoup d’intérêt par le personnel communal d’Evere, poursuit Pierre Muylle. « C’était un vrai feuilleton, tout le monde en parlait ! Aujourd’hui encore, il ne se passe pas un jour sans qu’on m’interpelle au sujet de cette émission. » Qu’on l’aime ou qu’on la fustige, Mariés au premier regard ne laisse personne indifférent.

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Ludwick Hernandez. CC BY-NC-ND

Mais tous les bourgmestres sollicités n’auront pas cette réaction. À Molenbeek notamment, mais aussi à Ixelles, Françoise Schepmans (MR) et Dominique Dufourny (MR) refuseront de répondre à la demande d’Everlasting. Refus également à Woluwe-Saint-Lambert où le bourgmestre Olivier Maingain (DéFI) décide de consulter le procureur du Roi de Bruxelles, qui rend un avis négatif quelques jours plus tard, estimant que le consentement libre et éclairé ne pouvait pas être clairement établi dans le cas présent. « L’avis du procureur du Roi nous a confortés dans l’idée que nous n’avions pas à prêter notre concours à cette mise en scène grotesque », explique Olivier Maingain.

Car, même si les futurs époux ont évidemment choisi d’être là, le consentement se fait, selon lui, sous pression de la production et à la seule fin de faire de l’audience. « Mais c’est toujours une question d’interprétation, souligne Olivier Maingain. C’est la raison pour laquelle j’ai interpellé le ministre de la Justice Koen Geens à ce sujet. Vu que d’autres communes ont eu une interprétation différente, j’ai pensé qu’il était bon que le collège des procureurs généraux prenne attitude. »

Six mois après l’interpellation, en mars 2018, le collège des procureurs généraux rédige une circulaire sur le sujet. D’après cette circulaire, les mariages célébrés dans le cadre de l’émission répondent bien aux prescrits légaux. Forts de cette base juridique, les producteurs de l’émission peuvent désormais démarcher les communes de manière plus sereine. Et c’est ce qu’ils ont fait au printemps, pour la préparation de la nouvelle saison.

Le beau mariage de Claude Eerdekens

La version belge de Mariés au premier regard a su trouver son public en Wallonie et à Bruxelles. L’émission a attiré 548 640 spectateurs en moyenne chaque mardi durant six semaines. Elle a fait 35,1 % de parts de marché sur la tranche 18-64 ans : un vrai succès qui a motivé la chaîne à commander une deuxième saison à son producteur exécutif.

Dès janvier de cette année, un nouvel appel à candidatures était donc lancé. Plusieurs centaines de personnes y ont à nouveau répondu. Mais désormais, les candidats connaissent désormais le principe de l’émission. Et cela s’est légèrement ressenti durant le casting. « Pour certains d’entre eux, on s’est clairement demandé si la motivation première n’était pas, d’abord, de passer à la télé », indique une source interne chez Everlasting.

Le tournage s’est achevé mi-juillet. Et cette fois, c’est notamment Claude Eerdekens (PS) à Andenne et Richard Fournaux (MR) à Dinant qui ont prêté leur concours pour célébrer les mariages. À Dinant, ce n’est pas un mais deux mariages qui ont été célébrés par Richard Fournaux : deux sœurs, Elodie et Lora, mariées l’une à Jérémy, l’autre à Giuseppe, sur les bons conseils du panel scientifique.

Là encore, les deux bourgmestres assument pleinement. « C’était un très beau mariage célébré dans la bonne humeur, explique Claude Eerdekens. Les gens d’Everlasting sont très professionnels. Il y a un scénario, une scénographie, de belles lumières… Si l’on bénéficiait de telles conditions techniques pour tous les mariages andennois, on serait vraiment très heureux ! », plaisante-t-il.

Au-delà de l’aspect légal, la question éthique ne se pose pas selon lui. « Aujourd’hui, la majorité des mariages se terminent en divorce. À Bruxelles, on frôle même les 90 %. Le couple que j’ai marié pour l’émission était très sympathique et très heureux d’être là. Si ça se trouve, ils formeront une union plus durable que la moyenne. »

D’après nos informations, au moins un des couples de la saison 2 aurait décidé de rester marié après la fin du tournage. Les quatre couples de la saison 1 ont, eux, demandé le divorce. Les procédures sont toujours pendantes devant le tribunal civil de Nivelles, ce qui a le don d’en agacer plusieurs d’entre eux qui aimeraient tourner définitivement la page de cette aventure.

Encore liés par contrat avec Everlasting, tous ceux que nous avons contactés ont refusé de s’exprimer à visage découvert. La deuxième saison de Mariés au premier regard devrait être diffusée dans les prochains mois sur RTL-TVI.

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